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Actualités - OPINIONS

Dualogues...

Parce que, dans un pays comme le Liban, le malheur des uns ne fait pas nécessairement le bonheur des autres; parce que c’est la nation tout entière qui est malade quand l’une de ses communautés se porte mal; parce que ce regain de santé n’a d’autre utilité, d’autre vocation que de rapprocher, à l’ombre d’un État digne de ce nom, des familles libanaises depuis trop longtemps interdites de contact et de communication; pour tout cela, point n’est besoin d’être chrétien pour saluer comme il le mérite le document de Kornet Chehwane. On peut certes déplorer, avec diverses instances mahométanes, que seules des signatures chrétiennes aient été apposées au bas de ce texte, lequel a été aussitôt élevé à la plus haute autorité spirituelle maronite, le patriarche Sfeir : le déplorer oui, car la libanité ne devrait être l’apanage d’aucune communauté; mais on ne peut un seul moment en tenir rigueur aux congressistes de Kornet Chehwane, et cela pour plus d’une raison. La première est que les assises à connotation confessionnelle, qu’elles regroupent des hommes de religion ou des personnalités politiques (quand ce n’est pas les deux), n’ont jamais cessé hélas d’être pratique courante au Liban; on notera d’ailleurs que tout au long des douze dernières années, les chrétiens, marginalisés, démoralisés, divisés, éparpillés aux quatre vents qu’ils étaient, n’ont pu abuser de ce genre de rencontres, alors que d’autres communautés y sacrifiaient périodiquement. La deuxième raison, la plus importante, est que cette charte se veut non point un manifeste de combat, mais une plate-forme de dialogue – un dialogue sincère, responsable et adulte – entre Libanais ainsi qu’entre ceux-ci et la Syrie : rien de plus, rien de moins en définitive qu’un strict respect des dispositions qui ont mis fin à la guerre, dans leurs prolongements internes et extralibanais. Il est frappant de constater à ce propos que le document du 30 avril a rallié (dans les principes, sinon dans les formes) non seulement les radicaux exclus du processus de Taëf ou ceux qui ne s’y sont insérés que sur le tard, mais aussi et surtout des personnalités et des groupes politiques issus de l’accord de Taëf. Qui ont cru en Taëf. Et qui découvrent qu’ils ont été dupés, grugés, tant pour ce qui est du redéploiement des troupes syriennes que des réformes politiques, des libertés publiques et du libre jeu des institutions. Comme si le triomphal accueil populaire réservé au patriarche Sfeir lors de son retour d’Amérique du Nord n’était pas assez éloquent déjà, c’est une très vaste majorité de chrétiens libanais qui s’est exprimée avec la plus grande clarté à Kornet Chehwane. Cela, et Damas a beau s’obstiner à parler de «groupuscules», il sera bien difficile désormais de l’ignorer ou de le nier. Car plus que jamais la survie même du Liban tient à un simple mot, lequel présidait d’ailleurs à sa naissance : le dialogue. L’évènement de Kornet Chehwane est en ceci salutaire qu’il commande une saine redistribution des rôles, à commencer sans doute par les chrétiens eux-mêmes. Il était grand temps, ainsi, que la classe politique prît le relais de Bkerké: qu’elle réoccupât enfin un créneau de première ligne que le patriarche, dans le vide ambiant, dans le désolant écheveau des inhibitions peu glorieuses et des sordides intérêts personnels, aura été amené, acculé à défendre dans la solitude, des années durant. Il est grand temps, de même, que l’islam local redevienne véritablement cette autre aile de l’oiseau libanais cher au regretté Saëb Salam et qui n’est plus qu’un chétif volatile promis à la broche sur la table des puissants. Un nouveau pacte de 1943 est une nécessité vitale; et comme dans toute affaire vitale, certaines audaces s’imposent, même si on ne saurait méconnaître les contraintes et pressions très particulières dont sont l’objet les leaders mahométans libanais. Ainsi, le niet de M. Nabih Berry concernant le tabou syrien est très vite venu donner le ton, couvrant d’autres commentaires bien plus accommodants qui émanaient notamment des présidents Husseini et Hoss. Dans le même temps, et avec son exquise courtoisie (dont avait eu la primeur M. Walid Joumblatt, menacé de mort en pleine enceinte parlementaire), le baassiste Assem Kanso a pratiquement invité les «agents» à crever plutôt, agitant en prime le spectre d’un retour à la guerre civile. Reste le premier rôle, celui de modérateur sinon d’organisateur de cet indispensable dialogue dont la seule évocation effraie tant les inconditionnels de Damas. Pour claires et nettes que soient ses propres options, ce rôle échoit tout naturellement au président de la république, dont M. Kanso a fait – de manière bien peu charitable, en somme – le suprême garant du maintien ad vitam eternam de la présence syrienne. Dans leur écrasante majorité, les Libanais préfèrent croire que les priorités s’imposeront à tous. Et que les remous croissants que fait cette pesante présence sont enfin bien présents, eux, dans les préoccupations présidentielles.
Parce que, dans un pays comme le Liban, le malheur des uns ne fait pas nécessairement le bonheur des autres; parce que c’est la nation tout entière qui est malade quand l’une de ses communautés se porte mal; parce que ce regain de santé n’a d’autre utilité, d’autre vocation que de rapprocher, à l’ombre d’un État digne de ce nom, des familles libanaises depuis trop...