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Actualités - INTERVIEWS

RENCONTRE - La fille de l’un des « pères de l’indépendance » de retour après 17 ans d’absence - Alia el-Solh à « L’Orient-Le Jour » : Ils ont fait du Liban un club med au Bangladesh

Dans l’immense palais de son père Riad, rescapé de tant de guerres et qui porte encore les cicatrices des dures épreuves traversées par la famille, Alia el-Solh reçoit ses visiteurs avec la grâce d’une grande dame et la détermination d’un leader. Encore un peu perdue dans ses affaires, la tête alourdie des doléances de tous ceux qui ont tenu à lui souhaiter la bienvenue, elle n’a qu’un seul objectif, faire revivre la mémoire de ce pays pour lequel son père a donné sa vie et pousser les jeunes à cesser de douter d’eux-mêmes. Une lourde tâche à laquelle elle veut désormais se consacrer après 17ans d’absence du pays, une absence qui n’a toutefois jamais été synonyme d’oubli. Les années semblent l’épargner. Alia el-Solh a beau affirmer sortir d’une grippe («Je ne suis plus habituée à l’air conditionné», précise-t-elle), elle n’en apparaît pas moins rayonnante dans son abaya rouge. Alternant élégamment le français, l’arabe et l’anglais, sa conversation est dense, truffée d’événements historiques et de prises de position courageuses, lancées avec la plus grande simplicité, comme s’il s’agissait de banalités. Chez cette dame, le courage semble en effet aller de soi, tout comme le sens de l’histoire puisque, comme elle le dit fièrement, «l’indépendance du Liban est née dans la maison de mon père». Après avoir baigné dans ce privilège, que peut-elle demander de plus ? Alia el-Solh clame haut et clair qu’elle n’a aucune ambition politique. «Je ne veux être ni députée, ni ministre, ni Premier ministre. À la limite accepterais-je d’être élue présidente de la République pour briser le cycle confessionnel dans lequel nous nous sommes enfermés», lance-t-elle avec une pointe d’humour. Non, son retour au pays n’est nullement dicté par la volonté d’y assumer une fonction publique. Son départ, après l’invasion israélienne, elle l’explique ainsi : «À un moment donné, pour survivre au Liban, il fallait se réfugier dans l’oubli. Moi j’ai voulu préserver la mémoire et la maintenir en vie pour moi et pour les autres». À cette époque aussi, le Liban était à la mode dans les instances internationales «car, ajoute-t-elle, les causes sont comme les chapeaux, elles obéissent aussi aux saisons, et j’ai voulu en profiter pour donner des conférences aux États-Unis notamment. Je lobbyais en quelque sorte pour le Liban, là où j’allais. Mais maintenant, je me suis rendu compte que la situation était si mauvaise qu’il ne suffisait plus de parler dans les capitales internationales. Les Libanais ne sont plus oubliés du monde, ils sont oubliés d’eux-mêmes. La prospérité y est monopolisée par un cercle fermé autour du pouvoir et le Liban est devenu une sorte de club Méditerranée au Bangladesh». « Le Liban-dont- la-sœur-est-la-Syrie » Mme el-Solh va encore plus loin. «Nous vivons aujourd’hui le syndrome de l’an I du dictateur, lorsqu’un nouveau régime militaire cherche à effacer le passé et à établir de nouveaux principes et de nouveaux points de repère. Mais le plus triste c’est que chez nous, le dictateur n’est même pas libanais. C’est comme si, aujourd’hui, l’histoire du Liban commence avec l’entrée des Syriens dans notre pays. Et pour les responsables actuels, le Liban seul n’existe plus. On dit désormais «Le Liban-dont- la-Syrie-est-la-sœur». De même, quand on parle d’indépendance et de liberté, on a l’air ridicule…». Dans ce cas, comment expliquer la réclamation du redéploiement des troupes syriennes et les critiques adressées aux