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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Un demi-siècle de luttes, de revers et de gloire - I- Le règne de Béchir II le Grand - Par Hareth Boustani

Un demi-siècle de luttes, de revers et de gloire ! Voilà en trois mots le règne de l’émir Béchir (1767-1850). Les luttes ont sans doute été continuelles et pénibles, mais le tempérament rude et endurant de nos montagnards s’y habitue de bonne heure… Les revers ont été nombreux et douloureux, allant parfois jusqu’à l’exil, mais le temps a vite fait de les couvrir de son oubli… Quant à la gloire, elle demeure éclatante et se transmet toujours grandissante, de génération en génération, ornant de légendes héroïques l’auguste figure de Béchir le Grand. Fils d’un gouverneur de Ghazir, Béchir ibn Qassim ibn Omar Chéhab est né dans cette localité le 6 janvier 1767. Deux couvents latins, celui des jésuites et celui des capucins, se disputent l’honneur d’avoir été son berceau. Quoi qu’il en soit, Béchir reçoit le baptême d’un père capucin. Sa famille, descendante de l’illustre tribu de Qoraïsh et établie au Houran puis à Wadi at-Taym depuis le XIe siècle, gouverne le Liban dès la fin du XVIIe siècle. En 1697 en effet, l’émir Ahmad Ma’an, petit-fils de l’émir Younès, frère du grand Fakhreddine, est mort sans laisser de descendants mâles. Les cheikhs libanais, réunis en congrès à Samqania, entre Deir el-Qamar et Moukhtara, décident de confier le pouvoir à la famille Chéhab, parente par alliance de la dynastie éteinte. Décision approuvée par la Sublime Porte et qui marque une fois de plus la complète autonomie du Liban. Le fait mérite d’être souligné : en effet, le sultan, même quand il triomphe de ses ennemis – à la mort de Fakhreddine II comme à la chute de Béchir II –, ne s’arroge jamais le droit de modifier la Constitution libanaise ou de renverser la famille régnante. Après l’assassinat de Fakhreddine, c’est un prince ma’an qui règne sur le Liban. Après l’exil de Béchir II, ce sera un autre Chéhab qui lui succédera. L’assemblée de Samqania confie donc le pouvoir à Béchir I, en attendant la majorité de l’émir Haïdar, petit-fils du dernier Ma’an. celui-ci, qui gouvernera le Liban pendant vingt-quatre ans, fut le grand-père de l’émir Qassim, père de Béchir II. Qassim administrait la région de Ghazir pour le compte de son oncle Mansour depuis un certain nombre d’années. il meurt alors que son fils est encore un bébé. Sa veuve, jeune encore, contracte un second mariage avec l’émir Sid Ahmad, frère de l’émir Youssef, alors prince du Liban. Elle quitte Ghazir pour s’installer à Hadeth, laissant ses fils Hassan et Béchir aux soins d’une gouvernante et d’un vigilant tuteur, le cheikh Moussa Chidiac. Les débuts de la légende À quinze ans, Béchir quitte Ghazir et, après un court séjour à Bourj el-Barajné où il rend visite à sa mère, il part chercher fortune à Deir el-Qamar. La légende qui a toujours accompagné l’histoire de cette grande figure du Liban prend naissance à ce moment. Forçant le paradoxe, ses premiers biographes le décrivent faisant son chemin à pied en conduisant une pauvre chamelle, chargée d’un matelas et de quelques ustensiles qui composent tout son bagage. Selon les auteurs, sa gouvernante figure soit sur la chamelle, soit à ses côtés, quand elle n’est pas transformée en esclave noire marchant derrière le jeune maître… Vers 1783, Béchir entra à Deir el-Qamar, alors capitale du Liban. Le prince de la montagne est alors le sage et clairvoyant émir Youssef, qui règne en maître sur tout le Liban depuis 1770, mais dont la chute semble très prochaine. Ayant montré de la sympathie pour les Mamelouks révoltés contre leur pacha d’Acre, Youssef est regardé d’un mauvais œil par ce dernier, le terrible Djezzar, qui représentait au Liban l’autorité de la Sublime Porte. De plus, sa popularité est fortement affectée par les nombreuses surtaxes qu’il est obligé d’imposer au peuple pour satisfaire les cupidités de son suzerain. C’est à ce moment-là que le jeune Béchir s’établit près de la capitale, dans une petite ferme à côté d’un temple druze nommé Beiteddine («maison du jugement» ou tribunal) ; sa vie frugale, réglée et active, ses mœurs irréprochables, sa noble origine enfin, attirent sur lui les regards des plus grands cheikhs druzes. Des négociations secrètes sont entamées entre lui et le seigneur de Moukhtara, le cheikh Qassim Joumblatt, chef du parti des Joumblatt. L’émir Youssef, soupçonnant la conduite de Béchir, fait appeler le jeune prince, lui donne une belle jument et le garde à son service. Celui-ci doit se contenter de ce rôle subalterne. Il cherche de l’argent pour exécuter ses vastes projets quand l’émir Youssef l’envoie à Hasbaya liquider la succession très importante d’un prince condamné par le pacha d’Acre. Frappé par les qualités et les richesses de la jeune veuve, Béchir s’offre à elle pour remplacer