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Actualités - OPINIONS

Beyrouth, ou comment travestir une ville en « trait d’union » des cultures

L’organisation d’un sommet de la francophonie au Liban est le détonateur d’une multitude de débats qui vont à l’encontre des points de vue familiers que les médias ont tendance à propager, notamment le dialogue des cultures sur fond pastel et l’amitié Nord-Sud. La curiosité intellectuelle et l’attrait pour la remise en question invitent les incrédules à examiner les archives de l’Histoire pour un autre portrait de la France. Philippe Sollers l’esquisse rapidement dans un des numéros de L’infini : « La France moisie a toujours détesté, pêle-mêle, les Allemands, les Anglais, les Juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne, les intellectuels (...), les femmes trop indépendantes ou qui pensent (...) et finalement la liberté sous toutes ses formes». C’est cette France-là qu’on masque et qu’on travestit sous forme d’aides humanitaires, culturelles et avant tout «maternelles». Depuis la France du général de Gaulle qui a développé cette pratique certains continuent à critiquer les idéologies des partisans d’extrême gauche, notamment celles des situationnistes et d’autres partisans de mouvements politico-culturels minoritaires (maoïstes et autres). Les ex-colonies ont été les premières à supporter cette censure durant les périodes antérieures et postérieures à Mai 68. Le milieu francophone libanais ne fait pas exception : il souffre de cet égarement. Dans le cas des arts et de l’architecture par exemple, on place sur un piédestal des architectes comme Le Corbusier qui ont brillé dans l’entre-deux guerres. Au Liban, où l’on apprend à être copieur de l’ancien sous toutes ses formes, on est loin de témoigner de l’éclosion d’une génération d’avant-garde. Est-on victime de ce que la France veut répandre en dehors de son territoire ? Après Tokyo et Berlin, Beyrouth est l’un des trois chantiers du siècle. Beaucoup d’idées sont proposées mais il n’y a malheureusement pas de concrétisations intelligentes. Les assistances des différentes institutions, françaises et autres, ne suffisent pas pour reconstruire une ville plusieurs fois millénaire. Dans différents essais, proprement introduits au monde par le Net il y a quelques années (Introduction à une critique de la géographie urbaine, Théorie de la Dérive...), Guy Debord - situationnisite longtemps contesté –nous met en garde contre le caractère spectaculaire de certaines villes comme Paris qui sont dotées d’une image programmée pour séduire les visiteurs et leurs caméras nipponnes. «Il est normal que le spectacle que nous refusons nous refuse», souligne Debord, et ses idées ont mal atteint les esprits de nos architectes. Les mémoires architecturales de la guerre Divers centres commerciaux, sanctuaires de la consommation, qui fleurissent depuis quelques années dans Beyrouth, ne répondent qu’à une idéologie bien définie : attirer des capitaux étrangers. Aujourd’hui notre capitale est un important terrain truffé d’espaces à intérêt psycogéographique (la psycogéographie étant l’étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus), il serait utile de reconsidérer ces parcelles tout en respectant les mémoires architecturales de la guerre. Une reconstruction totale de la capitale ne saurait être envisagée. C’est pourquoi il faudrait calmer le jeu des constructeurs, repenser l’aspect usuel de la ville et ses multiples facettes, et mettre à l’écart l’esthétique urbaine qui se base de nos jours sur le béton recouvert de pierres polies. On veut ramener l’image d’un Beyrouth «propre» d’avant-guerre et effacer de mémoire dix-sept ans indélébiles. Laissons Paris aux Parisiens et allons vers l’édification d’un Beyrouth «beyrouthin». Il ne s’agit pas d’imiter et de retomber dans les mêmes erreurs historico-géographiques. Ces quelques kilomètres carrés qu’on veut travestir en ville du spectacle – «trait d’union» du dialogue des cultures – ne peuvent pas supporter le ridicule importé des États-Unis et d’Europe. Un minimum de gestion et d’organisation est recommandé pour éviter la chute dans le banal d’un Hong Kong industrialisé. Les Libanais sont témoins en ce début de siècle d’une occidentalisation de leur capitale, bafouée par des Orientaux eux-mêmes mal orientés idéologiquement. La ville devient une attraction universelle et un appât pour les touristes et les amateurs de cartes postales. Beyrouth sera-t-elle un autre cirque à masque plus économique que culturel ?
L’organisation d’un sommet de la francophonie au Liban est le détonateur d’une multitude de débats qui vont à l’encontre des points de vue familiers que les médias ont tendance à propager, notamment le dialogue des cultures sur fond pastel et l’amitié Nord-Sud. La curiosité intellectuelle et l’attrait pour la remise en question invitent les incrédules à examiner...