Syriens dans la presse ? «Justement, il arrive un moment où les gens sont fatigués d’ajuster leurs croyances et de mettre sans cesse les pendules du bien et du mal à l’heure. Excédés, ils commencent à parler. De toute façon, la liberté est la raison d’être des Libanais. Ce n’est pas un slogan. Lorsqu’on a 17 confessions différentes, on ne peut avoir qu’un seul maître, la liberté. Un peu comme aux États-Unis, où le tissu social provient à l’origine d’horizons différents mais où tout le monde est lié par une même aspiration à la liberté». Pendant ses dix-sept ans d’absence, Alia el-Solh est retournée une fois au pays. Elle a été accueillie à l’AIB par l’immense portrait d’un président non libanais alors que le portrait du chef de l’État était à peine visible. Cela lui a suffi. Mais aujourd’hui, les choses ont été bien plus loin. Ce qui l’a d’abord frappée, c’est l’émigration des jeunes. «En général, on pense à émigrer vers l’âge de 30 ans, lorsqu’on a essayé de s’en sortir sans succès. Mais au Liban, dès l’âge de 18 ans, les jeunes ne songent qu’à l’émigration. C’est un peu tôt pour le désespoir. Dire qu’avant, le Liban était le pays du bonheur. Il y avait ici une qualité de vie qui n’existait nulle part ailleurs. Je voudrais raconter ce Liban-là aux jeunes pour qu’ils en aient la nostalgie et qu’ils aient le désir de se battre pour le retrouver. Il y avait certes des pauvres et des riches, mais le pays était un espace d’espoir et le pauvre pouvait en travaillant devenir riche. C’était le pays des opportunités où le rêve pouvait devenir réalité. Il n’y avait pas de murs infranchissables…». Selon elle, il faut que les jeunes redécouvrent que la citoyenneté libanaise n’est pas le fruit du hasard. C’est une vocation : «On naît ici avec l’idée de la coexistence et donc celle de la liberté». La liberté n’est-elle pas un luxe lorsqu’on vit une crise économique aussi grave ? «Pas du tout. La liberté est essentielle pour la prospérité. Quand on est libre, on peut exploiter ses biens et donner le meilleur de soi-même. D’autant que le Liban n’est pas un pays agricole ou industriel. Sa principale ressource c’est l’ingéniosité de ses fils et celle-ci ne s’épanouit que dans un climat de liberté. Or, malheureusement, aujourd’hui, les lois sont faites par les responsables pour permettre à d’autres de profiter de nos richesses, afin que eux puissent rester au pouvoir…». Les Palestiniens ont oublié qu’ils étaient des hôtes Certes, pour Mme Alia el-Solh, la Syrie n’est pas la seule source de nos maux, même si elle en assume une grande partie. Elle raconte ainsi qu’elle est la seule à pouvoir dire que feu le président syrien était un ami. «Je l’ai connu lorsqu’il n’était encore qu’un officier en colère, en Égypte dans les années 60. Et lorsqu’il est devenu président, il a tenu à me donner sa première interview. Il m’a d’ailleurs attendu de novembre 1970 à février 1971 parce que je me trouvais alors coincée à Genève pour mes enfants. C’est un homme qui avait de grandes qualités, mais j’aurais souhaité qu’il les utilise seulement dans son pays». Dès que les troupes syriennes sont entrées au Liban, Alia el-Solh a coupé les ponts avec Assad. Elle a pourtant de solides liens avec la Syrie puisque sa mère est de la famille Jabri. Elle raconte d’ailleurs à ce sujet que lorsque le Liban a obtenu son indépendance quelque temps avant la Syrie, le Premier ministre syrien de l’époque Saadallah Jabri est venu féliciter Riad el-Solh «sans réclamer la concomitance des deux volets». Alia el-Solh a aussi la même attitude envers les Palestiniens, quoique Yasser Arafat soit un de ses grands amis. «Mais lorsqu’il a oublié que lui et ses compagnons étaient des hôtes au Liban, j’ai décidé de rompre