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Actualités - REPORTAGES

Une longue carrière à Beyrouth (1923-1952)

Gabriel Bounoure entame sa longue carrière au Levant à la rentrée scolaire d’octobre 1923. Par arrêté du 1er octobre 1923, il est nommé inspecteur de l’enseignement secondaire auprès du conseiller pour l’instruction publique du haut-commissariat. En plus de ses attributions à l’échelon central de l’administration mandataire, il est chargé des fonctions de conseiller auprès du directeur libanais de l’instruction publique. Celui en qui l’on reconnaît déjà une forte personnalité supporte mal de devoir rendre des comptes à Francis Duthoit, son supérieur hiérarchique au Grand Sérail, jeune administrateur des colonies, comme lui ancien élève de l’École normale supérieure. Chargé des intérêts du Grand Liban, Gabriel Bounoure se comporte de manière totalement indépendante et sa première année à Beyrouth est marquée par une violente polémique autour des programmes scolaires établis sans concertation par Francis Duthoit. Cette absence d’unité d’action entre les deux principaux responsables de l’enseignement du français révèle un désaccord profond, non seulement sur les méthodes et la pédagogie, mais sur la doctrine du mandat. Gabriel Bounoure considère que son chef se rattache à la première, lui à la seconde. Très malicieusement, il joue sur la mauvaise réputation des administrateurs des colonies auprès des politiciens libanais et accuse son chef de vouloir mener une sorte de colonisation intellectuelle du Grand Liban. Autre preuve de son habilité : en dépit de ses affinités avec les «libéraux» libanais, de ses prises de position parfois hostiles à la politique des hauts commissaires, des rumeurs qui courent sur son appartenance à la franc-maçonnerie, il a su gagner l’estime du père Chanteur et de la plupart des religieux. Enfin, avec nombres d’officiers de l’Armée du Levant, il entretient de solides amitiés dont certaines datent des années passées dans les tranchées. En 1925, l’arrivée du général Sarrail bouleverse la hiérarchie mise en place par le général Gouraud. Francis Duthoit, attaché à perpétuer le soutien traditionnel aux «œuvres françaises», entre en disgrâce et le général Sarrail s’efforce d’obtenir son rappel et son remplacement par celui à qui il a donné sa confiance et qui lui paraît plus à même de réaliser sa politique scolaire, Gabriel Bounoure. Ces efforts sont vains. Au Quai d’Orsay, Édouard Herriot puis Aristide Briand, alertés par les congrégations sur les misères que leur fait subir le haut commissaire et sur le projet qu’on prête à ce dernier d’une laïcisation de l’enseignement au Liban, exigent le statu quo. À la suite du rappel brutal du général Sarrail, Gabriel Bounoure aura du mal à se défaire de l’image de collaborateur rebelle, à l’esprit par trop systématique, incapable d’appliquer une idée qui n’est pas la sienne. Le professeur Cavalier, recteur de l’Université de Lyon, venu inspecter le service à la fin de 1925, considère qu’il peut être «dangereux» d’en faire un chef de service. Bien évidemment, toute collaboration est impossible entre lui et Francis Duthoit, qui a retrouvé son service au haut-commissariat. Le ministère des Affaires étrangères exige la réorganisation complète du service de l’instruction publique et au mois de janvier 1926, le recteur Cavalier accepter le poste de directeur général. Ce n’est qu’au printemps 1927 que la situation évolue favorablement pour Gabriel Bounoure avec les retours en métropole du professeur Cavalier et de Francis Duthoit. À la rentrée scolaire de 1928, il obtient enfin le poste qu’il convoitait, ou plutôt les postes. Deux arrêtés du 18 octobre pris par Gaston Maugras, haut-commissaire par intérim, le nomment inspecteur général des œuvres françaises des États du Levant sous mandat français et conseiller pour l’instruction publique auprès du haut-commissaire. Il est dès lors le grand patron pour tout ce qui relève, de près ou de loin, de l’enseignement et plus généralement des affaires culturelles. Gabriel Bounoure perçoit cependant assez vite que son service ne répond qu’imparfaitement aux exigences du mandat et en réclame une réorganisation. Celle-ci doit selon lui renforcer l’action de la France à Damas et marquer une nette discrimination entre deux entités jusqu’alors fondues en une seule : les «œuvres françaises» et le service de l’instruction publique. En 1923, il obtient le rattachement, d’un point de vue administratif et comptable, des «œuvres françaises» aux services consulaires et se voit ainsi déchargé d’une très lourde comptabilité. Il continue cependant à exercer les fonctions d’inspecteur général des établissements d’enseignement français et assiste le consul pour l’administration financière et technique (budget annuel, répartition des subventions, programmes scolaires, contrôle pédagogique et scientifique, etc.). Pour