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Actualités - CHRONOLOGIES

REGARD - M. Chiha, K. Samaha, O. Fakhoury, S. Sabbagh, G. Saghieh - Avec bienveillance, sans émotion

Michel Chiha est un penseur positif, méditerranéen, solaire. Même sa poésie est apollinienne, taillée comme une gemme, sans zones d’ombre. L’exposition «Pages d’histoire du Liban : les archives de Michel Chiha» vise à montrer, documents à l’appui, que sa pensée constitutionnelle, politique, économique est vivante et peut encore nous concerner. Loin de mettre en valeur cet aspect essentiel, la scénographie retenue va totalement à l’encontre de l’esprit et du sens de la démarche intellectuelle de Chiha et de l’objectif de l’exposition : le visiteur est introduit dans une espèce de crypte initiatique, de lugubre salle de mystères, de chambre mortuaire meublée d’interminables catafalques et plongée sans l’obscurité, à part la faible lueur émanant de ceux-ci. Si l’on avait voulu laisser entendre que la pensée de Chiha est morte et enterrée, on ne s’y serait pas pris autrement. Le sens de la cohérence Un autre nom à retenir, celui du jeune Omar Fakhoury, fils du poète Riad Fakhoury. Il surprend par sa maîtrise des technique mixtes et du matiérisme et surtout par la cohérence de son envoi basé sur l’image de la blessure, de la cicatrice, du sexe ensanglanté, avec jeux de métaphores entre le corps du tableau, le corps de la terre, le corps de la femme, le corps de la société, le corps de l’âme, si l’on peut dire. Ses fonds terreux évoquant des étendues désertiques austères ramènent aux travaux des peintres arabes, notamment irakiens, des années soixante et de quelques uns de leurs confrères libanais. Les entailles et autres béances dans le vif du support sont également un motif familier depuis Fontana. De là le titre de l’exposition «Barzakh» (entre-deux, fente, interstice, isthme, césure, intervalle), dans l’acception spatiale mais aussi temporelle, laquelle suggère un sens de renaissance, puisque le «barzakh» est également, en islam, le temps qui s’écoule entre la mort et la résurrection du corps. Blessure, mort, renaissance, tout un programme. Ni le traitement ni le thème ne sont originaux mais leur association est fort efficace. Omar Fakhoury a le sens de l’espace, de la construction, de la composition, de l’effet frappant mais retenu, il possède un goût sûr des combinaisons de formes, de matières (bois, métal, etc.) et de couleurs. Les œuvres sont, individuellement, d’une bonne tenue et l’ensemble de l’exposition est d’une maturité précoce qui laisse présager un parcours qui sera jugé sévèrement à l’avenir, Omar Fakhoury ayant lui-même placé la barre très haut, dès sa première exposition. Maintenant qu’il a fait la preuve de ses dons et de sa capacité de travail, on attend de lui qu’il développe, au-delà de cette imagerie de terre-mère vaginale, une vision personnelle nouvelle, sans perdre le sens si précieux de la cohérence. (Goethe-Institut). Pensum avec torticolis Les catafalques, je veux dire les tables lumineuses sur lesquelles les documents sont présentés à plat, sont trop bas pour une lecture commode. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle ces tables des «abreuvoirs», assimilant ainsi les visiteurs, constamment obligés de se courber ou de se baisser pour déchiffrer les textes, à du bétail. Si on avait voulu empêcher la lecture, on ne s’y serait pas pris autrement. Lire de cette façon est absurde : c’est à une hauteur suffisante, et en plan incliné ou vertical, que la lecture est aisée. Les tables lumineuses étaient inutiles : les textes, affichés en pleine lumière, auraient pu être lus debout, pour correspondre à l’attitude de pensée active, de pensée en marche, de pensée dans l’urgence de l’actualité de Chiha, qui était tout sauf un homme couché. Le contenu documentaire de l’exposition est extrêmement riche. Dommage que la présentation en dénature l’esprit, transformant l’espace méditerranéen en huis clos claustrophobe et la visite en pensum avec torticolis. De plus en plus, on confie les grandes expositions à des scénographes soucieux de faire de l’effect, d’impressionner, voire d’intimider le visiteur. Alors que leur souci devrait être de servir au mieux le but de l’exposition et les objets à exposer en veillant au confort visuel, physique et psychique du visiteur. Une visite d’exposition doit être une partie de plaisir, pas une épreuve. (Musée Sursock). Claire-voie Autre discordance entre l’esprit et la réalisation : les arabesques de Kabalan Samaha à l’intéressante complexité sont desservies par la matière rigide dans laquelle elles sont comme pétrifiées. Samaha a bien vu la nécessité d’une lumière émanant de l’intérieur du tableau, mais