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Actualités - CHRONOLOGIES

Le très haririen Misbah Ahdab assène au gouvernement ses quatre vérités

L’ambiance est vraiment à la reprise. Presque une reprise des cours d’école après de grandes vacances. Ambiance détendue, presque potache. Sauf que l’occasion de ces retrouvailles est un tantinet plus sérieuse : c’est le débat budgétaire qui reprend, place de l’Étoile, après quinze jours d’interruption. Les députés s’embrassent, se saluent, rigolent, font des apartés. Le mi-Kataëb mi-Hezbollah Nader Succar est habillé comme on le fait pour aller à la plage. Il a déjà presque une demi-heure de retard, Albert Moukheiber est là, enfin, digne vieux lion de la montagne, assis à sa place, droit comme un I. Tout le monde attend Nabih Berry. Il entre avec Rafic Hariri, la séance peut commencer, il est 10h56. Nabih Berry, au nom de la présidence, s’excuse du retard. Il explique qu’il recevait, en compagnie du Premier ministre, des délégations de manifestants (chauffeurs de taxi, habitants de Baalbeck-Hermel, membres de la MEA), «il y avait beaucoup de demandes…». La nouvelle session extraordinaire est déclarée ouverte, juste avant que Nicolas Fattouche ne se lève avec son désormais célèbre «Le règlement dit que…». En fait, l’inénarrable député de Zahlé demande carrément, et à sa manière, à la présidence d’autoriser les parlementaires à intervenir de nouveau, puisque justement, «c’est une nouvelle session». Berry : «Toute cette “parabole” (sic) que tu as utilisée pour arriver à ta demande, ça me plaît». Ce qui n’a pas empêché le n° 2 de l’État de refuser de souscrire à sa demande. Tout en reconnaissant qu’il a raison. Premier à prendre la parole, Ghattas Khoury. L’ancien président de l’Ordre des médecins va, cela s’entend, accorder une part importante de son temps de parole au secteur de la santé. Il commence même par mettre en garde contre le danger de «schizophrénie» qui guette l’homme politique lorsque ce dernier s’éloigne de la transparence, «des mots comme des actes». Plus concrètement, le député haririen de Beyrouth rappelle que les dépenses du ministère de la Santé ont augmenté de près de 15 %, et que cela est destiné à durer. Rendant (très sérieusement) hommage «au courage et à l’enthousiasme débordant» de Sleimane Frangié quand il s’agit de venir en aide aux nécessiteux, il prévient néanmoins de «l’imminence de la catastrophe». Parce que le dossier doit être traité avec «objectivité», explique-t-il. Étant donné que la facture hospitalière augmente, selon lui, de 15 à 20 % par an, «elle a atteint l’an dernier la somme d’un milliard huit cents millions de dollars, c’est-à-dire près de 11 % du PIB», prévient Ghattas Khoury. Et ce qu’il préconise est le suivant : que la Sécurité sociale devienne une Caisse nationale pour l’assurance médicale et que l’ensemble des autres caisses officielles – y compris la coopérative des fonctionnaires – se retire du processus d’hospitalisation. «Il faudrait redynamiser les hôpitaux gouvernementaux, et notamment l’hôpital gouvernemental de Beyrouth. Et puis le matériel médical a été adjugé par le CDR, sans demander l’avis du corps médical hospitalier. Qui n’existe pas d’ailleurs. Il y a là un gaspillage et un non-respect d’une règle suivie mondialement et qui veut que ce soit l’utilisateur qui choisisse l’équipement médical», accuse-t-il. Avant de conclure, sans surprise, par un vibrant hommage au gouvernement et à son chef. Pas très écouté, le député de Beyrouth… Au point que Nabih Berry exige le silence, après avoir demandé, légèrement agacé, à l’Assemblée, de quoi il s’agissait. Des critiques, et encore des critiques… Pas très écouté, contrairement à son successeur à la tribune, à savoir le député de Minié, Saleh Kheir. Qui a été, à de nombreuses reprises, chaleureusement applaudi par ses pairs. Non qu’il soit un orateur hors pair ou que ses analyses socio-économico-politiques fassent référence, mais simplement parce qu’il fait, comme toujours, rire l’ensemble des parlementaires ou des ministres – les généralement impassibles Hussein Husseini et Issam Farès inclus. «À qui voulez-vous que l’on se plaigne si les responsables eux-mêmes se plaignent ? Les avocats sont devenus des agents de la circulation, les ingénieurs des chauffeurs de taxi», s’époumone-t-il, pendant que Walid Eido surenchérit : «Le chauffeur est effectivement ingénieur, mais où va le monde ?». Et Nabih Berry, un peu plus tard, de lui demander pourquoi il s’attaque infatigablement au ministre des Finances Fouad Siniora, «tu le prends pour un dinosaure ou quoi ?»