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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Les princes druzes et la formation de l’État libanais - Fakhreddine II le Grand, diplomate, homme de culture, politique -

Qorkomaze laissa à son fils, qui n’avait que treize ans, un vaste pays s’étendant de Naplouse au sud, à la région d’Alep au nord. C’est en 1590, à l’âge de dix-huit ans, qu’il succéda à son père sous le nom de Fakhreddine II. Contrairement à ce dernier, le nouvel émir connaîtra un grand destin dont profitera entre autres sa capitale hivernale, Saïda. «Du milieu des luttes mesquines où s’épuisait la vitalité du Liban, un homme allait surgir, lequel fixerait son énergique personnalité pendant près d’un demi-siècle à l’attention de la Syrie et du monde chrétien». (Voir L’Orient-Le Jour du 19 avril). Fakhreddine s’imposa rapidement comme un grand homme d’État et un bâtisseur. Il était courageux jusqu’à la témérité, ambitieux et aimait la justice. Toute sa vie, il consacra ses efforts au service de son pays accomplissant, pour y parvenir, les principes suivants : – faire du Liban un pays exemplaire sur le plan de la civilisation et de la culture, un exemple à suivre pour tous les pays voisins; – entreprendre une politique d’ouverture sur l’Orient et sur l’Occident afin de neutraliser les effets néfastes de leur contradiction sur l’indépendance du Liban et le bien-être du peuple; – gouverner comme il se doit en plaçant «l’homme qu’il faut à la place qu’il faut»; – utiliser toutes les potentialités physiques et humaines, sans discrimination, dans l’unique but de faire avancer et évoluer le pays. Le souci de faire du Liban un pays phare de l’Orient est apparu chez le grand émir dès sa prise de pouvoir en 1590, mais surtout après son retour d’Italie en 1618. Fakhreddine, qui venait en effet de passer cinq ans en Italie entre Florence et Messine, avait pris contact avec le souverain pontife, le Grand Duc de Toscane et le vice-roi d’Espagne en Sicile. La scène politique et diplomatique Animé d’une haine farouche des Ottomans, Fakhreddine consacra son énergie, tout au long de son règne, à les combattre par la force et la ruse. Il ne se contenta pas seulement d’étendre son territoire, mais s’employa aussi à développer son commerce extérieur en cherchant des alliances en Europe, en Italie, en Espagne et à Malte. Ces deux préoccupations l’amenèrent ainsi à engager des négociations avec les Florentins qui, de leur côté, tentaient désespérément de s’implanter au Levant d’où les avaient jusqu’alors repoussés leurs rivaux vénitiens. Ces négociations aboutirent à la signature entre l’émir et le Grand Duc de Toscane, ennemi de la Sublime Porte, d’un accord commercial assorti de clauses militaires secrètes, évidemment dirigées contre la Turquie. Fakhreddine en profita pour établir des contacts avec le souverain pontife, «cette grande personne à laquelle obéissent les princes, les rois et les empereurs… le dieu terrestre, maître d’une haute puissance unique sur terre», selon son expression. Quant à la France, Fakhreddine la considérait trop proche de la Sublime Porte, tout comme l’Angleterre et les Pays-Bas, malgré son amitié avec son consul à Saïda et son hospitalité envers tous les ressortissants français, commerçants et missionnaires. À l’Est, Fakhreddine conclut une alliance avec le shah d’Iran, Abbas 1er le Grand (1587 – 1629), grâce à son ambassadeur cheikh Loutfallah al-Meissy al-Amely. La destinée et la notoriété de ces hauts personnages devaient nécessairement se croiser car tout comme l’émir Fakhreddine, c’est à Chah Abbas 1er qu’il allait incomber de donner à son pays à travers un essor fantastique des arts l’une de ses pages les plus glorieuses. Depuis l’architecture jusqu’à la miniature et au tapis, toutes les formes d’expression vont refléter un goût persan à la fois unitaire et