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Actualités - CHRONOLOGIES

Bilan - Le gouvernement depuis neuf mois au pouvoir - Rafic Hariri plus que jamais en chasseur de temps

Jeudi 26 octobre 2000. Par la grande porte, Rafic Hariri revenait au pouvoir. Le vrai. Celui que tous les dollars du monde ne pourraient jamais acheter. Véritablement plébiscité aux élections législatives deux mois plus tôt, l’homme qui déteste l’appellation «n° 3 de l’État» est nommé par le locataire de Baabda, bon gré mal gré, à la tête du second gouvernement du mandat Lahoud. Et son laïus place de l’Étoile, à l’issue de l’explosif et tonitruant débat de confiance, reste encore dans les mémoires. Nouvelle vague ou beaucoup de bruit pour rien ? Le problème, le très inquiétant problème, est justement là : neuf mois jour pour jour plus tard, il n’est toujours pas possible de donner à cette question la moindre réponse. De pencher, loin de tout manichéisme, vers l’une ou l’autre des deux hypothèses. Trop tôt pour dresser un bilan ? Évidemment, si l’on va plus loin que les neuf mois. Mais en neuf mois – l’image est certes facile – le titanesque gouvernement des Trente n’a toujours accouché de rien. Les sanctuaires pourris À ce stade, il ne semble y avoir qu’une certitude, une seule : Rafic Hariri est en train, plus que jamais, de chasser le temps. D’essayer d’en gagner. Ce qui ne l’empêche pas, loin de là, d’agir, de faire. Tout et n’importe quoi. Du bon et du mauvais. Du concret et du brassage de vent. De la transparence et du leurre... Une chose est claire, pourtant : malgré la succession de mises en scène spectaculaires, outrancières, de scandales déterrés par lui, Rafic Hariri a, pour la première fois, mis un sacré coup de pied dans la fourmilière. De très gros bâtons de dynamite dans des sanctuaires tellement dégénérescents, pourris, que rien ne semblait pouvoir les atteindre. Excédents surnuméraires, haschisch, Télé-Liban, UL, EDL, MEA, factures impayées, piratages téléphoniques, écoutes – même si, dit-on, il cache chez lui, comme les autres, du matériel d’écoute estimé à huit millions de dollars. La grogne sociale, elle, s’est faite chaque jour, depuis neuf mois, de plus en plus régulière. Rafic Hariri même, il y a trois semaines, s’est fait conspuer par les manifestants. Un Rafic Hariri qui s’en va-t-en guerre, donc, contre les tabous polymorphes. Pour assainir un tant soit peu la chose économique, pouvoir prétendre à de l’aide, de l’assistanat, de l’argent. Sauf que cela équivaut, en l’état, à soigner pour une bronchite un patient cancéreux, métastasé presque. Mais à quoi tout cela peut bien servir, c’est reculer pour mieux sauter, tant que le contexte politique – la gestion de la politique, les rapports entre politiques, etc. – reste ce qu’il est. En gros, ce sont les racines qu’il faut traiter. D’abord. Pas les innombrables mauvaises branches. Sauf qu’il faut bien commencer par quelque chose, rétorquera-t-on. Soit. Mais l’on revient au même problème : le temps, que le Liban n’a plus et que Rafic Hariri chasse. La solution serait plutôt de commencer par plusieurs choses. Flash-back. On dit que le maître de Koraytem a changé. On le dit, on en jure ses grands dieux. Qu’il a tiré des leçons – certaines leçons – de sa longue et catastrophique expérience au Sérail sous le mandat Hraoui. On dit qu’il commence un peu, sincèrement, à se rapprocher de son pays – le Liban. Qu’il commence à s’intéresser à son redressement. À sa résurrection. Qu’il commence à confondre, ce qui est une bonne chose, l’intérêt public avec son intérêt privé. Sauf que, franchement, quel sunnite normalement constitué ne rêve pas d’être le Premier ministre qui verra (fera ?), sous son règne, renaître le Liban ? Il y a aussi les Libanais. Rafic Hariri les fascine. Les agace. Il les ravit, les hérisse. C’est-à-dire que contrairement à la majorité de ses prédécesseurs, il n’en laisse aucun indifférent. Et il est nécessaire, parfois presque suffisant, d’écouter la rue. Indépendamment de son bon sens, et quoi que condescendent à en dire certains professionnels de la politique, elle a souvent l’instinct, la rue. «Le Liban a aujourd’hui besoin d’un homme d’affaires». Exact. Mais il a, aussi, besoin d’un homme rompu aux rouages de la politique. Rafic Hariri a, plus que tout autre, les défauts de ses qualités. Véritable bourreau de travail, avec la rage de vaincre ou la volonté d’être le meilleur et de le prouver, il a surtout le privilège – c’en est un, en quelque sorte – et le grand tort de croire, infailliblement, en sa (très, très, très) bonne étoile. C’est là que le fait de confondre expériences personnelles parfaitement réussies avec le destin et l’avenir d’un pays, d’une nation, devient carrément délétère. Les dossiers Flash-back. La composition