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Actualités - BOOK REVIEWS

OUVRAGES - « Le christianisme à l’aube du IIIe millénaire » du cardinal Poupard - Dialogue des cultures et hiérarchie des valeurs

À l’heure où l’Église catholique réfléchit à la meilleure façon d’aborder sa mission, et avant le sommet de la francophonie qui se tient sur le thème du «Dialogue des cultures», il est bon de réfléchir sur la fonction de notre culture, son sens, son destin et sa durée. Un livre du cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical de la culture, jette une lumière sur cette question, et pourrait aider notre propre réflexion. «Qui mange du pape en crève !». «Tant de fois enterrée par ces ennemis (…), l’Église ne cesse de revivre et d’enterrer ses fossoyeurs». En deux phrases comme en 240 pages, voici le résumé de l’ouvrage. Avec Toynbee, Poupard constate «qu’il n’y a jamais eu de grande civilisation qui n’ait été religieuse». Il assigne à une grande culture la tâche de soutenir la vie d’un peuple par une «vision». Citant cette fois Mounier, il ajoute : «Quand les hommes ne savent plus rêver les cathédrales, ils ne sont même plus capables de construire de beaux plafonds». Au «retour du religieux», Poupard consacre tout un chapitre, critiquant «l’illusion du neuf» que donnent les sectes, et interprétant «l’attirance de ces nouvelles sagesses» comme «les nouveaux avatars de la recherche désespérée de l’homme qui cherche à sortir de sa prison humaine». «Sur nos terres d’ancienne chrétienté, au seuil du IIIe millénaire, c’est à cet homme nouveau, à la fois religieux et païen que l’Église a pour mission d’annoncer l’Évangile», conclut-il. Le monde est «au cœur d’une crise spirituelle et culturelle» qui ressemble beaucoup à celle qui agitait l’empire romain, avant sa conversion au christianisme. Culture dominante En contrepoint de cette civilisation chrétienne, le cardinal Poupard attaque sans répit l’espèce de «culture dominante» qui nous tient lieu de vie et de savoir. Une culture qui ne sait plus ce qu’est l’être, et qui l’a remplacé par «le bien-être» ou encore «l’avoir». Il critique la culture de la mondialisation qui «épuise les cadres (…) au jeu sans pitié de la concurrence». Poupard critique aussi l’envahissement du champ de la conscience par «un océan d’images» qui emportent l’homme dans un tourbillon de sensations éphémères que rien de consistant ne lie, car elles sont sans âme et sans sens. Foisonnement des informations : «Si tant d’informations délivrées au nom du village global des médias semblent des fardeaux impossibles à porter c’est qu’il y manque l’amour», répond Poupard. À toute véritable culture, il assigne la fonction de fournir une réponse aux interrogations de l’homme sur les fins dernières. «L’autonomie» légitime des choses temporelles ne signifie pas leur «indépendance», met-il en garde. «Le cœur de la culture chrétienne, c’est le regard d’amour qui transforme les individus en personnes et les sociétés en communautés». Notre métissage culturel Défense et illustration du christianisme, l’ouvrage du cardinal Poupard nous renvoie au métissage de cultures qui forme notre personnalité. Ce n’est pas le moindre mérite de l’ouvrage que de nous renvoyer à nous-mêmes, à l’heure où cette personnalité est battue en brèche, à l’heure où poussés au doute, au désespoir ou à l’activisme, nous n’avons même plus le temps, parfois, de réfléchir. Parlant de l’Europe chrétienne, le cardinal Poupard relève que «construire une cathédrale, c’est donner une âme à la société». Et de souligner avec Jean-Paul II qu’une foi qui ne s’épanouit pas en culture est une foi «mal accueillie». Et nous, que construisons-nous, et quelle âme donnons-nous à la nôtre ? Solidere ? La résistance ? Quel culte développons-nous ? Le culte de l’argent ? Celui de la violence ? Réfléchissons, où va le Liban ? Même «le pluralisme culturel n’est pas une valeur en soi», souligne encore Poupard. Bien sûr, puisqu’il existe une hiérarchie des valeurs. Dans un chapitre qui, à lui seul, mérite le détour, Poupard parle de la culture française au sein de l’Église. «Y aura-t-il un temps sans français ?», s’interroge cet angevin. Pour le cardinal Poupard, l’apport spécifique de la France à l’Église est «la sainteté de l’ intelligence». Ce n’est pas un hasard que la cause de béatification de Robert Schuman, père de l’Europe, a été introduite. Par-delà la France, c’est en effet toute l’Europe qui exerce un «ministère» au sein de la civilisation moderne. Et quel est-il ? Le voilà, dans les propres termes du cardinal Poupard : «L’Europe ne saurait se limiter à la longue à une structure purement économique. Il faut qu’elle devienne aussi une sauvegarde pour tout ce qui fait la grandeur de notre civilisation chrétienne. Une telle mission sera le complément indispensable et l’achèvement d’une Europe qui, jusqu’ici, a été fondée sur la coopération économique. Elle lui conférera une âme, un ennoblissement spirituel et une véritable conscience commune». Beaux arguments pour ceux qui continuent à prétendre que la France «est à égale distance de tous». De tous, peut-être, mais pourrait-elle l’être de tout, et sans se trahir ? Non, assurément, la francophonie ne sera jamais ce «fourre-tout culturel» où le tyran parlerait de démocratie. Par-delà le «prêt-à parler» de la culture dominante, la francophonie, pour durer, pour être plus d’une transaction politique ou commerciale, devra être le témoin de la primauté du vécu et de la quête du sens, plutôt que la caisse – enregistreuse d’un rapport de forces. Terminons cette présentation par deux histoires qui émaillent cet ouvrage inclassable. «Durant la perestroïka de Gorbatchev, raconte Poupard, près de la ville qui s’appelait encore Leningrad, une équipe de télévision filmait un prêtre et ses paroissiens. Voyant parmi eux une jeune femme, le producteur lui dit, non sans ironie : “Vous êtes chrétienne alors, vous êtes heureuse ?” Elle répondit : On n’est pas un chrétien pour être heureux, mais pour être vivant.» Et cette autre, encore plus belle. «Ton fardeau est bien lourd, dit le vieil homme à la jeune fille. Ce n’est pas un fardeau, monsieur, réplique-t-elle, et il ne me pèse pas : c’est mon frère !». Ouvrage foisonnant, Le christianisme à l’aube du IIIe millénaire mérite aussi qu’on s’y arrête pour les citations qui l’émaillent, et qui raviront les amateurs du genre. Retenons-en deux ou trois, pour le plaisir. «La preuve du pain, c’est qu’il nourrit» ( Claudel). «Tu causes, tu causes, mais qu’est-ce que tu dis ?» (Queneau – Zazie dans le métro). «Les erreurs ne paraissent triompher que par la part de vérité qu’elles comportent» (Pascal).
À l’heure où l’Église catholique réfléchit à la meilleure façon d’aborder sa mission, et avant le sommet de la francophonie qui se tient sur le thème du «Dialogue des cultures», il est bon de réfléchir sur la fonction de notre culture, son sens, son destin et sa durée. Un livre du cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical de la culture, jette une...