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Actualités - REPORTAGES

Liban-Sud - Crise économique étouffante, règlements de comptes, absence de l’État - Les acquis de la victoire battus en brèche - par les problèmes quotidiens

C’est un parfait spectacle de désolation qu’offre l’ex-zone occupée au Liban-Sud. Un an après le retrait des forces israéliennes, la situation n’a pas simplement stagné. Elle a empiré. Le désespoir chez les habitants est accentué par le fait que ces derniers n’ont pas encore oublié les promesses de jours meilleurs qui avaient agrémenté les discours des hommes politiques. Malgré le calme relatif qui plane sur cette région, les problèmes du quotidien apparaissent insurmontables aux yeux d’une population épuisée. Crise économique lourdement ressentie, absence totale de l’État dont on ne parle presque plus, problème des ex-collaborateurs qui revient comme un leitmotiv avec l’éventualité du retour des détenus de l’ALS, tout cela mêlé à une psychose alimentée par les risques de conflit dus aux dernières menaces israéliennes. «La situation est pourrie. Les menaces de Sharon sont sérieuses et nous sommes au bord de la guerre», commente Imad, un jeune homme de 15 ans, originaire de Kfarchouba, un village limitrophe d’Israël. Imad ne fait que traduire les craintes que ressentent certains habitants de l’ex-zone occupée par Israël, surtout dans les localités adjacentes à l’État hébreu. Sur fond de menace de guerre, la crise économique est venue alourdir le bilan d’une année très morose. Nader est chauffeur de taxi, originaire de Chebaa. Lui se sent moins concerné par les menaces d’Israël que par la dernière décision du ministre de l’Intérieur interdisant les moteurs à mazout. Il vient d’investir 1 500 dollars, «une fortune», pour l’achat de son moteur. Nader n’a même pas de quoi restaurer la maison délabrée qu’il a héritée de son père. «Après les dépenses de la maison, il me reste exactement 10 000 LL chaque jour, que je mets de côté pour payer les traites de mon moteur». Des traites qu’il est obligé de régler entièrement... pour un moteur qui ne lui servira probablement plus à rien. De Chebaa, au pied du Mont Hermon, à Naqoura, sur la Méditerranée en passant par les localités sunnites, druzes, chrétiennes et chiites, les habitants dénoncent l’impotence de l’État libanais, mais ne prennent même plus la peine de réclamer l’envoi de l’armée. «La présence de l’armée, on n’en parle presque plus, par dépit, par amertume aussi. Du moment qu’aussi bien l’opinion locale que régionale et internationale s’est pratiquement résignée à l’idée, il est normal que les gens désespèrent de l’envoi de la troupe», affirme un médecin de Kleya. «Pour moi, l’État est présent», affirme Élie le plus sérieusement du monde. «Mon fils s’est fait arrêter il y a quelques jours par les FSI et a écopé une contravention pour excès de vitesse». Pour cet habitant de Bourj el-Moulouk, un rien suffit pour s’accrocher à la moindre manifestation de l’État, pour croire à son existence. Dès lors qu’il s’agit de percevoir les taxes, les pouvoirs publics sont plus que présents. «Les responsables avaient promis de nous en exempter provisoirement. Hier, j’ai reçu une menace de coupure de courant si je ne réglais pas ma facture d’électricité», se plaint Joséphine, propriétaire d’une épicerie qui ne lui rapporte même plus de quoi payer les frais d’entretien. «La situation devient catastrophique, et d’ici à deux mois, nous serons sans le sou», affirme sa fille. Ces reproches se font encore plus vifs lorsque certains habitants rappellent que les Israéliens injectaient des millions de dollars dans l’économie du Sud occupé. Cette prospérité, disent-ils, profitait à tous les habitants, toutes confessions confondues. «Au moins à cette époque, tout le monde travaillait», commente un quinquagénaire du village chiite de Kfarkila. Tout près de lui, une jeune fille renchérit : «Si au moins on ouvrait à nouveau les voies de passage pour permettre aux gens d’aller à la recherche d’un emploi», dit-elle avec beaucoup d’hésitation, regardant de l’autre côté de la frontière. Elle se reprend immédiatement et rectifie : «C’était une blague, ne notez pas». Même si les gens souhaitent la présence de l’armée, tant sollicitée les premiers mois après le retrait, aujourd’hui, ils sont de plus en plus