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CIRCULATION - Les pleins feux d’Élias Murr - Promettre monts et merveilles ne suffit pas : - les automobilistes réclament du concret
Par KANAAN ELIE, le 14 mai 2001 à 00h00
Au cours d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, M. Élias Murr, a annoncé un paquet de mesures censées améliorer les conditions de la circulation automobile. Comme c’est souvent le cas quand il s’agit d’annonces visant plus à marquer les esprits qu’à être effectivement mises en œuvre, il y a beaucoup à boire et à manger, et surtout il y a riche matière à commentaire dans les propositions du ministre. S’il convient d’applaudir des deux mains à des mesures telles que la répression renforcée et radarisée des excès de vitesse (1 000 procès-verbaux par jour), ou l’obligation du port de la ceinture de sécurité pour les conducteurs et les passagers des sièges avant (où le Liban est très en retard par rapport à certains pays qui l’ont adoptée il y a trente ou quarante ans), par contre d’autres mesures préconisées, telles que les modalités de délivrance ou de renouvellement du permis de conduire, du paiement des taxes annuelles de circulation, ou du contrôle technique, seront difficilement applicables pour diverses raisons. (Déjà, la décision annoncée par le ministre d’interdire les voitures fonctionnant au mazout a soulevé des protestations très vives de la part des syndicats de chauffeurs et de la Confédération générale des travailleurs du Liban). Pour le moment, je ne m’intéresse qu’au projet du ministre d’installer, «au cours de la prochaine année», 1 300 feux de signalisation dans le Grand-Beyrouth, télécommandés à partir d’une salle d’opérations centrale, le tout étant financé par la Banque mondiale. Manque de coordination Cette annonce est à rapprocher d’une déclaration faite par M. Najib Mikati, ministre des Travaux publics et des Transports dans le précédent gouvernement et qui se trouve occuper le même poste dans le gouvernement actuel dont fait partie M. Murr. Le ministre des TPT avait déclaré à l’époque qu’il comptait construire 123 ponts et 133 tunnels (ou vice versa à quelques unités près) dans Beyrouth pour éviter les croisements. Le moins qu’on puisse dire est qu’il semble n’y avoir aucune coordination entre les deux ministres qui, l’un et l’autre, ont apparemment les yeux plus gros que le ventre. En attendant, les Libanais, et plus particulièrement les Beyrouthins et les banlieusards, devront prendre leur mal en patience avant de savoir s’ils seront mangés à la sauce gruyère (sans trous) de M. Murr, ou à la sauce emmental (avec trous) de M. Mikati ! Depuis le milieu des années soixante du siècle dernier, c’était et c’est toujours la marotte de tous les dirigeants qui ont eu des responsabilités au niveau ministériel ou municipal de couvrir Beyrouth, et subsidiairement sa banlieue, d’un réseau de feux de signalisation «électroniques» assurant la régulation et la fluidité du trafic. Je me souviens (parce que j’y étais) de la «cérémonie» d’inauguration du premier boîtier électronique à la place Tabaris, devenue place Gebran Tuéni. Ce boîtier commandait quatre (je dis bien : quatre) feux de signalisation synchronisés sur le ring Fouad Chéhab, qui porte encore le même nom. Il y avait là le gratin des services techniques et administratifs de la municipalité et du mohafazat de Beyrouth, mohafez en tête. (Je signale qu’il n’avait pas été fait appel à la Banque mondiale pour le financement !). Pour que les automobilistes puissent profiter de la synchronisation des quatre feux, ils devaient rouler à une vitesse constante de 50 kilomètres/heure. C’était ridicule, selon les automobilistes, de leur demander si peu, car ils n’avaient pas oublié que le ring avait été présenté comme la voie rapide transversale reliant Beyrouth-Est à Beyrouth-Ouest. Le contraire du résultat espéré Le résultat fut tout le contraire de ce qu’espéraient les stratèges en chambre qui avaient fait preuve d’une ignorance totale de la mentalité des automobilistes libanais. Ceux-ci, lancés à fond la caisse, étaient contraints de s’arrêter au premier feu. Furieux, ils redémarraient sur les chapeaux de roues pour s’arrêter pile quelques secondes plus tard au deuxième feu, et ainsi de suite au troisième et au quatrième. Le second boîtier commandant des feux synchronisés fut installé sur le boulevard de Mazraa, devenu boulevard Saëb Salam, mais que tout le monde continue à appeler boulevard ou corniche de Mazraa. Là, il s’agissait de huit feux synchronisés, ce qui eut pour conséquence de multiplier par deux les effets néfastes générés par les quatre feux du ring Fouad Chéhab par suite de l’indiscipline des Libanais. Ë l’époque, on manifestait beaucoup dans les rues de la capitale, un peu plus à l’ouest qu’à l’est. Les poteaux en porte-à-faux (donc beaucoup plus hauts que les poteaux normaux) qui supportaient les feux synchronisés ne tardèrent pas à être arrachés de terre par des manifestants car, une fois couchés en travers de la chaussée, ils servaient de barrières idéales pour bloquer le boulevard sur toute sa largeur. Les mauvaises langues eurent vite fait de dire que c’était une colère purement automobilistique qui avait porté les manifestants à arracher les poteaux, et que cette colère n’avait en l’occurrence aucune motivation politique Bonne