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Actualités - INTERVIEWS

ENTRETIEN - Le député arabe attend le bon timing pour se rendre au Liban - Azmi Béchara : « Israël se dirige vers un régime d’apartheid »

Une carrure de colosse et un langage raffiné et profond de professeur de philosophie se sont pas la moindre des contradictions de Azmi Béchara. Le député arabe à la Knesset allie aussi une identité nationaliste arabe marquée à la citoyenneté israélienne. Comment parvient-il à concilier ces inconciliables ? «L’essentiel est de ne pas faire de compromis sur les choses essentielles, tout en restant pragmatique». Dans sa chambre d’hôtel, l’homme ne tient pas en place, comme un lion qui flaire une bataille féroce. Samedi soir, il sera de nouveau en Palestine et il sait qu’il devra s’attendre au pire. Mais depuis qu’il a laissé tomber l’enseignement pour se battre pour le droit à la reconnaissance des Arabes d’Israël, Azmi Béchara sait que sa vie est un long combat... C’est l’un de ses plus longs séjours en Syrie. Presque une semaine et déjà, il a hâte de rentrer chez lui. Chez lui, c’est cette terre de Palestine gorgée de sang et qui n’en finit plus de distiller la haine. Mais pour rien au monde le Dr Azmi Béchara ne voudrait l’abandonner, malgré toutes les menaces rapportées depuis dimanche par la presse internationale. A-t-il le sentiment que cette fois c’est plus sérieux que d’habitude ? «Le tollé et les mesures prises contre moi à chacun de mes voyages en Syrie sont toujours sérieux, mais cette fois, l’État hébreu a, en plus, exploité la mobilisation de l’opinion publique depuis l’attentat de Tel-Aviv pour exécuter enfin son plan d’encercler le courant nationaliste de l’intérieur». Les Israéliens auront du mal à prouver leurs accusations Selon lui, les responsables préparent des dossiers afin de le mettre hors la loi et de le traduire en justice. «Ils ne peuvent pas m’interroger sur le contenu de mon discours, car les propos d’un député sont couverts par l’immunité parlementaire. Mais ils cherchent à m’accuser de tendre la main à l’ennemi en période de guerre et d’avoir des contacts avec des organisations terroristes. Ce qui n’est pas couvert par l’immunité parlementaire». A-t-il eu effectivement des contacts avec de telles organisations ? «Je me trouve à Damas et en tant que nationaliste arabe, j’ai eu des contacts avec tout le monde. Cela ne signifie pas pour autant que j’ai tendu la main à l’ennemi en période de guerre. De toute façon, je ne considère pas le Hezbollah comme une organisation terroriste». Azmi Béchara estime que les responsables auront du mal à prouver leurs accusations, d’autant que c’est au plaignant de prouver ses dires. «Mais au-delà de ma personne, ce qu’ils veulent, c’est ôter toute légitimité légale à la pensée politique que nous représentons à l’intérieur. En tout cas, je suis prêt à affronter les interrogatoires». Ce ne sera d’ailleurs pas la première fois. Azmi Béchara a déjà été convoqué à deux reprises pour interrogatoire, la première fois parce qu’il avait exprimé sa solidarité avec l’intifada et la seconde parce qu’il s’était rendu en Syrie sans en avoir demandé la permission. «En vérité, je ne demande jamais la permission. Je refuse de le faire, par principe». Sent-il qu’à travers lui, les responsables israéliens veulent se venger des Arabes israéliens ? «Nous autres, nous ne disons pas Arabes israéliens mais Arabes d’Israël. Je ne crois pas que les responsables israéliens cherchent à se venger. Ce n’est pas ainsi qu’ils fonctionnent. Ils veulent surtout effrayer notre courant. Leur objectif est politique, non personnel. Notre mouvement a pris de l’ampleur à partir d’octobre. Je crois que depuis cette date, ils ont programmé de lui porter des coups afin de l’encercler. Enfin, je crois surtout que les responsables israéliens veulent redessiner la démocratie israélienne pour qu’elle n’englobe plus les Arabes». Dans ce cas, comment n’avait-il pas prévu les ennuis qui pourraient lui arriver en participant à la cérémonie de Cardaha ? «En vérité, lorsque j’ai reçu l’invitation, j’ai hésité à y répondre positivement. Mais je me suis finalement dit que les acquis obtenus en nouant des liens avec la nation arabe, avec le peuple et l’État syriens méritent le risque. Je ne peux plus renoncer à ces acquis. Et le président Hafez el-Assad avait fait une distinction entre les liens avec les Arabes en Israël et la conclusion de la paix. C’est le seul chef d’État arabe à l’avoir fait. Nos relations avec la nation arabe dépassent ainsi les remous des négociations». Joumblatt a refusé de parler au ministre druze C’est le septième voyage de Béchara en Syrie. La première fois, il était venu avec un groupe de 30 