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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

CONFÉRENCE - Samir Tabet au Kulturzentrum - « Les portraits du Fayoum : au-delà du regard »

Ancien vice-président de l’AUB, président de la Société des amis du musée de l’AUB et peintre de talent, le Dr Samir Tabet est un fin connaisseur en matière d’art. Un savoir qu’il aime partager au cours de conférences qu’il donne régulièrement à l’Université américaine de Beyrouth et, de temps à autre, dans différents cénacles culturels. Ainsi, c’est à la Kulturgalerie du Kulturzentrum à Jounieh qu’il a développé le thème des portraits du Fayoum, au cours d’une conférence accompagnée de projection de diapositives. Avant d’attaquer le vif du sujet, le Dr Tabet a commencé par déplorer le manque d’intérêt actuel pour l’art du portrait. «Le portrait peint est de nos jours négligé. Il n’est pas à la mode, alors que, depuis la Renaissance jusqu’au XIXe siècle, les portraitistes étaient très recherchés. Les historiens nous apprennent que dans l’Antiquité, le premier portrait “réaliste” était probablement celui d’Alexandre le Grand, réalisé par son ami le peintre Apelle (-IVe s.). Apelle appartenait à une école qui avait été la première à peindre des portraits vus de face. On sait que les anciens Égyptiens faisaient toujours des portraits de profil. Et ce sont les Grecs qui, en jouant avec l’ombre et la lumière, ont découvert le procédé de la profondeur. Cette façon de peindre a duré vingt-trois siècles jusqu’en 1870, quand l’impressionnisme se révolta contre la façon traditionnelle de peindre». C’est à cette période, plus précisément en 1880, qu’un grand nombre de portraits mystérieux ont commencé à apparaître en Europe et aux États-Unis. «Ils étaient importés d’Égypte par Théodore Graff, un antiquaire autrichien, qui les achetait à des paysans égyptiens, révèle le conférencier. Toutes ces peintures étaient tirées de sarcophages, et on les appelait au départ portraits de momies. Mais comme le plus grand nombre venait de Fayoum, on les a rebaptisés du nom de cette région fertile au sud-ouest du Caire, qui était habitée, à l’époque de l’Égypte romaine, par des soldats à la retraite». «Ces magnifiques portraits de l’époque gréco-romaine sont caractérisés par le réalisme de l’école d’Apelle. Ils étaient toujours de face ou légèrement de trois quarts, avec des reflets très forts dans les yeux, au bout du nez et à la lèvre inférieure, là où la lumière frappait le plus. Ce qui accusait le relief. D’admirables portraits donc, autant par leur qualité artistique que par la profondeur de leur perception psychologique. Seulement, poursuit M. Tabet, ces peintures ne représentaient pas des rois ou des hauts dignitaires mais de simples personnages : des officiers, des soldats, des instituteurs, leurs épouses et parfois leurs enfants». Cependant, pour des raisons assez évidentes (ils n’étaient jamais signés ; ils étaient tellement bien conservés et tellement différents de ce qui se faisait à l’époque), on a longtemps pensé que c’étaient des faux. Ce n’est qu’en 1997 que le British Museum va réhabiliter ces très belles figures antiques, par une grande exposition qui sera également transportée à Rome, à Paris, au Caire, ainsi qu’au Metropolitan de New York. Un florilège d’ouvrages sur le sujet, édité à cette même période, sortira définitivement les portraits du Fayoum de l’ombre des… sarcophages millénaires. Historique «En 31 avant J-C, Cléopâtre, la dernière des Ptolémées, se fait battre par les Romains, qui établissent alors leur régime en Égypte. Ces Romains-là continuèrent la tradition des portraits peints dans le style réaliste. Mais dans une société très cosmopolite, où il y avait des Grecs, des Romains, des Égyptiens, des juifs, des Libyens, etc., il se forme des interactions entre les cultures. Or, il s’est avéré que malgré la soumission politique et économique à Rome, la religion pharaonique est restée dominante en terre d’Égypte, prenant même le dessus sur tous les autres cultes. Les Grecs et les Romains ont ainsi adopté les rites religieux égyptiens et on a commencé à voir dans les tombeaux romains des divinités égyptiennes entourant le mort. Mais le plus grand changement s’est fait sur le sarcophage. Les Égyptiens sculptaient un masque funéraire polychromé qui recouvrait la face de la momie. Avec l’intervention de la culture gréco-romaine, les portraits du Fayoum ont remplacé, à partir du Ier siècle après J-C, le masque sculpté». Technique La datation de ces portraits du Fayoum a été faite par comparaison avec des statues romaines, le procédé du carbone 14 n’étant pas absolument fiable. «Les femmes de la colonie égyptienne copiaient les Romaines et c’est par la coiffure, les bijoux que l’on a pu dater ces portraits entre le Ier et le IIIe siècle après J-C, explique le conférencier. À partir du IIIe siècle, la chrétienté a commencé à s’introduire à Alexandrie. Et c’est ainsi que petit à petit ces portraits ont disparu». Sans doute supplantés par les icônes. Ce que disait d’ailleurs Malraux par une belle formule : «Ces portraits du Fayoum chuchotent les icônes». «La technique est la même», affirme pour sa part Samir Tabet. «Les portraits étaient faits sur fond sombre, sur bois ou sur toile de lin. Les portraits du Fayoum étaient réalisés à l’encaustique (la cire) avec des pigments naturels (c’est une des raisons pour lesquelles ils ont résisté deux mille ans) tandis que les icônes étaient peintes à la tempera. Mais la très grande différence réside dans l’humilité des figures d’icônes, leur côté sobre, figé. Alors que celles du Fayoum se caractérisaient par ces reflets, cet éclat vif et “mondain” dans l’œil». Et de conclure par une seconde citation de Malraux : «Ces portraits du Fayoum brillent d’une flamme de vie éternelle».
Ancien vice-président de l’AUB, président de la Société des amis du musée de l’AUB et peintre de talent, le Dr Samir Tabet est un fin connaisseur en matière d’art. Un savoir qu’il aime partager au cours de conférences qu’il donne régulièrement à l’Université américaine de Beyrouth et, de temps à autre, dans différents cénacles culturels. Ainsi, c’est à la...