toutes ces questions, Henri Ponsot l’autorise à communiquer directement avec le service des œuvres du Quai d’Orsay. Au titre de ce que l’on appelle désormais «les services du mandat», et il est nommé inspecteur général de l’instruction publique du haut-commissariat et se trouve détaché dans les fonctions de conseiller pour l’instruction publique de l’État de Syrie. Aussi réside-t-il, en alternance, à Beyrouth et à Damas. Les années trente sont véritablement pour lui des années fastes, même s’il fait régulièrement état de la faiblesse de ses moyens qui bride ses ambitions en matière d’action artistique et de coopération intellectuelle. Il a su s’entourer d’une équipe de talentueux et fidèle collaborateurs, parmi lesquels figure Georges Schéhadé. Ses talents littéraires lui ont assuré la bienveillante sympathie des «politiques» du haut-commissariat, comme les diplomates Jean Chauvel ou Henri Hoppenot. Surtout, il s’efforce de préparer «l’après-mandat» et c’est à lui que l’on fait régulièrement appel pour nouer, renouer et entretenir les contacts avec les nationalistes de Damas. En 1938, alors que très rares sont les fonctionnaires français qui peuvent faire état d’une ancienneté comparable à la sienne, son ministre de tutelle lui accorde le renouvellement de cinq ans de son détachement. En juillet 1941, il se rallie à la France libre et le général Catroux le maintient tout naturellement au poste de conseiller de la délégation générale au Levant. Il manifeste toujours autant son souhait de voir consacrée l’indépendance de la Syrie et du Liban mais en 1945, la rupture brutale avec Damas lui cause de cruelles déceptions. Il prépare non sans amertume un avenir qui semble particulièrement compromis en Syrie et négocie des mois durant pour permettre à l’œuvre éducatrice de redémarrer, sachant bien qu’une élimination culturelle risque fort de compléter l’éviction politique de la France. «Notre chance, notre raison d’espoir, écrit-il, est d’avoir en 25 ans formé toute une génération à la française. Les anciens élèves de nos écoles du Levant ou de nos universités de la métropole sont partout dans les grands emplois et tiennent les postes de commande». S’il croit assez peu à un rétablissement des missions religieuses, il estime en revanche que les progrès de l’enseignement libre syrien qui combat l’inspiration totalitaire des programmes officiels peuvent être utiles à l’enseignement du français. Au Liban, en revanche, l’avenir paraît beaucoup plus souriant. Il voit se réaliser un de ses rêves avec l’ouverture de l’École supérieure des lettres. Le 30 novembre 1944, il écrit à son ami Jean Chauvel : «Le gouvernement libanais a donné son accord pour l’ouverture de cette institution nouvelle, dont l’ouverture a été annoncée au public et aura lieu le 3 janvier. Nous avons eu les plus grandes difficultés pour trouver un local. Finalement et après avoir presque désespéré, nous avons pu mettre la main sur une belle maison, non loin de l’habitation de notre cher poète Georges. C’est un hôtel de grand notable levantin, avec festons et astragales et tout ce que comporte le baroque Abdul-Hamid. Il sera étrange de parler de Pascal sous ces lambris». Les premiers résultats sont encourageants. Gabriel Bounoure est nommé directeur de son école, son titre étant transformé plus tard en celui de chef de la mission universitaire française au Liban. Cumulativement, il assure les fonctions de conseiller culturel près l’ambassade de France à Beyrouth. Mais à Paris, la direction générale des relations culturelles, créée aux lendemains de la guerre, s’efforce de résoudre ce qui est véritablement devenu un «problème» : la mutation de Gabriel Bounoure, dont le séjour à Beyrouth compte presque trois décennies. On songe à une mission pédagogique en Colombie sous les auspices de l’Unesco, à l’Institut français de Barcelone, au Centre méditerranéen de Nice, etc. Au printemps 1952, la publication d’une lettre à son ami égyptien, le Dr Badaoui, dans laquelle il critique la politique de la France en Afrique du Nord, provoque une assez vive campagne d’opinion. Le rappel paraît inévitable mais ne sera pas immédiat, le Quai d’Orsay craignant qu’il apparaisse comme une sanction et un désaveu de l’œuvre accomplie. En dépit des manifestations de sympathie qui affluent à l’ambassade de France, Gabriel Bounoure ne tente aucunement de conserver son poste. Au mois de juin 1952, il quitte définitivement le Liban. Conservateur en chef du patrimoine aux archives du ministère français des Affaires étrangères
Gabriel Bounoure entame sa longue carrière au Levant à la rentrée scolaire d’octobre 1923. Par arrêté du 1er octobre 1923, il est nommé inspecteur de l’enseignement secondaire auprès du conseiller pour l’instruction publique du haut-commissariat. En plus de ses attributions à l’échelon central de l’administration mandataire, il est chargé des fonctions de conseiller...