conscients que l’enjeu les dépasse et qu’ils ne verront pas les militaires de sitôt, encore moins la réalisation de projets de développement initiés par un Trésor déficitaire. Quant à l’aide des bailleurs de fonds internationaux, elle suscite une polémique parmi la population, concernant surtout le bien-fondé des intentions politiques de l’Occident, une des conditions de l’octroi de l’assistance financière étant précisément l’envoi de l’armée à la frontière. «Nous ne voulons pas de l’aide des Occidentaux si ces derniers veulent nous imposer leurs règles du jeu», affirme un sympathisant du Hezbollah. «L’important pour nous, c’est notre dignité restituée. Cela n’a pas de prix. L’économie n’est pas plus importante que la liberté», commente Mahmoud de Kfarkila. Mais ce sont les plus «engagés», en l’occurrence les sympathisants du Hezbollah, qui évoquent spontanément la question des fermes de Chebaa, dès que l’on parle de la situation du Liban-Sud. Pour ceux-là, l’armée n’a pas sa place dans cette région et ne peut en aucun cas faire face à Israël. Ainsi, la libération des fermes de Chebaa est devenue une mission sacrée, qui doit être menée à son terme, quel qu’en soit le prix. Le conflit doit par conséquent être géré par le seul mouvement islamique. Dans une boucherie de Khyam, qui sert aussi de restaurant populaire, un groupe de jeunes discutent autour d’une table. «Si l’armée entrait en guerre avec Israël, elle serait anéantie en un clin d’œil, et le conflit deviendrait un conflit entre États, affirme Omar. Alors que la Résistance elle, est légitime, et cela aux yeux du monde entier», selon lui. Omar, Ahmad, Firas et Outay sont tous des sympathisants du parti intégriste. Ils ont entre 23 et 25 ans, et tous les quatre viennent chaque week-end au Liban-Sud d’où il sont originaires. Bien sûr, ils n’y vivent pas régulièrement car, disent-ils, «il n’y a rien à faire, c’est une région qui saigne économiquement». «Les aides et les indemnités ont été subtilisées par les responsables, rien n’a été fait pour cette région», affirme Firas. Selon lui, la responsabilité du marasme économique incombe à l’État, et non pas aux opérations de résistance. Le Liban-Sud se vide de ses jeunes et de ses forces vives, éparpillés dans les grandes villes, en exil, ou en prison. Parfois, l’on retrouve au sein d’une même famille des ex-miliciens de l’ALS qui ont fui en Israël, alors que d’autres ont fait le choix de se rendre à la justice libanaise. La collaboration revient incessamment sur toutes les bouches, et jusqu’à ce jour, les gens ont du mal à définir ce terme. «De quel droit peut-on m’accuser de collaboration alors que tout ce que j’ai fait, c’est de servir à manger à des gens de l’ALS», s’exclame un propriétaire de restaurant dont le procès devait se tenir hier. Quoi qu’il en soit, le mot «vengeance» revient souvent dans les discussions, et beaucoup ne sont pas prêts à pardonner. Depuis deux mois, des attentats visent des propriétés appartenant à des ex-membres de l’ALS, dont certains ont déjà purgé leurs peines. Des tracts ont appelé «à verser le sang des collaborateurs». Samedi dernier, les maisons de deux anciens membres de l’ALS ont été incendiées à Kfar Hamam. Jusqu’où peuvent aller ces menaces ? «La justice libanaise n’a pas fait son devoir. Le maximum de peine encourue par les collaborateurs n’a pas dépassé un an et demi. Ces gens-là doivent payer cher les crimes qu’ils ont commis», soutient Mohammed. Pour Omar, la règle est simple, «œil pour œil, dent pour dent, ils seront tués pour ce qu’ils ont fait. Nous ne reconnaissons pas la loi libanaise. Allez visiter la prison de Khyam, vous comprendrez notre haine». Au point de passage de Kfartebnit, l’arc de triomphe édifié par le Hezbollah pour le jour de la commémoration de la libération marque la fin de la visite dans cette région sinistrée. La «victoire» est certes bien acquise mais les habitants du Sud se posent toujours des questions sur sa signification réelle.
C’est un parfait spectacle de désolation qu’offre l’ex-zone occupée au Liban-Sud. Un an après le retrait des forces israéliennes, la situation n’a pas simplement stagné. Elle a empiré. Le désespoir chez les habitants est accentué par le fait que ces derniers n’ont pas encore oublié les promesses de jours meilleurs qui avaient agrémenté les discours des hommes...