… Samir Jisr se cache le visage avec les mains, et Saleh Kheir continue, imperturbable, de critiquer le gouvernement, sa politique économique en général et sa gestion des privatisations en particulier. Sans hésiter une seconde à affirmer la nécessité «de créer un ministère du Plan» – oubliant à quel point celui-ci est désormais préhistorique –, tout comme celle, nettement plus légitime cette fois, d’«en finir avec la corruption». Quant au député (berriste) et homme d’affaires Yassine Jaber, il oublie, lui aussi, d’être tendre avec le gouvernement et axe son intervention sur la privatisation. En posant à l’équipe Hariri une question essentielle : «Comment allez-vous utiliser l’argent que vous récupérerez des privatisations ? À l’aune, évidemment, de la restructuration de la dette…». Affirmant que le gouvernement «a certes pris des décisions économiques courageuses», il a clairement déploré le fait que celles-ci n’ont pas, «pour l’instant», donné les résultats escomptés. «Il s’impose au gouvernement de s’adresser franchement aux Libanais, de les inviter à la “résistance pour le développement”. Une résistance autour de laquelle ils s’uniront, parce que les bases d’une solution à nos problèmes, c’est à l’intérieur qu’il faudra aller les chercher. Cette solution ne dépend que de notre volonté à nous, les Libanais», assure-t-il. Soulignant qu’il fallait impérativement revoir et rouvrir les relations libano-africaines, étant donné que les Libanais d’Afrique apportent beaucoup à l’État. «Qui ne le leur rend pas comme il le faut», précise le député de Nabatieh. «Que fait le gouvernement pour attirer les investisseurs ? Que fait-il pour ceux qui sont déjà là ? Le temps joue contre nous. Il est urgent de prendre, rapidement, les mesures adéquates, parce que nous sommes au bord du gouffre. On ne peut plus ajourner, ni reporter», ajoute-t-il. En faisant – et c’est une première depuis le début de la séance – allusion au redéploiement syrien : «Il participe à l’intégration. Avec un but, celui de trouver une solution à la crise économique.» Le festival Ahdab Et c’est Misbah Ahdab qui met le doigt là où ça fait mal. Au cours d’une intervention-mise en garde presque exhaustive, le très haririen député de Tripoli n’hésite pas, parfois avec véhémence, à dire la vérité toute crue. Un flot un peu désordonné certes, et souvent interrompu par un ping-pong verbal mi-figue, mi-raisin avec Nabih Berry. Misbah Ahdab tient d’abord à rapporter, en plein hémicycle, les mots de la rue. Ceux concernant le retard de quinze jours dans la poursuite du débat budgétaire. Encouragé, avec un sourire jaune, par le locataire de Aïn el-Tiné, il dit : «Les gens affirment que les hommes du pouvoir sont dans une vallée, le peuple et le budget dans une autre». Rappelant la «bombe Sabeh» de la dernière séance – écoutes et «services» –, il engage le gouvernement à se souvenir qu’il y a une loi, et qu’elle doit être utilisée, «même si les décrets d’application n’ont pas paru». Et d’évoquer ensuite le fond du sujet : les tiraillements au sein du pouvoir. «Il faut séparer et équilibrer les pouvoirs, parce que ces tiraillements influent négativement sur le climat général, tant politique qu’économique. Tout ce que nous voulons, c’est que les bases de ces réconciliations successives soient sues et connues de tous, pour pouvoir se répercuter positivement sur le climat général. Tant que ces bases resteront obscures, les réconciliations seront interprétées par le clientélisme et la reconsécration de la troïka», assène-t-il. Berry : «Tout sera fait comme tu le souhaites». Ahdab : «Merci. Merci