personnes venues voir leurs familles en Syrie et l’intifada a éclaté. «Nous avons eu peur pour ces personnes. Heureusement tout s’est bien passé». Jusqu’à présent, 800 Arabes d’Israël ont pu renouer des liens avec leurs familles installées en Syrie et Béchara compte poursuivre sur sa lancée. Pour lui, c’est une question nationale et il ne regrette pas sa venue ici. La véritable cause de ses soucis serait-elle sa non-condamnation de l’attentat de Tel-Aviv, vu qu’il est seul parmi les députés arabes à ne pas l’avoir fait ? Au fait, appuie-t-il ce genre d’action ? Azmi Béchara ne veut pas aborder ce sujet. Passons donc à autre chose. Quel rôle a-t-il joué dans la rencontre entre Walid Joumblatt et des druzes israéliens ? «L’idée de cette rencontre a été lancée il y a trois ans, au cours d’une rencontre entre lui et moi à Damas. Mais elle n’a pas pu se faire avant pour diverses raisons. Finalement, Walid Joumblatt a rencontré des druzes qui refusent de servir dans l’armée israélienne, car il voulait participer à la démarche d’arracher les druzes à l’influence d’Israël. Les personnes qu’il a rencontrées appartiennent à notre courant. Je n’ai pas assisté à la rencontre, mais j’ai vu Joumblatt à Amman. Je ne crois pas que cette initiative ait le moindre lien avec ses relations avec la Syrie. Pour moi, il est l’allié de ce pays, mais cela n’empêche pas l’existence de divergences. C’est d’ailleurs ainsi que cela doit se passer. Ce que je peux dire, c’est que le ministre druze Saleh Tarif a essayé de le contacter à plusieurs reprises lorsqu’il se trouvait à Amman et Joumblatt a refusé de lui répondre». Pense-t-il que la récente nomination d’un général druze soit liée à l’initiative de Joumblatt ? «Peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe un malaise chez les druzes en Israël. Ils servent dans l’armée, ont les mêmes devoirs que les juifs mais pas les mêmes droits. Les responsables ont finalement décidé de réagir en leur accordant quelques privilèges pour mieux les absorber». On a beaucoup disserté sur son éventuel rôle de médiateur entre les Syriens et les Israéliens. Qu’en est-il exactement ? «Je ne suis pas un médiateur ni un facteur. Je suis un militant et un homme politique, non un diplomate. D’ailleurs, pourquoi les Israéliens et les Syriens auraient-ils besoin de moi alors qu’il y a tant de médiateurs, à commencer par Albright, Dennis Ross, Moratinos, Amr Moussa etc ? Mon rôle à moi consiste à consolider les liens entre les Arabes de l’intérieur et l’environnement arabe». Je ne suis pas un médiateur ni un diplomate Comment les Israéliens le laissent-ils faire ? Son initiative n’est pas dans leur intérêt. «S’ils veulent vraiment être une démocratie parlementaire, c’est le prix à payer. C’est vrai qu’il y a un manque de culture arabe dans ce domaine. Pour les Arabes, il y a toujours un complot ou des desseins occultes. Mais en ce qui me concerne, c’est illogique. Je ne peux pas être un médiateur puisque je suis considéré comme un extrémiste et ma relation avec les responsables syriens est basée sur la confiance. S’ils m’écoutent, j’en suis fier, après tout je suis un académicien et un analyste. Mais si je transportais des messages, je l’aurais dit. Il n’y a aucune honte à occuper ce rôle. Sauf que ce n’est pas le mien». Comment a-t-il réagi lorsque les autorités libanaises l’ont refoulé à la frontière ? «C’était il y a longtemps. Je crois qu’il s’est agi d’un manque de coordination entre ceux qui m’avaient invité à un colloque sur la mondialisation et certaines autorités. Depuis, le problème a été réglé et j’ai reçu plusieurs invitations, mais je préfère attendre le bon timing pour y répondre. Je ne veux pas fournir des prétextes aux responsables israéliens pour me lancer de nouvelles accusations. La Syrie, c’est devenu banal, mais le Liban, c’est plus compliqué». Au début de l’intifada, de nombreuses voix arabes en Israël lui déclaraient leur appui. Aujourd’hui, elles se sont tues. Les responsables israéliens ont-ils donc réussi à les mater ? «La rue continue à appuyer l’intifada. Mais c’est vrai qu’il n’y a plus comme au début des affrontements avec la police. Il ne faut pas oublier que les Arabes en Israël n’ont pas beaucoup de moyens. Leurs conditions sont difficiles». Finalement, où va leur allégeance ? «Nous avons une seule appartenance : nous sommes des Arabes palestiniens. Nous avons la citoyenneté israélienne depuis 1948. Nous essayons de rester dans le cadre de la loi, mais nous ne pouvons pas renoncer à notre identité nationaliste arabe pour nous fondre en Israël. C’est certes une contradiction, mais ce n’est pas une honte. Il y a aussi des contradictions en Syrie, au Liban. L’essentiel est que les positions ne soient