sa manière de la créer par estompage des couleurs produit un effet livide, voire morbide. Samaha serait bien inspiré de délaisser le tableau, trop lourd, pour le vitrail, les écrans à claire-voie, les paravents ajourés, les moucharrabiyeh, c’est-à-dire pour des supports laissant filtrer la lumière et permettant des jeux d’ombres projetées, insufflant vie et dynamisme à des constructions géométriques raidies par une pâte trop dure. Ces «Souvenirs d’un avenir» (en fait, c’est plutôt l’avenir d’un souvenir, l’arabesque) montrent que Samaha a de l’étoffe et qu’il ne craint pas d’abattre de la besogne. (Galerie Maraya). Dispersion Bien qu’elle soit plus âgée que O. Fakhoury, S. Sabbagh ne possède apparemment pas sa maturité : son exposition à la Salle de verre, si elle montre un désir d’expression picturale immédiate, improvisée, ne se recommande guère par sa cohérence : au lieu de l’exploration des potentialités d’un thème, Soha Sabbagh se disperse dans plusieurs directions à la fois, papillonne sans se décider pour autre chose que la spontanéité de la touche qui n’est pas une caution suffisante de qualité. On dirait qu’elle vit encore dans l’atmosphère de l’Institut des beaux-arts, plusieurs années après l’avoir quitté. O. Fakhoury a tendance à être trop systématique, S. Sabbagh à l’être trop peu. Historienne du présent On ne peut pas reprocher à Ghada Saghieh de manquer de consistance ou de ne pas savoir ce qu’elle veut. Depuis des années, elle ne cesse de capter dans ses acryliques, huiles et aquarelles, le comportement social des Libanais, avec, toujours, quelque part, une discrète touche d’humour, un signe d’intelligence aux bons entendeurs. Elle affectionne les lieux publics, bars, boîtes de nuit, restaurants, snacks, cafés-trottoirs (le centre-ville est son nouveau terrain d’élection) où les mœurs de la faune beyrouthine mondaine et politique peuvent être observés à loisir. Elle aime également les conciliabules à deux ou plusieurs, surtout les palabres politiques, les conversations interminables entre théoriciens, analystes et autres stratèges en chambre intarissables, les groupes qui font cercle pour se pencher, avec une amusante gravité, sur les problèmes insolubles de l’heure. La variété des postures, des gestes, des expressions (bien qu’elle évite de trop les préciser puisqu’elle n’entreprend pas des portraits mais des types) est, chez elle, inépuisable, toujours renouvelée, saisie au vol dans l’air du temps. Car G. Saghieh possède un sens développé de l’instantané. Elle peint ses personnages comme surpris en pleine action, gestes esquissés appelant une conclusion ultérieure : la toile ou l’aquarelle n’est que la saisie fugitive d’un moment présent dans un déroulement antérieur et postérieur. On imagine le passé et l’avenir des gestes, d’où ils viennent, où ils vont : les personnages bougent ou vont bouger, terminer de tendre la main, de se pencher, d’avancer le pied, de s’asseoir, d’ouvrir le journal. Même la lecture se «lit» dans le mouvement des yeux des lecteurs, dans l’intensité de leur absorption. Que de vie et de vivacité, mais aussi de vérité et de précision dans ces œuvres qui sont parfois le montage astucieux, mais déconcertant de naturel, de plusieurs images séparées. Avec leur palette chaude (les rouges) et froide (les gris, les bleus), elles évoquent des documents volés de la comédie sociale et humaine. G. Saghieh est ainsi en train d’élaborer toute une chronique du Beyrouth des ces années-charnières. Plus tard, ses œuvres seront probablement prisées, recherchées et collectionnées pour leur valeur descriptive et historique. C’est cette capacité d’être l’historienne du présent qui est le trait marquant de G. Saghieh. Elle nous restitue notre image immédiate avec une acuité et un doigté que lui envierait plus d’un photographe professionnel. Mais elle met dans ses «clichés» ce que le photographe ne peut pas mettre : l’intelligence de la synthèse par la vertu de la composition à partir de sources différentes et le clin d’œil entendu et complice qui ne peut manquer d’interpeller, surtout dans certaines images où perce, derrière l’ironie toujours présente, une grande tendresse. Si elle s’amuse du spectacle que donnent et se donnent les hommes et les femmes de Beyrouth 2001, elle le fait toujours avec bienveillance. Mais sans émotion. (Galerie Alice Mogabgab)
Michel Chiha est un penseur positif, méditerranéen, solaire. Même sa poésie est apollinienne, taillée comme une gemme, sans zones d’ombre. L’exposition «Pages d’histoire du Liban : les archives de Michel Chiha» vise à montrer, documents à l’appui, que sa pensée constitutionnelle, politique, économique est vivante et peut encore nous concerner. Loin de mettre en...