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Actualités - BIOGRAPHIES

Commémoration - Il y a 28 ans disparaissait l’ancien chef de l’État - Fouad Chéhab, l’homme des réformes, - du développement économique et de la justice sociale

«La légende des siècles. La légende des siècles libanais. La légende des siècles de l’homme et de l’humain». C’est par cette formule que le quotidien Le Soir avait introduit son message d’adieu au président Fouad Chéhab en avril 1973, il y a 28 ans jour pour jour, lors du décès de l’ancien chef de l’État. «Militaire et citoyen», «Pessimiste constructeur», il n’en fut pas moins un platonicien pragmatique et un démocrate justicier. Le président Chéhab avait ce don unique de pouvoir jongler entre les antinomies, pour les agréger en une harmonieuse synthèse. Homme d’État, il le fut, mais pas seulement. C’est peut-être de sa noblesse de cœur dont on parlera souvent. Que reste-t-il aujourd’hui du souvenir de ce géant qui a profondément imprégné son époque, mais aussi toute l’histoire du Liban qui s’ensuivit ? Ses proches collaborateurs témoignent avec fidélité, avec amertume aussi. Pour dire une fois de plus la grandeur de l’homme, mais aussi l’injustice dont il fut la cible, lorsque, à la fin de son mandat, il fut l’objet d’une véritable offensive psychologique. «Fouad Chéhab est un phénomène assez rare, singulier», dira de lui l’ancien ministre Fouad Boutros. C’était «l’homme que j’avais rêvé de rencontrer», soutient Joseph Donato, directeur général de l’Office de développement social (ODS) du temps du général. Le discours de ces deux hommes, qui ont côtoyé de près le président, rejoint la description qu’en donne un autre grand commis de la même époque, le général Ahmed el-Hajj, qui voit en lui un «visionnaire, un organisateur et un planificateur. Il fut un chef au vrai sens du mot», dit-il. Ce n’est pas la seule nostalgie qui motive le témoignage des trois compagnons du président Chéhab. Mais le souvenir d’une action concrète, insufflée par une véritable philosophie de l’État de droit. «C’est la seule tentative sincère et sérieuse de créer au Liban un État solide et des institutions de droit», relève Fouad Boutros en parlant des multiples réformes entreprises par «le général-président». «Il avait fini par acquérir une véritable culture politique, profondément imprégné qu’il était par des idées essentielles qui sont à la base de l’entité libanaise», souligne-t-il. Consensus interconfessionnel généré par un véritable programme gouvernemental, édification d’un État fort par ses institutions et par le respect de la règle constitutionnelle, ainsi se définit l’entreprise menée à bout par le président Chéhab. Mais son action ne saurait être comprise si l’on n’y intègre pas la politique sociale avancée, prônée par cet homme tout au long de sa vie. «Le problème fondamental au Liban, aujourd’hui et demain, est social. Il faut établir un équilibre social qui n’existe pas. Cela constituait mon objectif quand j’étais au pouvoir . Je ne crois pas m’être trompé sur ce point», assurait encore le président Chéhab, quelques années avant sa mort, devant le grand politologue, Maurice Duverger. Cette conviction profonde, que le social est la clé de tous les maux et le passage obligé vers une véritable paix civile, s’était érigée en une véritable idéologie que Fouad Chéhab mettra en application tout au long de son mandat. Il fallait à tout prix sortir les régions et les communautés de la pauvreté et du sous-développement, une tâche à laquelle il s’est attelé très tôt. «Il était décidé à introduire dans l’action gouvernementale – ce qui lui avait toujours manqué – une dimension sociale au profit des couches et des régions défavorisées afin de réduire un tant soit peu les disparités économiques que perpétuaient avec une folle inconscience une société à bien des égards ploutocratique et obscurantiste», écrit Roger Gehchan dans son ouvrage sur Hussein Oueini*. D’où création de l’ODS, un office qui avait «la vocation d’être sur place pour incarner la présence de l’État», comme le définit Joseph Donato. «Tous les jeudis, nous devions retrouver le président pour discuter avec lui du projet de développement en cours». «Il fallait éveiller la capacité des gens, montrer que le social était une tâche commune, en donnant aux bénéficiaires le sentiment que c’était leur œuvre», précise l’ancien directeur de l’ODS. Connaissant à fond le Liban géographique et sociologique, pour l’avoir sillonné lors sa carrière militaire, il a pu «radiographier le pays» ayant acquis le sens de la proximité avec le peuple. Impliqués dans le processus de développement de leur propre région et communauté, les citoyens devaient spontanément adopter ce concept de «participation et de solidarité». Travaillant de pair avec la fameuse délégation Irfed, qui avait entrepris les enquêtes et les sondages nécessaires à la concrétisation du projet social, l’ODS, et par