pas contradictoires. Nous essayons de ne pas faire de compromis sur les questions fondamentales, tout en composant avec la réalité». Ne vaudrait-il pas mieux renoncer à la citoyenneté israélienne ? «Pour devenir un réfugié et vous m’accueillerez au Liban ? Si le prix à payer pour rester dans mon pays est d’obtenir la citoyenneté israélienne, je le paie mais je refuse de renoncer à mon identité. J’essaie de trouver un équilibre dans mes contradictions. Mais je refuse de n’avoir que deux choix : soit être un réfugié, soit me fondre dans la société israélienne». Les responsables israéliens ont donc raison de se méfier de lui ? «Ils ne peuvent pas compter sur moi, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Nous sommes les habitants de ce pays et nous en sommes fiers. Ce sont les Israéliens qui sont venus. Ils ont fait un compromis en acceptant de me laisser parler, mais moi aussi j’en ai fait un en acceptant d’entrer à la Knesset. Au lieu de me faire la grâce d’être tolérants avec moi, qu’ils me rendent mon pays. Ils m’ont pris ma patrie et maintenant, ils se vantent de me donner la citoyenneté. Je trouve cela un peu fort. Je ne peux pas parler avec ceux qui sont en admiration devant la démocratie israélienne, car ils ne comprennent pas que cette démocratie ne joue que pour les juifs et elle est née sur les décombres de la Palestine. Et les juifs n’ont laissé en 1948 que 150 000 Palestiniens. Pour leur malheur, nous sommes devenus aujourd’hui un million. Quant aux régimes arabes, ils ne resteront pas éternellement fermés. Je crois que le processus démocratique est lancé». Si, un jour, un État palestinien voit le jour, restera-t-il en Israël ? «Oui, je resterai chez moi. Nous ne sommes pas des réfugiés, mais des citoyens de seconde et de troisième zone». Comment voit-il l’avenir pour les Arabes en Israël ? «Nous nous dirigeons vers un véritable régime d’apartheid. La coexistence a des fondements. Elle ne peut exister lorsqu’une partie étouffe l’autre. La partie dominante peut parler de coexistence, pas celle qui est écrasée. Mon combat est de préserver l’identité arabe à l’intérieur». Face à la montée des extrémismes dans la société israélienne, où en est selon lui le processus de paix ? «Nous ne nous dirigeons certes pas vers une paix. Les Israéliens, responsables et peuple, n’y sont pas prêts. Pour eux, ce qu’ils ont consenti à Camp David est vraiment le maximum». Dennis Ross a pourtant accusé récemment Arafat d’avoir laissé passer une sérieuse chance de paix à Taba. «Dennis Ross n’a jamais été un arbitre. Il a toujours été du côté des Israéliens, adhérant totalement à leurs vues. À mon avis, les Israéliens n’ont pas fait de concessions à Taba, ni sur Jérusalem, ni sur les réfugiés, ni sur les colonies, ni même sur les frontières puisque leurs promesses sont restées lettre morte, ils n’ont jamais accepté d’entrer dans les détails et d’étudier les tracés sur des cartes. Les Américains le savaient mais espéraient malgré tout que certaines parties palestiniennes accepteraient ces propositions. La même chose s’est déroulée avec les Syriens à Genève. En réalité, ce sont toujours les Israéliens et les Américains qui refusent les résolutions internationales». Mon combat est de maintenir l’identité arabe à l’intérieur Comment voit-il l’avenir de la région face à la montée de tous les extrémismes ? «Je dirais qu’il y a actuellement deux discours dans le monde arabe : l’un est en apparence modéré et cache en réalité une tendance capitulationniste et l’autre est en apparence extrémiste, mais il est en fait militant. Je crois qu’il faut trouver une formule entre les deux. C’est d’ailleurs ce qui gêne les Israéliens dans mon combat. Ils préféreraient avoir en face d’eux des extrémistes. Moi je refuse de n’avoir que ce choix et je pense que le génie de Hafez el-Assad est d’avoir concilié son militantisme avec beaucoup de pragmatisme». Que pense-t-il de Bachar qu’il doit rencontrer samedi ? «Il a les mêmes convictions que son père, mais les circonstances sont différentes. Hafez el-Assad a eu des problèmes à la fin des années 70 et cela a marqué son régime, augmentant l’influence des services et la crise économique. Aujourd’hui, cette étape est finie et Bachar peut se lancer dans la modernisation. Je souhaite qu’il réussisse. C’est la troisième voie à laquelle nous aspirons...».
Une carrure de colosse et un langage raffiné et profond de professeur de philosophie se sont pas la moindre des contradictions de Azmi Béchara. Le député arabe à la Knesset allie aussi une identité nationaliste arabe marquée à la citoyenneté israélienne. Comment parvient-il à concilier ces inconciliables ? «L’essentiel est de ne pas faire de compromis sur les choses...