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Actualités - CHRONOLOGIES

Écoles - Un texte d’Amine Maalouf proposé aux bacheliers français aux États-Unis

C’est un honneur pour le Liban. Les Français résidant aux États-Unis se sont vu proposer comme épreuve écrite du baccalauréat général, cette année, un extrait d’un ouvrage d’Amine Maalouf, Les Identités meurtrières. Un texte dense, simple et magnifique, dans lequel Maalouf répond, à ceux qui lui demandent s’il est français ou libanais, qu’il est, à la fois et indistinctement, l’un et l’autre, et que c’est «ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre». C’est bien cela, le Liban, un métissage de cultures d’autant plus riche et fertile qu’on l’assume sans honte. En donnant à ses ressortissants un texte de Maalouf, la France le revendique comme sien. C’est la francophonie, au meilleur d’elle-même. L’usage des dictionnaires et des calculatrices est interdit Le candidat doit traiter l’un des trois sujets suivants, au choix Premier sujet : étude d’un texte argumentatif Depuis que j’ai quitté la Liban en 1978 pour m’installer en France, que de fois m’a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais «plutôt français» ou «plutôt libanais». Je réponds invariablement : «L’un et l’autre !». Non par quelque souci d’équilibre ou d’équité, mais parce qu’en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c’est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité. Serais-je plus authentique si je m’amputais d’une partie de moi-même ? À ceux qui me posent la question, j’explique donc, patiemment, que je suis né au Liban, que j’y ai vécu jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, que l’arabe est ma langue maternelle, que c’est d’abord en traduction arabe que j’ai découvert Dumas et Dickens et Les Voyages de Gulliver et que c’est dans mon village de la montagne, le village de mes ancêtres, que j’ai connu mes premières joies d’enfant et entendu certaines histoires dont j’allais m’inspirer plus tard dans mes romans. Comment pourrais-je l’oublier ? Comment pourrais-je jamais m’en détacher ? Mais, d’un autre côté, je vis depuis vingt-deux ans sur la terre de France, je bois son eau et son vin, mes mains caressent chaque jour ses vielles pierres, j’écris mes livres dans sa langue, jamais plus elle ne sera pour moi une terre étrangère. Moitié français, donc, et moitié libanais ? Pas du tout ! L’identité ne se compartimente pas, elle ne sa répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un «dosage» particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre. Parfois, lorsque j’ai fini d’expliquer, avec mille détails, pour quelles raisons précises je revendique pleinement l’ensemble de mes appartenances, quelqu’un s’approche de moi pour murmurer, la main sur mon épaule : «Vous avez eu raison de parler ainsi, mais au fin fond de vous-même, qu’est-ce que vous vous sentez ?». Cette interrogation insistante m’a longtemps fait sourire. Aujourd’hui, je n’en souris plus. C’est qu’elle me semble révélatrice d’une vision des hommes fort répandue et, à mes yeux, dangereuse. Lorsqu’on me demande ce que je suis «au fin fond de moi-même», cela suppose qu’il y a, «au fin fond» de chacun, une seule appartenance qui compte, sa «vérité profonde» en quelque sorte, son «essence», déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus ; comme si le reste, tout le reste – sa trajectoire d’homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie, en somme – ne comptait pour rien. Et lorsqu’on incite nos contemporains à «affirmer leur identité» comme on le fait si souvent aujourd’hui, ce qu’on leur dit par là, c’est qu’ils doivent retrouver au fond d’eux-mêmes cette prétendue appartenance fondamentale, qui est souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique, et la brandir fièrement à la face des autres. Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve marginalisé. Un jeune homme né en France de parents algériens porte en lui deux appartenances évidentes et devrait être en mesure de les assumer l’une et l’autre. J’ai dit deux, pour la clarté du propos, mais les composantes de sa personnalité sont bien plus nombreuses. Qu’il s’agisse de la langue, des croyances, du mode de vie, des relations familiales, des goûts artistiques ou culinaires, les influences françaises, européennes, occidentales se mêlent en lui à des influences arabes, berbères, africaines, musulmanes... Une expérience enrichissante et féconde, si ce jeune homme se sent libre de la vivre pleinement, s’il se sent encouragé à assumer toute sa diversité; à l’inverse, son parcours peut s’avérer traumatisant et chaque fois qu’il s’affirme français, certains le regardent comme un traître, voire comme un renégat, et si chaque fois qu’il met en avant ses attaches avec l’Algérie, son histoire, sa culture, sa religion, il est en butte à l’incompréhension, à la méfiance ou à l’hostilité. La situation est plus délicate encore de l’autre côté du Rhin. Je songe au cas d’un Turc né il y a trente ans près de Francfort et qui a toujours vécu en Allemagne dont il parle et écrit la langue mieux que celle de ses pères. Aux yeux de sa société d’adoption, il n’est pas allemand; aux yeux de sa société d’origine, il n’est plus vraiment turc. Le bon sens voudrait qu’il puisse revendiquer pleinement cette double appartenance. Mais rien dans les lois ni dans les mentalités ne lui permet aujourd’hui d’assumer harmonieusement son identité composée. Amin Maalouf, « Les identités meurtrières », 1998 Première partie : questions (10 points) 1) À la question posée à la fin du 1er paragraphe, l’auteur apporte une réponse originale. Analyser cette réponse après avoir reformulé la problématique contenue dans la question. (4 points). 2 ) Dans le 2e paragraphe, distinguez arguments et exemples. Puis reformez clairement la thèse que l’auteur veut nous faire partager. (3 points). 3) Qui désigne le pronom «on» employé dans les lignes 36 et 37 ? Pourquoi l’auteur ne partage-t-il pas le point de vue annoncé par ce «on» ? (3 points). Deuxième partie : travail d’écriture (10 points) – Dans quelle mesure l’endroit où l’on vit et la langue qu’on utilise contribuent-ils à la construction d’une identité personnelle ? Justifiez votre point de vue par un développement argumenté.
C’est un honneur pour le Liban. Les Français résidant aux États-Unis se sont vu proposer comme épreuve écrite du baccalauréat général, cette année, un extrait d’un ouvrage d’Amine Maalouf, Les Identités meurtrières. Un texte dense, simple et magnifique, dans lequel Maalouf répond, à ceux qui lui demandent s’il est français ou libanais, qu’il est, à la fois et...