beaucoup». S’ensuit alors un mini-débat économique entre le jeune député et le Premier ministre sur la marge de développement prévue par le budget, une marge estimée à 10 ou 12 % par Misbah Ahdab. Berry : «(le Premier ministre) te fait perdre ton temps». Ahdab : «Mais je compte sur votre générosité, monsieur le président. Saleh Kheir a beaucoup parlé, lui.» Berry : «Oui, mais lui s’appelle Kheir (chance, bonheur)…». Et le parlementaire tripolitain d’enchaîner en insistant sur l’assainissement administratif, demandant que chaque ministre s’explique, au cours d’une séance spéciale, devant l’hémicycle. «Nous remercions le ministre Aridi, mais est-ce que cela suffit ? Ne doit-on pas continuer dans ce sens ?», demande-t-il. Provoquant par là un échange de propos aigre-doux entre Nabih Berry et Rafic Hariri, le premier affirmant que les délais accordés par le gouvernement aux différents ministères «sont désormais révolus». Et Misbah Ahdab de dénoncer les «emplois et les placements politiques. C’est inadmissible. Et comment voulez-vous que l’on s’occupe de l’administration alors qu’on n’a toujours pas désigné les doyens de l’UL ?». Au sujet de l’Irak, il déplore l’absence de relations bilatérales, donne pour exemple la Tunisie et l’Égypte, cite un article de la législation onusienne. Amenant le Premier ministre à indiquer que le Liban est «en négociation avec l’Irak». Et Boutros Harb à interroger alors Rafic Hariri pour savoir si une demande (d’exemption concernant l’embargo contre l’Irak) avait été formulée auprès de l’Onu. Sans réponse… Et avec le piratage des communications internationales, qu’il dénonce, Misbah Ahdab a failli créer une dispute en bonne et due forme entre les nos 2 et 3 de l’État. Berry, à Hariri : «Qu’est-ce que tu fais entre-temps, toi ? Tu regardes ?». Hariri, manquant s’étrangler : «Non, je ne regarde pas». Un sujet ultrasensible qui créera un véritable scandale, le soir, lors de la réponse du gouvernement. Concernant le service du drapeau, Misbah Ahdab, qui avait été à l’origine de la proposition de loi, rappelle que le gouvernement n’a toujours pas donné de réponse. Sur quoi Nabih Berry promet d’envoyer le dossier en commissions. Sachant que c’était lui-même qui le faisait traîner… Et au sujet du procès de Denniyé, le jeune député avertit le gouvernement : «Il ne faut pas traiter ceci politiquement», assène-t-il. Et c’est à ce moment-là qu’il enfonce le couteau dans la plaie et dénonce le manque de responsabilité de l’État à propos des forces de sécurité du pays, dont il rappelle qu’elles sont très nombreuses. Et incapables d’assurer la sécurité, «ils se font même tirer dessus», dit-il, dans les ghettos d’insécurité présents à Tripoli. Tout cela à l’aune du redéploiement syrien. Et d’un éventuel autre à Tripoli... La mise en garde, tout en douceur et en sous-entendus, est de taille. Et après avoir stigmatisé l’absence totale de la justice, il termine en rapportant une rumeur qu’il avait lue dans la presse, au sujet d’une promesse faite «à certains» par le président syrien Bachar el-Assad, celle de redynamiser les projets de développement dans la ville de Tripoli. «On sait que tout cela est faux, mais dans tous les cas, il est très grave que le gouvernement cautionne, en se taisant, cela», martèle Misbah Ahdab. En demandant aux députés tripolitains de «s’excuser» au moment du vote... Deux députés clôturent ensuite, par leur intervention, la séance matinale. Abdel Rahman Abdel Rahman, qui indique que la solution au déficit et à l’endettement tient dans des dépenses raisonnables et une augmentation des recettes. Youssef Maalouf, enfin, qui se demande si les tiraillements et les conflits sont désormais enracinés dans le quotidien politique des Libanais.
L’ambiance est vraiment à la reprise. Presque une reprise des cours d’école après de grandes vacances. Ambiance détendue, presque potache. Sauf que l’occasion de ces retrouvailles est un tantinet plus sérieuse : c’est le débat budgétaire qui reprend, place de l’Étoile, après quinze jours d’interruption. Les députés s’embrassent, se saluent, rigolent, font des...