toute relation avec lui». C’est alors qu’elle a sorti cette phrase devenue célèbre : «Le chemin de Jérusalem ne passe pas par Sabra et Chatila», à laquelle Abou Ayad a répondu par la non moins célèbre : «Non seulement il passe par Sabra et Chatila, mais aussi par Jounieh». Aujourd’hui, Alia el-Solh dont le nationalisme arabe est plus qu’héréditaire, il fait partie de son identité, ne peut qu’être avec les Palestiniens. D’ailleurs, pour elle comme pour son père dont elle est la digne héritière, Israël est l’ennemi principal des Arabes et des Libanais en particulier, qu’ils veulent briser non seulement en temps de guerre mais aussi en période de paix. «Mon père connaissait les véritables ambitions israéliennes dans la région, qui dépassent la Palestine et visent l’ensemble du monde arabe. C’est d’ailleurs pourquoi il a été assassiné, alors qu’il essayait de convaincre le roi Abdallah 1er de Jordanie de s’allier avec son petit neveu Fayçal d’Irak pour reprendre la guerre contre les Israéliens et récupérer Jérusalem». Dès qu’il s’agit de son père Riad, Alia est intarissable. «C’était un freedom fighter comme on dit en anglais. Il avait coutume de dire que la liberté n’a pas de mur, mais elle doit avoir un plafond, la pérennité de la nation. Nous avons certes fait un mauvais usage de cette liberté, mais nous n’avons pas eu beaucoup de chance non plus. Il ne faut pas oublier que 5 ans après notre indépendance, Israël est né puis un an plus tard, il y a eu le premier coup d’État militaire dans la région. Pourtant, ce qui a tenu 30 ans peut tenir 30 siècles et le Liban vaut la peine qu’on se batte pour lui. Le pire qui puisse nous arriver c’est de douter de nous-mêmes. Or, je n’y vois aucune raison. Nous sommes les premiers à avoir obtenu notre indépendance dans la région et les seuls qui avions un pays ayant un pied dans le XXIe siècle. Nous sommes aussi les seuls à avoir libéré notre territoire et on ne peut le faire sans un fort sentiment d’appartenance à la terre. Les jeunes qui sont morts pour le Sud ne sont pas des mercenaires et ceux qui cherchent à nous diminuer ont leur terre toujours occupée. Nous n’avons rien dont nous puissions rougir. Nous avons simplement ouvert nos portes aux autres qui sont entrés avec leurs problèmes. Après avoir sollicité l’aide des autres, aujourd’hui c’est à nous de nous aider. Il ne faut plus se taire sur l’humiliation infligée, le doute en nous-mêmes et le vol qui appauvrit le pays». Seuls avec notre deuil Alia el-Solh raconte d’ailleurs sa première impression en arrivant au Liban : «J’ai eu la sensation de me retrouver dans une famille après le quarantième d’un décès, lorsque les amis et les connaissances sont partis et que les membres de la famille se retrouvent seuls avec leur deuil et leur peine et ils doivent affronter la réalité. C’est vraiment ce qui nous arrive et je veux être là, avec les membres de la famille». Rien ne met Alia el-Solh hors d’elle autant que la question sur «des arrangements» qui auraient précédé son retour. «Mais enfin, je rentre chez moi. Pourquoi aurais-je besoin d’une autorisation ? C’est insultant de me poser une telle question». Mais n’a-t-elle pas peur lorsqu’elle lance ses attaques ciblées ? «Ce que je dis, je le dis chez moi et chacun meurt à son heure. Non je n’ai pas peur, ce serait trahir la mémoire de mon père que de le faire»…
Dans l’immense palais de son père Riad, rescapé de tant de guerres et qui porte encore les cicatrices des dures épreuves traversées par la famille, Alia el-Solh reçoit ses visiteurs avec la grâce d’une grande dame et la détermination d’un leader. Encore un peu perdue dans ses affaires, la tête alourdie des doléances de tous ceux qui ont tenu à lui souhaiter la...