Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

RENCONTRE - Andrei Serban, un des fils spirituels de la MaMa

«Ma vie, c’est l’exil continu», soupire Andrei Serban. Ce metteur en scène d’origine roumaine est un des nombreux fils spirituels de la MaMa. Elle l’a sorti des griffes du communisme en 1969, l’a accueilli aux States et lui a ouvert les portes d’off Broadway. Andrei Serban connaît le Liban puisqu’il y a signé, à Baalbeck, la mise en scène de Médée en 1972. Entre-temps, il s’est forgé une réputation mondiale dans la mise en scène de théâtre mais aussi dans celle des opéras. Là, il est assis à côté d’Ellen Stewart sur une plate-forme, les coudes posés sur les genoux. Il observe attentivement les répétitions. Il y assiste en tant qu’ami, ou plutôt comme membre de la famille. La MaMa vient de perdre un de ses «fils», Genji Ito, compositeur résidant dans son théâtre. Elle surmonte sa douleur. «The show must go on». On peut dire que la chance a souri à Andrei Serban depuis ses débuts. En 1969, il avait 26 ans lorsque, dans une salle de Piatra Neamt où se trouvaient Harold Clarman et Gh. Marowitz, les applaudissements ne cessaient plus et lorsque Ellen Stewart, la célèbre animatrice du théâtre (off-off - Brodway), «La Mama», l’invitait à travailler aux États-Unis. Les mises en scène Jarry et surtout une nouvelle mise en scène d’Arden de Teversham réalisée aux États-Unis seront les événements des Festivals de Belgrade et de Spoletto. Une autre heureuse rencontre avec le destin : un an plus tard, Andrei Serban devient collaborateur de Peter Brook à l’Atelier expérimental international (de Paris) et son assistant pour la mise en scène de Orghast à Persépolis. Il revient ensuite s’installer aux États-Unis, où il met en scène un répertoire varié, notamment à la «MaMa» et au Boston Repertory Theater, dont il demeure quelques années le metteur en scène attitré : il y présentera notamment Les Troyennes, Medée, Électre (trilogie grecque), Agamemnon d’Eschyle, Comme il vous plaira, La Nuit des rois de Shakespeare, La Cerisaie, La Mouette, les Trois Sœurs, Oncle Vania de Tchekhov, Le Roi cerf, La Femme serpent de Gozzi, La Bonne Âme de Se-Tchouan de Brecht… Dès 1980, il a été attiré par le genre, le spécifique et les possibilités d’expression de l’opéra. Il réalise sa première mise en scène lyrique en 1980 pour le Welsh National Opera, avec Eugène Onéguine. Il y sera fréquemment réinvité les saisons suivantes : Les Puritains, Rodelinda, La Veuve joyeuse, Norma. Il travaille également pour le North Opera de Leeds (Le Trouvère), le Grand Théâtre de Nancy (La Flûte enchantée, également présentée au Théâtre du Châtelet), le New York City Opera (Alcina), le Covent Garden à Londres (Turandot, Fidelio, Le Prince Igor), le Grand Théâtre de Genève (Electra, Don Carlos, Cavalleria Rusticana, Paillasse), à la Fenice de Venise (Rigoletto), à San Francisco… À l’Opéra de Paris, il a présenté Les Puritains, (1997), L’Ange de feu, (1991), Lucia Di Lammermoor, (1995), L’Italienne à Alger, (1998), Les Indes galantes (1999). En 1990, il prend la direction du Théâtre national de Bucarest où il restera jusqu’en 1993. Avec sa troupe de Bucarest, il a présenté à la grande Halle de la Villette en 1991 une reprise de sa trilogie grecque. Parmi ses derniers spectacles, on peut citer le Marchand de Venise (à Boston), la Tétralogie de Wagner (à San Francisco), Hamlet (au Public Theater de New York). Andrei Serban dirige actuellement le département théâtral de l’Université de Columbia, à New York. «Nous devions présenter la trilogie grecque dans le cadre du Festival de Baalbeck en 1975. Une actrice libanaise, Réda Khoury, faisait partie de notre troupe. Mais la guerre a éclaté. C’est trop malheureux». Serban dit que ce spectacle marquait sa préoccupation de retrouver, en même temps que la force d’incantation des langues archaïques, les phénomènes originaires, les racines anciennes, non verbales, européennes et asiatiques, du théâtre. La trilogie sera reprise par Andrei Serban au Théâtre national de Bucarest dans un spectacle enregistrant un succès encore plus grand que le précédent, ovationné à Sao Paolo, en Allemagne, Grèce, France, à Lincoln Center de New York. Il a travaillé dans les opéras de Paris, Genève, Bologne, Amsterdam, Los Angeles, New York City, où il a abordé un répertoire diversifié, allant de Bellini, Mozart et Verdi à Richard Strauss et Prokofiev. Pendant qu’il était directeur du Théâtre national de Bucarest, Andrei Serban a mis en scène, à part la Trilogie susmentionnée, La Nuit des Rois de Shakespeare et La Cerisaie, qui a connu un grand succès au Festival Tchékov de Moscou. La dernière mise en scène d’Andrei Serban en Roumanie – très controversée – a été Œdipe de George Enesco, à l’Opéra national de Bucarest, dans une version pamphlétaire monumentale, actualisée. «Le travail de tout metteur en scène part de l’histoire, d’une réalité psychologique, toujours d’une situation concrète qui permet de passer à l’abstrait». Andrei Serban s’est efforcé d’accentuer le parti pris de renouvellement de la mise en scène en la dramatisant, parfois jusqu’à l’expressionnisme. «Dans “L’Avare” de Molière, présenté l’été dernier à la Comédie française, Harpagon, rendu fou par la perte de sa cassette, ouvre successivement une série de portes donnant toutes sur une paroi murée où des yeux peints fixent l’Avare comme autant d’espions symboliques… Mais c’est à la fin de la pièce que surgit la trouvaille de mise en scène qui nous porte le plus à la méditation : pour être sûr de veiller sur son or, Harpagon descend au tombeau et s’enterre avec lui ! Ce faisant, il révèle la vraie nature de l’Avarice : une rétention qui va jusqu’à la pulsion de mort ! C’est dire qu’à ce moment, c’est Molière lui-même qui s’impose, dans sa dimension sublime d’intemporelle actualité». Audacieux, Andrei Serban ? «J’ai mis en scène “Jules César” en Roumanie quand j’avais 19 ans. C’était inspiré du style kabuki japonais, construisant un pont en forme de fleur au-dessus des spectateurs. La mort de César était très stylisée, en “slow motion”. Ces techniques datent aujourd’hui, mais en 1968 elles paraissaient politiques et absolument inacceptables. Cela a fait scandale et après, il était difficile pour moi de trouver du travail. C’était mon œuvre la plus audacieuse», explique-t-il. «Le metteur en scène est comme un météorologue», conclut Andrei Serban.
«Ma vie, c’est l’exil continu», soupire Andrei Serban. Ce metteur en scène d’origine roumaine est un des nombreux fils spirituels de la MaMa. Elle l’a sorti des griffes du communisme en 1969, l’a accueilli aux States et lui a ouvert les portes d’off Broadway. Andrei Serban connaît le Liban puisqu’il y a signé, à Baalbeck, la mise en scène de Médée en 1972....