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Actualités - OPINIONS

La nation libanaise, - réalité sociale -

Le pays libanais, ce compartiment géographique individualisé et protégé par la nature, abrite des populations relativement homogènes, vivant et coopérant volontairement ensemble, dans le cadre d’un pays et d’un État communs. On n’a, pour s’en convaincre, qu’à les voir évoluer, sans plus de heurts qu’ailleurs, sous le régime des lois qu’elles se sont librement données. On ne peut mieux prouver le mouvement qu’en marchant. Les conditions physiques du pays, c’est-à-dire le relief, le climat et la situation géographique, marquent d’une empreinte commune le caractère, les habitudes et les aptitudes des Libanais, à quelque race ou religion qu’ils appartiennent. C’est ce caractère particulier, et non la race ou la religion, qui distingue les populations libanaises de celles des autres pays voisins ou éloignés. En plus du vouloir-vivre en commun, les Libanais possèdent de sérieux facteurs d’unité, qu’on ne rencontrerait que chez les peuples les plus homogènes : parenté ethnique, langue, culture, activité économique communes. Le milieu ethnique libanais En dépit de la variété de leurs conceptions religieuses, les Libanais, à quelque confession qu’ils appartiennent, sont plus ou moins apparentés au point de vue ethnique. Il ne s’agit pas, bien entendu, de cette parenté de sang qui les ferait descendre d’un ancêtre commun. Ce cas, que l’on ne peut repérer que dans les petits groupements sociaux, tels que le clan familial ou le village, est inexistant, en fait, dans les sociétés composées. Les races et les peuples sont, on le répète, des mélanges disparates, stabilisés et modelés par les conditions physique, économiques et sociales de l’habitat. L’aspect apparemment hétéroclite des populations libanaises est dû, en général, non à des origines raciales diverses, mais à leur appartenance à des communautés religieuses différentes qui passent, à tort, pour des groupements ethniques distincts. On a tendance à croire, en effet, que les divers groupes confessionnels du Liban actuel descendent de groupements ethniques respectivement différents. L’histoire nous apprend, au contraire, qu’à part quelques groupes sociaux immigrés, dont il serait difficile d’identifier aujourd’hui les véritables descendants, ce sont les habitants autochtones du pays libanais qui, dans le passé et à des époques diverses, avaient embrassé des religions différentes ou s’étaient incorporés à des sectes confessionnelles dérivées de ces religions. Certes, il existe, au Liban, des communautés religieuses, telles que les maronites, les druzes, les métoualis ou chiites, dont les premiers éléments, en quête de liberté, sont venus de Syrie, d’Égypte, d’Irak ou de Perse. Mais ces premiers noyaux, à leur arrivée dans le pays, étaient numériquement peu importants. Leurs effectifs se sont accrus par la suite, grâce à l’appoint des sectateurs indigènes qui se sont progressivement incorporés à leurs groupes. Quant aux musulmans du Liban, à part quelques familles venues d’Arabie avec les conquérants, tous les autres, c’est-à-dire la plus grande partie, sont des indigènes qui ont embrassé la religion des vainqueurs. Ainsi, et quoi qu’on prétende, la division des Libanais en groupes ethniques distincts est erronée. Les divers groupes confessionnels de ce pays sont le produit d’un mélange ethnique stabilisé, formé d’un fond autochtone, qui est le même pour tous et sur lequel s’étaient greffés au cours des siècles passés divers éléments allogènes. Ces éléments importés, relativement peu nombreux, ont été, depuis des siècles, absorbés par la masse des indigènes et façonnés par le milieu. Nul ne peut affirmer quelle race étrangère, ni quel peuple envahisseur, a plus particulièrement marqué de son empreinte le caractère fondamental des populations libanaises. Dès le IIIe millénaire, les habitants de l’actuel pays libanais, comme ceux des autres régions du Croissant Fertile, étaient déjà des mélanges composites, possédant des caractères généraux communs, identiques, dans leur fond, à ceux de leurs successeurs. Les caractères psychologiques et moraux des antiques populations phéniciennes sont, en effet, dans leurs grands traits, ceux des Libanais de nos jours. l’exploit d’un Baltagi, lors du sauvetage du navire Le Champollion, s’inscrit dans les vieilles traditions maritimes des hardis et habiles navigateurs phéniciens, maîtres des mers antiques. Les