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Actualités - INTERVIEWS

Interview - « Vers une Troisième République », un ouvrage pour enclencher un mouvement de changement - Karim Mroué : un communiste non repenti

Malgré un loyalisme inébranlable envers son parti, le PCL, Karim Mroué manie merveilleusement l’autocritique, même s’il le fait à contrecœur dès qu’il s’agit des siens et du milieu dans lequel il a milité toute sa vie durant. Dans un récent ouvrage qu’il vient de publier, intitulé «Vers une Troisième République», il soutient que le changement passe immanquablement par un renouveau des partis appelés à sortir le pays de la crise. Après avoir passé en revue tous les maux de la vie politique libanaise de l’après Taëf, Karim Mroué propose quelques remèdes pour «sauver» le système en dérive. Du confessionnalisme politique, en passant par la «démocratie en manque de démocrates», pour finir avec les relations libano-syriennes et la situation au Sud, le vétéran communiste s’attaque à tous les dossiers conflictuels dans une série d’articles rédigés entre 2000 et 2001. Dans son ouvrage, il révèle ses «obsessions, qui sont probablement les mêmes que celles du lecteur», comme il dit. Dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour, l’ancien secrétaire général adjoint du PCL nous parlera longuement de ces obsessions, ainsi que de son programme de réforme. La crise du régime d’abord. «Elle est illustrée par une démission claire de la part du pouvoir de ses responsabilités», écrit Karim Mroué. Un des éléments de cette crise est illustré par le comportement de l’État vis-à-vis des habitants du Sud pendant et après la libération, soutient M. Mroué. Commentant la «première lacune» à laquelle il consacre un chapitre presque entier, l’auteur s’insurge contre le fait que la victoire au Liban-Sud, avec le retrait israélien, ait été monapolisée «par un seul parti», le Hezbollah. Or, dit-il, «il n’est pas permis d’occulter le combat des autres, notamment ceux qui ont participé, dès les premiers temps, à la naissance de la résistance». «J’ai avancé l’idée que la libération du Sud n’est pas le fruit d’une seule formation, parce que j’ai voulu faire la lumière sur la vérité historique. La libération n’a pas eu lieu à un moment précis, ni même au début des années 80. Elle a été le fruit d’un long processus historique», affirme le militant du PCL. Il explique : le retrait d’Israël de Beyrouth en 82, de la Montagne en 83, et d’une partie du Sud jusqu’à la bande frontalière en 85, n’est pas le fait de la résistance du Hezbollah, mais celui de la résistance traditionnelle de l’époque, incarnée par le mouvement national. «Le problème, c’est que notre peuple oublie». À l’époque, il s’agissait de véritables opérations de partisans à l’instar de celles qui avaient eu lieu en Europe lors de la Seconde Guerre mondiale, et non pas des charges explosives ou des Katioucha , fait remarquer Karim Mroué. «Dans toute bataille, il faut prendre en considération l’effet du cumul», dit-il. Durant les dix années de la résistance contre Israël, ce n’était d’ailleurs pas le Hezbollah qui combattait effectivement l’État hébreu, ajoute M. Mroué, mais trois États, à savoir la Syrie, l’Iran et le Liban. «Le Hezbollah n’était qu’un outil entre leurs mains. Je ne mets pas du tout en doute l’héroïsme des membres du Hezbollah, mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’il s’agissait d’une véritable armée exécutant des opérations à l’aide d’experts militaires». D’où l’interdiction conséquente de faire participer les autres formations de résistance, «car il y avait nécessité de faire l’unanimité autour du plan politique établi par le grand décideur, la Syrie. Je ne conteste pas ce plan. Mais mon objection concerne la coloration confessionnelle de la résistance, car elle contribue à renforcer le confessionnalisme politique dans le pays», souligne M. Mroué. Sur sa liste des dénonciations, Karim Mroué fait figurer les multiples erreurs commises au Liban-Sud, dont l’insouciance de l’État envers les habitants, son refus d’envoyer l’armée, la nouvelle guerre créée dans la région des hameaux de Chebaa et la substitution d’un pouvoir autre que celui de l’État. «Ce n’est pas normal