celui dont l’a privée la cruauté de Djezzar. La proposition est acceptée. Le couple aura trois fils, Qassim, Khalil et Amine. À peine rentré à Deir el-Qamar, Béchir trouve l’autorité de Youssef sérieusement ébranlée. Djezzar, exaspéré par les lenteurs de ce dernier, lui cherche un successeur. Youssef, qui ne manque ni de finesse ni de jugement et n’attend pas de pitié du pacha d’Acre, propose le jeune Béchir pour lui succéder, espérant garder ainsi sinon le pouvoir sur la montagne, du moins le titre honorifique d’émir. Béchir accepte et se prépare pour le voyage. La légende, comme pour prédire son brillant avenir, lui fait dire à l’émir Youssef : «Je vais près du pacha comme votre fils ; mais peut-être retournerai-je près de vous comme fils du pacha». Prophétie à laquelle Youssef, désintéressé, répond : «Être mangé par le lion vaut toujours mieux que d’être mangé par l’hyène». Celui que Béchir va rencontrer est surnommé le djezzar («le boucher»). Encouragé par les dissensions des partis libanais, il joue des émirs à sa guise, place ou destitue qui lui plaît, accordant, au nom du sultan, les charges au plus offrant. Cet homme, parvenu par la ruse, la hardiesse et le crime à occuper le poste de pacha d’Acre et à assumer la charge de percevoir pour le compte de la Sublime Porte le tribut imposé au Liban, sème la terreur dans toute la Syrie. Maniaque, avide d’argent et amateur de crimes, il ne connaît d’autres lois que son bon plaisir et rend des jugements aussi bizarres qu’injustes, aussi risibles que tristes. La première période (1789 – 1807) À la tête de six cents Maghrébins fournis par Djezzar, l’émir s’achemine vers le Liban. Hasbaya tombe presque sans coup férir. Il se tourne aussitôt vers Deir el-Qamar. Son habileté lui fait des amis en chemin. Il effraie les uns en leur démontrant que toute résistance est impossible et que tôt ou tard, l’émir, délivré des rebelles, se vengera de ses adversaires : il rassure les autres en leur promettant le pardon. Quand il arrive enfin devant les portes de la capitale, Youssef n’y est déjà plus. Il s’est réfugié dans le canton de Jbeil pour se préparer, avec ses derniers partisans, à reconquérir l’émirat. il réussit à racheter son investiture à Djezzar et revient au Chouf pour chasser Béchir. Ce jeu entre les deux émirs aurait pu durer longtemps si Djezzar n’avait donné en 1790 l’ordre d’étrangler Youssef, de nouveau prisonnier à Acre. Mais la mort du vieil émir n’interrompt pas les querelles et les luttes, soutenues par ses fils et leurs conseillers, le diplomate Georges Baz et son frère Abdel-Ahad. De 1789 à 1807, «tour à tour vainqueur et fugitif passant avec une rapidité sans exemple de l’exil au trône et du trône à l’exil», Béchir tente de se débarrasser de ses ennemis. Il commence par attirer à Deir el-Qamar onze cheikhs des Bani Nakad, qui soutiennent les fils de Youssef. Il les fait étrangler et jeter dans un puits, encore connu sous le nom de puits des Nakad. En 1804 enfin, l’épouvantable Djezzar meurt. «Cette mort, écrit le père Lammens, fur saluée avec bonheur dans toute la Syrie. Béchir se trouva débarrassé d’un suzerain ombrageux, la Porte d’un vassal redoutable, l’humanité d’un monstre». Il ne reste à Béchir qu’à se débarrasser des turbulents fils de Youssef et de leurs conseillers. L’émir, lassé par la politique infructueuse de ménagement et d’accommodement, ne trouve d’autres remèdes à cette situation que l’épée. Il fait étrangler le même jour, le vendredi 15 mai 1807, Georges Baz à Deir el-Qamar et son frère Abdel-Ahad à Jbeil, avant de faire crever les yeux aux fils de l’émir Youssef et de leur interdire de quitter Daraoun. Procédé barbare, dirions-nous aujourd’hui ! Le XXe siècle, en effet, y met plus de formes. Au temps de l’émir, on n’avait pas encore inventé toute la terminologie juridique de haute trahison, de crimes de lèse-majesté ou de lèse-partie et toute la série de crimes contre la sûreté de l’État. «Variétés de procédés, mais la mort est la même», comme dit le proverbe arabe. Et pour horrible que fût cette action, aucun des compétiteurs de Béchir n’eût hésité à la commettre dans les mêmes conjonctures. L’attitude de Youssef envers ses frères – il tua l’un et fit crever les yeux de l’autre – est là pour le prouver. Aussi, Michel de Damas, qui n’est pourtant pas tendre envers l’émir Béchir, ne s’étonne-t-il pas de ce fait. Il se contente de remarquer finement que la dette contractée par Youssef envers ses frères a été payée à ses fils avec les intérêts… Prochain article : paix et prospérité.
Un demi-siècle de luttes, de revers et de gloire ! Voilà en trois mots le règne de l’émir Béchir (1767-1850). Les luttes ont sans doute été continuelles et pénibles, mais le tempérament rude et endurant de nos montagnards s’y habitue de bonne heure… Les revers ont été nombreux et douloureux, allant parfois jusqu’à l’exil, mais le temps a vite fait de les couvrir...