Français, qui avaient été linguistiquement romanisés ou latinisés après la conquête romaine, et qui, de ce fait, appartiennent aujourd’hui à la famille ou race dite latine, sont le produit d’un mélange complexe, où l’apport latin fut presque insignifiant. Il en est de même de l’élément franc, qui donna son nom au pays (France), et qui fut, lui aussi, d’une importance numérique relativement minime. «Aucun citoyen français, écrit Renan, ne sait s’il est Burgonde, Alain, Taïfale, Visigoth… Il n’y a pas en France dix familles qui puissent fournir la preuve d’une origine franque et encore une telle preuve serait-elle essentiellement défectueuse, par suite de mille croisements inconnus qui peuvent déranger tous les systèmes des généalogistes… Le type de ce qu’on appelle très improprement la race anglo-saxonne…, ni le Danois… ni le Normand…; c’est la résultante de tout cela». Peu de familles, au Liban, en Syrie, en Égypte, en Irak, pourraient fournir la preuve d’une origine étrangère remontant à deux ou trois siècles. À part quelques îlots ethniques, non encore parfaitement assimilés (Tcherkès, Arméniens, etc.), les Libanais, les Syriens, les Égyptiens, les Irakiens sont respectivement «la résultante» de toutes les races et de tous les peuples qui, au cours des siècles, se sont successivement ajoutés aux masses indigènes qui les avaient, en fin de compte, assimilés. Si les Arabes d’Arabie, venus avec l’islam, semblent avoir laissé, dans les contrées voisines qu’ils ont conquises, des traces plus durables, c’est que, dès avant la conquête arabe, les populations de Syrie, d’Irak et d’Égypte étaient, depuis longtemps déjà, ethniquement et linguistiquement, plus ou moins apparentées aux populations du plateau arabique. Les sémites arabes, contemporains du Prophète, étaient, en effet, par la langue, la culture, l’organisation sociale et même un peu par la race, frères des sémites araméens, chaldéens et phéniciens du Croissant Fertile, et cousins des Hamites de la Vallée du Nil. Conservant respectivement leurs propres caractères fondamentaux, ces populations conquises, au nombre de vingt millions environ, ont progressivement adopté une langue sœur, l’arabe, et une nouvelle religion sémitique, conforme à leur mentalité sémito-hamitique. Quant aux conquérants venus d’Arabie, dont le nombre était relativement restreint et qui s’établirent dans les pays conquis, ils furent, comme les conquérants qui les avaient précédés, progressivement absorbés par la masse indigène, «conformément à cette loi générale que le levain disparaît dans la pâte qu’il a fait lever» (Renan). Certes, il y a un orgueil légitime à se dire le rejeton des Arabes de l’islam, cette race de héros qui dominèrent une grande partie du monde habité et semèrent le germe d’une brillante civilisation. Mais une pareille prétention est scientifiquement illusoire et effectivement chimérique, étant donné les nombreux siècles qui nous séparent de l’épopée arabe et l’action modelant du milieu pendant cette longue période. Plus d’une famille, qui se réclame aujourd’hui des conquérants arabes, serait probablement d’origine turque, kurde, franque ou simplement autochtone, tandis que d’autres familles, qui nient cette parenté, seraient d’authentiques rejetons d’Arabie. Les unes et les autres, d’ailleurs, sont aujourd’hui stabilisées par le milieu libanais et marquées de son empreinte. Les Libanais sont donc, ethniquement, plus ou moins apparentés. Les divisions confessionnelles du pays n’ont rien de racial. Autochtones ou immigrés, les éléments formateurs du peuple libanais sont presque les mêmes dans l’ensemble : un fond méditerranéen et sémitique, continuellement remué, au cours des siècles, par des apports immigrés, qui ont été constamment absorbés et marqués de l’empreinte libanaise, conformément aux lois de la géographie humaine. Sémites authentiques venus d’Arabie, les Phéniciens avaient sémitisé le pays libanais, mais furent «libanisé» à leur tour. Il en fut de même des Amorrites proto-arabes, comme plus tard des Arabes proprement dit. «Les fondements réels du Liban contemporains», Beyrouth 1983.
Le pays libanais, ce compartiment géographique individualisé et protégé par la nature, abrite des populations relativement homogènes, vivant et coopérant volontairement ensemble, dans le cadre d’un pays et d’un État communs. On n’a, pour s’en convaincre, qu’à les voir évoluer, sans plus de heurts qu’ailleurs, sous le régime des lois qu’elles se sont librement...