fille, la municipalité réinstalla les poteaux après un certain délai dû aux formalités nécessaires pour l’obtention des crédits servant à couvrir les frais de réparation. À la première manifestation qui suivit leur réinstallation, les poteaux furent arrachés de nouveau. La municipalité comprit la leçon et ne réinstalla plus les poteaux, et on peut dire sans (mauvais) jeu de mots que les feux synchronisés firent long feu ! Puis vint la guerre, et tous les poteaux et panneaux de signalisation (avec ou sans feux) constituèrent, à Beyrouth et partout ailleurs, les cibles premières des belligérants de tous bords qui y voyaient peut-être les signes répressifs d’une Autorité qu’ils rejetaient. * * * Cette digression n’avait d’autre but que de dire à Monsieur le ministre de l’Intérieur et des Municipalités qu’il était pour le moins hasardeux de promettre monts et merveilles aux citoyens, qui ne sont pas aussi crédules qu’il le pense. En effet, à qui Monsieur le ministre veut-il faire croire qu’il lui sera possible, «dans le courant de l’année prochaine», selon ses propres dires : – de conclure les négociations «commencées le mois passé avec la Banque mondiale» et d’obtenir les fonds nécessaires (crédits, emprunts, subventions ou autres, M. Murr ne précise pas) ; – de faire approuver l’accord éventuellement conclu avec la Banque mondiale par les autorités concernées, et en premier lieu le ministère des Travaux publics et la municipalité de Beyrouth, selon qu’il s’agit des rues de la capitale intra muros ou de routes nationales traversant les localités des banlieues (les municipalités de ces localités étant apparemment hors circuit) ; – de faire entériner l’accord par le Conseil des ministres ; – d’établir le cahier des charges pour la réalisation du projet (adjudication publique ou restreinte, appel d’offres, accord de gré à gré, etc., M. Murr ne précise pas) ; – de faire approuver par les autorités compétentes (et elles sont nombreuses) le choix de l’adjudicataire ; – d’établir et de faire approuver le plan général et les plans détaillés du réseau ; – de procéder aux expropriations (là où elles seront nécessaires) ou de faire appliquer les servitudes prévues par la loi pour l’installation des poteaux de signalisation (pour mémoire, il s’agit de 1 300 emplacements) ; – de procéder aux excavations et autres travaux nécessaires pour l’enfouissement des centaines de kilomètres de câbles reliant les 1 300 feux entre eux ; – de choisir le lieu où sera implantée la centrale de télécommande électronique de l’ensemble ; – de déterminer l’administration à laquelle sera confiée la gestion de tout le système. On peut d’ores et déjà prévoir une belle empoignade entre le ministère de l’Intérieur (et à l’intérieur du ministère, sans jeu de mots, entre les Forces de sécurité intérieure et l’administration civile), le ministère des Travaux publics compétent en matière de signalisation routière, la municipalité de Beyrouth, etc. ; – de recruter (ça ne se fait pas en une nuit sans lune) et de former le personnel technique nécessaire au fonctionnement de l’ensemble ; – de recruter et de former le personnel d’entretien des feux proprement dits, des écrans de contrôle, du réseau électronique, etc. ; – d’éduquer le public : piétons (oui, il faut penser à eux), automobilistes, motocyclistes et autres cyclomotoristes, etc. ; – et j’oublie certainement de nombreux autres points. * * * Monsieur le ministre, Je comprends parfaitement votre souci de vouloir acquérir pour votre pays ce qu’on fait de mieux dans le domaine de la signalisation routière informatisée ; mais vous savez mieux que moi que «le mieux est l’ennemi du bien». Sans vouloir être trop pessimiste, et en étant simplement réaliste, on peut résumer la situation actuelle en matière de circulation par ces trois mots assez éloquents : «rien ne va». C’est pourquoi, la moindre avancée dans ce domaine sera considérée par vos administrés comme un progrès immense. Ce qui les intéresse, Monsieur le ministre, c’est de savoir quels sont les projets que vous comptez réaliser dans l’immédiat, et aujourd’hui avant demain : – avec les infrastructures actuelles ; – avec les structures administratives actuelles ; – avec le personnel actuel ; – avec les moyens financiers actuels ; – avec les conflits d’attributions actuels ; – avec les lois et règlements actuels ; – avec la mentalité actuelle. Bref, des projets qui pourront être mis en route (c’est le cas de le dire !) avec votre seule signature, et pour lesquels vous ne pourrez pas vous abriter derrière les sempiternels : «on» ne m’a pas donné de crédits ; «on» ne m’a pas donné de pouvoirs ; «on» ne m’a pas donné de personnel ; jusqu’à la fin de la litanie. Il s’agira de réalisations sûrement moins glorifiantes que le projet de 1 300 feux électroniques, mais elles auront l’avantage d’exister et d’être tangibles. Et c’est ce que veulent les gens : du concret, Monsieur le ministre.
Au cours d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, M. Élias Murr, a annoncé un paquet de mesures censées améliorer les conditions de la circulation automobile. Comme c’est souvent le cas quand il s’agit d’annonces visant plus à marquer les esprits qu’à être effectivement mises en œuvre, il y a beaucoup à boire et à manger, et surtout il...
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