là-même le président, avait réussi à gagner la confiance des gens. Pourtant, il fut accusé d’être un homme replié sur lui-même, mais ce n’était que pour mieux observer, dit Ahmed el-Hajj. «C’était un fin observateur de son balcon de l’armée. Il n’a jamais été un politicien». Pour Fouad Chéhab, la priorité était de «consolider l’union nationale des Libanais. Pour cela, il fallait réaliser une justice sociale, qui sous-entend que les Libanais sont égaux devant la loi. On ne peut exiger une loyauté du citoyen envers l’État si on n’applique pas le principe de la justice», ajoute le général Hajj. C’est ce même principe d’équité combiné à celui de la méritocratie qui sera appliqué au programme de réforme administrative entreprise par le président Chéhab. Ainsi, le Liban a vu naître à cette époque les premiers organes de contrôle administratif : l’Inspection centrale, le Conseil de la fonction publique, le Conseil de discipline, la Cour des comptes. Objectif : libérer l’Administration publique du clientélisme tout en respectant le confessionnalisme, c’est-à-dire en choisissant les meilleurs de chaque communauté. «Il connaissait les maux de la République (…). Il fallait soustraire la Fonction publique à la mentalité partisane, en gagnant la loyauté du fonctionnaire envers l’État». La solution se trouvait dans l’application stricte et équitable du principe de la récompense et de la punition, souligne le général Hajj. Sous son impulsion, l’équipe d’experts dont il s’est entouré «mènera à bien la réforme de l’Administration, de l’économie, des finances et des forces de sécurité». «Ils lanceront des plans de développement de l’infrastructure et des régions déshéritées, mettront en route la sécurité sociale et amorceront la décentralisation administrative ainsi que la généralisation de l’instruction publique», précise Roger Gehchan. Le président avait posé les jalons d’une œuvre de réforme, véritable ciment d’une union nationale fragilisée par les évènements de 1958. C’est d’ailleurs dans cette conjoncture qu’il avait accédé à la présidence de la République, «propulsé au devant de la scène comme étant la solution adéquate», estime Fouad Boutros. Dans des circonstances aussi exeptionnelles (après le révolution blanche de 52 et la double crise de 58), cet homme, qui s’est élevé «au-dessus des tendances conflictuelles», s’imposait. En effet, il avait fait preuve d’une certaine indépendance d’esprit et un sens du devoir lorsqu’il s’est trouvé à la tête de l’institution militaire, rappelle l’ancien ministre. «L’Égypte nassérienne aussi bien que les États-Unis ont vu en lui la planche du salut», un accord d’autant plus surprenant quand on se rappelle comment ces deux puissances étaient antinomiques, fait remarquer l’ancien ministre. Pratiquant une politique d’ouverture sur l’ensemble du monde, à commencer par le monde arabe, le président Chéhab a réussi un tour de force en «ménageant l’Égypte et en refusant de s’engager dans aucune formation arabe dirigée contre ce pays». Sa devise en politique étrangère était la suivante : éviter de s’impliquer dans un conflit politique interarabe quel qu’il soit, d’où une large liberté d’action qu’il s’est octroyée aussi bien sur le plan régional qu’international. Inspiré par un réalisme à toute épreuve, il n’en était pas moins conscient de la nécessité de composer – sans jamais transiger sur les principes - avec les politiciens libanais souvent qualifiés de «fromagistes». «Je suis obligé de travailler avec ce monde», telle était sa formule cynique. Il l’illustrait avec cette image suggérée par Georges Naccache, lorsque ce dernier comparait la praxis politique à la «cigarette que l’on roulait de deux crans pour reculer d’un cran». Son pragmatisme ne lui a pourtant pas valu des amitiés au sein des politiques. Une «pernicieuse campagne» fut lancée contre lui vers la fin de son mandat. Vivement critiqué pour avoir «laissé le champ libre» au Deuxième bureau, le président Chéhab prêta le flanc à une véritable opération de dénigrement. Un reproche que ses amis et collaborateurs trouvent injustifié, même s’ils reconnaissent les quelques impairs commis par les services de renseignements. «Moi, je peux témoigner que chaque fois que le président Chéhab a eu à choisir entre la petite vindicte politique et l’intérêt public, il a opté pour le second», conclut Fouad Boutros. Il n’en reste pas moins que la légende chéhabiste renaît aujourd’hui plus que jamais. * Roger Gehchan : «Hussein Aoueini : un demi-siècle d’histoire du Liban et du Moyen-Orient (1920-1970)», 536 pages, éditions FMA, Beyrouth.
«La légende des siècles. La légende des siècles libanais. La légende des siècles de l’homme et de l’humain». C’est par cette formule que le quotidien Le Soir avait introduit son message d’adieu au président Fouad Chéhab en avril 1973, il y a 28 ans jour pour jour, lors du décès de l’ancien chef de l’État. «Militaire et citoyen», «Pessimiste...