du gouvernement d’abord. Trop large, trop disparate, trop hétérogène : il fallait faire plaisir à tout le monde. Sauf qu’à long terme, ce n’est définitivement pas viable. La solidarité gouvernementale a été, plus d’une fois, mise à mal. Avec Issam Farès, Sleiman Frangié, Élias Murr, Ali Kanso, Khalil Hraoui ou Jean-Louis Cardahi, c’est constamment sur le fil du rasoir. Les causes en sont tellement évidentes qu’il serait sans aucun doute superflu de s’y étendre encore : les nuisances de plus en plus pernicieuses de la troïka, les caractères incompatibles entre Émile Lahoud et Rafic Hariri et le manque larvé de respect et de considération de chacun des deux camps envers l’autre. Mais aussi cette constante, une règle d’or qu’on lui aurait fait répéter des centaines de fois : ne s’occuper que du dossier économique. Le dossier économique justement, et l’optimisme démesuré de Rafic Hariri. En face, il y a le grondement de la rue, les rumeurs. Et les certitudes : les rapports alarmants du FMI. Et c’est là que le Premier ministre et son gouvernement font tout pour gagner du temps. Durant son fameux voyage aux États-Unis – un véritable achievement mondain –, déjà, il a tout fait pour essayer de donner au Liban le luxe d’attendre. D’attendre, surtout, un Paris II. Un voyage américain au cours duquel l’on a bien voulu croire, l’espace d’un matin, au maintien de la Finul en son état. Un voyage américain au cours duquel George W. Bush, devant Rafic Hariri, a été plus que dithyrambique à l’égard de Bachar el-Assad. Corollaire immédiat au dossier économique : les fameuses fermes de Chebaa. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, Kofi Annan persistait et signait : l’armée doit se déployer au Liban-Sud. L’État, toutes classes confondues, continue, fermement, à s’y opposer. Quant aux relations au cours de ces neuf mois entre Rafic Hariri et le Hezbollah, elles ont bien failli, à plusieurs reprises, virer à la guerre des tranchées. Et ce n’est pas l’étonnant axe Hariri-Berry-Joumblatt, que le Premier ministre a fortement contribué à créer, qui risquera d’arranger les choses. Les relations libano-syriennes… Inutile de se leurrer, si tant est qu’un progrès ait été fait à ce niveau-là, ce n’est certainement pas à Rafic Hariri que le Liban le doit. Chose bien naturelle en somme, puisque l’inféodation à Damas est une condition sine qua non à la prise en main du Sérail. Bien plus coupables par contre, ses silences lors des tractations avant la libération des prisonniers libanais en Syrie, ou aujourd’hui, face aux nombreuses allégations sur ceux qui y croupiraient toujours. Et sur les charniers. Reste le dialogue national, pour lequel Rafic Hariri n’a pas encore fait ce que ses prédécesseurs n’ont pas pu, su ou voulu faire : participer à l’élaboration, au lancement, d’un véritable congrès national. Auquel appellerait le président de la République. Restent la démocratie et les libertés. «Je démissionnerai si l’on m’empêche de mener à bien ma croisade contre l’État-flic». La croisade a été bel et bien initiée, même si elle a connu quelques ratés (Walid Joumblatt à l’USJ, Gebrane Tuéni à Zahlé), même avec Michel Aoun en exil, Samir Geagea en prison. Restent enfin les jeunes. Qui s’en sont allés à plusieurs reprises, au cours de ces neuf mois, dans la rue, manifester. Des jeunes qui continuent de quitter ou de rêver de quitter le Liban. Question manifestants, force est de reconnaître que le Premier ministre a rattrapé ses erreurs de jeunesse. Dans l’absolu… Bref, en neuf mois, ni nouvelle vague ni beaucoup de bruit pour rien. Juste un gouvernement et son chef qui cavalent derrière le temps. Retardant au maximum l’heure de vérité. Mais mettant tout de même à profit ce gain pour faire, pour travailler. Mais sans vision. Sans vrai programme. Sans vrai respect des lois, dixit Nassib Lahoud. Et les bonnes intentions, à elles seules, on le sait, n’ont jamais été très convaincantes. Une dernière chose : Rafic Hariri, tout le monde le dit, c’est la dernière chance. «Qui d’autre que lui a, aujourd’hui, une quelconque possibilité de sauver le Liban ?» Certes. Il gagne par défaut. En relativisant. Mais si Rafic Hariri veut être autre chose qu’une bête de scène, qu’un phénomène de la politique, s’il veut l’Histoire, il lui faudra prouver qu’il est réellement, dans l’absolu, the right man at the right place. À ce moment-là, il aura réussi son pari insensé.
Jeudi 26 octobre 2000. Par la grande porte, Rafic Hariri revenait au pouvoir. Le vrai. Celui que tous les dollars du monde ne pourraient jamais acheter. Véritablement plébiscité aux élections législatives deux mois plus tôt, l’homme qui déteste l’appellation «n° 3 de l’État» est nommé par le locataire de Baabda, bon gré mal gré, à la tête du second gouvernement du...