original, qui ne passa d’ailleurs pas inaperçu en Europe puisque des ambassadeurs furent envoyés à Rome, Lisbonne, Valladolid, Prague et Moscou. Un esprit ouvert à la culture Fakhreddine utilisa aussi bien le savoir-faire de ses compatriotes que celui des étrangers. Son voyage en Italie fut très productif à cet égard puisqu’il était accompagné à son retour de huit familles de paysans susceptibles d’enseigner aux villageois libanais les méthodes agricoles ainsi que l’élevage. Des ingénieurs des ponts et chaussées, des architectes, maçons et paysagistes l’avaient aussi suivi jusqu’au Liban. Il n’avait par conséquent aucune sorte de fanatisme, de chauvinisme ni d’ostracisme envers quiconque, mais un esprit ouvert à tout ce qui se faisait de mieux dans le monde. Outre la construction des forteresses, des arsenaux et des usines à poudres, des khans pour les commerçants et les marchandises, Fakhreddine contribua à l’essor de la culture. En effet, c’est sous son régime, et plus précisément en 1610, qu’a été installée et pour la première fois en Orient, une imprimerie, celle du couvent Saint-Antoine de Kozhaya pour «éditer des livres en langues arabe, syriaque, persane et copte». Le premier livre à paraître fut celui des psaumes en langues arabe et syriaques. Puis se faisant aider par les anciens élèves de l’école maronite de Rome, il appliqua ses convictions dans les domaines éducatif, pédagogique et culturel en édifiant les premières écoles modernes inspirées du système éducatif suivi en Europe. Mieux encore, et malgré les interdits du sultan, il ouvrit le Liban et ses dépendances aux missions étrangères, établissant les franciscaines à Nazareth en 1620 et leur confiant quatre couvents, dont deux à Saint-Jean d’Acre, et les deux autres à Sidon et au Mont-Liban. En 1621, il installa aussi les jésuites à Nazareth et Sidon, deux villes à partir desquelles ils se propagèrent dans tout le Proche-Orient. Et lorsqu’il décida de faire de Beyrouth l’une de ses capitales, il demanda aux capucins d’y ouvrir une école, financée par le budget du saint-synode de l’école de Maouqa, au Liban-Nord. En d’autres termes, Fakhreddine avait des certitudes sur l’intérêt d’accéder à la culture, la culture pour tous, toutes confessions confondues. Les actions que nous évoquons, bravant parfois l’avis du sultan ottoman, montrent combien il usa de son influence, mais aussi de son énergie et de son intelligence, pour faire aboutir ses projets éducatifs. L’émir bâtisseur À son retour d’Italie et après avoir étendu son pouvoir sur un territoire deux fois plus grand que le Liban actuel, Fakhreddine choisit avec soin ses principaux lieux de résidence. Entouré des architectes et des ingénieurs italiens qui le suivirent jusqu’au Liban, il se fit bâtir des palais à Saïda, Beyrouth et Deir el-Qamar, qu’il garda comme capitale politique et militaire. De plus, se consacrant à l’embellissement de sa résidence d’été à Beyrouth, il agrémenta les jardins de la ville d’arbres fruitiers et de pins parasols. Les terres arides furent reboisées et la Forêt des Pins – devenue célèbre depuis lors – fut entretenue par l’ingénieur italien Schiali. Il créa enfin un jardin zoologique, le premier en Orient, connu selon l’expression de l’époque de «khan des bêtes fauves». Dans un second temps, l’émir fit effectuer de grands travaux d’irrigation dans le Chouf et dans la Békaa, édifier des bains et des égouts (phénomènes très rares à l’époque en Orient comme en Europe), tracer des pistes, élever des entrepôts (khans).
Qorkomaze laissa à son fils, qui n’avait que treize ans, un vaste pays s’étendant de Naplouse au sud, à la région d’Alep au nord. C’est en 1590, à l’âge de dix-huit ans, qu’il succéda à son père sous le nom de Fakhreddine II. Contrairement à ce dernier, le nouvel émir connaîtra un grand destin dont profitera entre autres sa capitale hivernale, Saïda. «Du...