d’empêcher les habitants de cette région de jouir de leur liberté alors que cela faisait près de cinquante ans qu’ils vivaint sous l’oppression», dit-il en citant les partis, l’OLP, les milices et l’armée israélienne qui se sont succédé dans cette région. Dans son ouvrage, il déplore également, et de manière virulente, le déséquilibre dans les relations libano-syriennes. «Nous avons été les premiers à critiquer l’ingérence des Syriens dans les affaires libanaises», affirme l’ancien secrétaire général adjoint du Parti communiste. Il considère qu’il ne s’agit plus de «relations privilégiées» (Moumayyazat), mais de relations fondées sur la discrimination (Tamyììz). «Sous le slogan de relations privilégiées, on est en train de commettre tout genre d’abus, dit-il. Dans tous les documents que nous avons soumis aux Syriens depuis 1990, nous avions dénoncé ce déséquilibre, et dès cette époque déjà nous avions prôné la réconciliation nationale et la reconnaissance de Taëf. Or Taëf n’a jamais été appliqué», a-t-il affirmé. «Mort d’une République, agonie d’une autre et naissance d’une troisième». Tel est l’intitulé de la seconde partie de l’ouvrage de M. Mroué dans lequel il avance les solutions ou remèdes pour redresser la situation de crise dans laquelle est plongé le pays. «L’origine des déficiences au plan de la démocratie est due à l’absence ou à l’éloignement des démocrates, à tous les niveaux», écrit l’auteur. À cause de leur crise interne, mais aussi à cause du pouvoir en place qui n’accepte pas le concept, souligne M. Mroué. La solution pour «ces démocrates en puissance» : la nécessité de renouveler leurs idées et leurs rapports entre eux. Il préconise notamment la nécessité pour toutes les formations traditionnelles de déterminer leurs points de divergences afin «qu’ils ne représentent plus à l’avenir une source de conflit». Dans un chapitre consacré aux partis politiques libanais, l’auteur passe en revue une à une les formations politiques traditionnelles, les invitant à une remise en question profonde, à un retour aux sources idéologiques originelles qui ont constitué les fondemens mêmes de chacune de ces formations. Les partis libanais traditionnels ne sont-ils pas devenus obsolètes aujourd’hui, notamment le PCL ? L’apparition récente de nouveaux partis et formations politiques au cours des cinq derniers mois ne réflète-t-elle pas ce vide laissé par les partis traditionnels libanais ? Karim Mroué répond : «Les nouveaux partis créés sont venus remédier à deux problèmes : d’abord le fait que les formations traditionnelles, notamment certains partis de gauche et les mouvements nationaux, ont pris part au pouvoir. Ils ont ainsi perdu leurs attaches historiques, ainsi que leur crédibilité pour avoir renoncé à leur programme de réforme. D’autres, comme nous (le PCL), ont été affaiblis, à cause de plusieurs facteurs, dont la chute du communisme». Lucide, mais tenace, ce militant reste toutefois convaincu que cette crise ne saurait annuler le rôle que son parti est appelé à jouer à l’avenir une fois qu’il réussira à la dépasser. «Le PCL est le seul parti qui a fait son autocritique. Malheureusement, il n’a pas pu dresser un plan d’action», dit-il. Comment construire une nation ? Avec la contribution des forces vives du pays, mais aussi en assurant la séparation entre le religieux et l’État, un concept cher aux communistes. Une nuance toutefois, Karim Mroué préconise l’instauration d’un Sénat regroupant les communautés religieuses, une institution prévue dans le document de Taëf. «Un État laïc oui, mais progressivement, en ménageant les sensibilités religieuses», dit-il. Il se prononce également en faveur d’une loi électorale instaurant la proportionnelle, le droit de vote des émigrés, une loi sur le statut civil facultatif, etc. Bref, des changements qui refléteraient les obsessions d’une (bonne ?) partie des Libanais.
Malgré un loyalisme inébranlable envers son parti, le PCL, Karim Mroué manie merveilleusement l’autocritique, même s’il le fait à contrecœur dès qu’il s’agit des siens et du milieu dans lequel il a milité toute sa vie durant. Dans un récent ouvrage qu’il vient de publier, intitulé «Vers une Troisième République», il soutient que le changement passe...