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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - L’émergence de l’autonomie nationale - Les princes druzes et la formation de l’État libanais - -

En ce début du XVIe siècle, l’histoire du Liban est une longue suite de batailles, de pillages et d’assassinats. De la mosaïque des principautés émerge cependant celle gouvernée par les Tannoukh, dont l’influence s’étend bien au-delà du Gharb, leur fief originel. Les Tannoukh semblent avoir une vocation de fédérateurs. Confinés d’abord dans le Gharb, ils devaient attendre, pour gouverner Beyrouth, le départ des Croisés. Entre ces derniers et l’islam, ils inaugurèrent une politique de bascule. Ils empêchèrent notamment les incursions de leurs sujets sur la ville détenue par les Francs, tandis qu’ils correspondaient secrètement avec le monde musulman. Cela leur coûta de subir parfois des représailles des deux côtés. Pendant la guerre entre Tartares et Mamelouks, les Tannoukh se répartirent entre les deux camps ennemis «pour s’assurer de toute façon une part de la victoire». Cette politique permit aux Tannoukh de garder leur fief pendant plusieurs siècles. En relatant la manière dont les califes et leurs agents destituaient les gouverneurs de provinces, Saleh ibn Yahia Tannoukh écrit : «J’ai relaté ces faits pour remercier Dieu d’avoir préservé le fief de nos aïeux alors que tant de transformations se déroulaient ailleurs». Avant le XVIIIe siècle, la légitimité n’appartenait pas théoriquement au peuple. Elle était le résultat d’un certain nombre de circonstances qui conféraient une autorité plus ou moins incontestable au titulaire du pouvoir : consécration de l’autorité religieuse, ancienneté, hérédité. Une famille qui se maintenait au pouvoir pendant quelques générations devenait aussi légitime que, de nos jours, une représentation nationale élue en bonne et due forme. En se maintenant au pouvoir, les Tannoukh acquéraient, en même temps que la légitimité et l’hérédité, une force morale appréciable aux yeux des suzerains étrangers et lointains. Grâce à leur politique sage et suivie et, somme toute, modeste, les Tannoukh dotaient ainsi le Liban d’une autorité nationale légitime. L’un d’eux, l’émir Izzeddine Sadaqat, qui mourut en 1444, avait, dit le chroniqueur Ibn Sbatt, «gouverné tout le pays s’étendant le Tripoli à Safad et chassé de la Békaa les Bani-Hamra». Malheureusement, dans la guerre qui oppose Mamelouks d’Égypte et Ottomans, ils ne font pas preuve de la même habilité que leurs ancêtres, en choisissant le camp des perdants, celui des Mamelouks. Les Ottomans les chassent de leurs fiefs pour les remplacer par les Ma’an, qui font à ce moment leur entrée sur le devant de la scène libanaise. Ils deviennent alors les plus puissants seigneurs du Liban central en la personne de Fakhreddine Ier. L’origine des Ma’an Selon certains chroniqueurs tels que al-Mohibbi et contre toute confirmation des biographes de Fakhreddine, la famille arabe des Ma’an serait d’origine kurde. Ce dont on est sûr, c’est que la famille habitait le Wadi at-Taym, région à prédominance druze dont elle avait embrassé la religion. Son origine remonte à Ma’an ibn Za’idah qui occupait alors de hautes fonctions à la cour des derniers Omeyyades, et dont le clan appartenait à la tribu de Bani Rabi’a. Ayant prouvé sa loyauté et son courage au calife abbasside Abou Ja’afar al-Mansour, ce dernier le nomma alors gouverneur de la région de Sigistane. Son assassinat quelque temps plus tard poussa l’ensemble de la famille à quitter cette contrée pour venir s’installer définitivement dans le Chouf, région du Mont-Liban. D’autres sources rapportent que l’un des descendants de la tribu de Bani Rabi’a, qui se prénommait Ma’an, fut battu par Baudouin en 1118 après une bataille sanglante dans la région d’Alep. Il quitta la région et voulut s’installer dans la Békaa. Or, le gouverneur de Damas, Taghtakine, lui demanda de se diriger vers les montagnes du Chouf surplombant les côtes libanaises du sud pour contrer l’avance des Croisés. Ma’an s’installa donc dans la montagne et fonda la ville de Baaqline sur la colline faisant face à Deir el-Qamar, s’alliant alors avec les autres princes druzes de la région du Gharb (est de Beyrouth) : les «Tannoukh». L’historien et orientaliste espagnol Benjamin de Tudèle précise d’ailleurs en 1173 que la famille Ma’an contrôlait la région s’étendant du sud de Saïda – à quelque 30 km de la ville – jusqu’au Mont Hermon, et d’ajouter que les croyances et les traditions de cette famille s’apparentaient aux croyances druzes. Mais poussés par les Croisés qui prirent position dans toute la région, le prince Ma’an et ses hommes furent contraints de se replier vers la montagne. Un seul prince de la région, l’émir Mounquez Chéhab, tint tête aux Croisés, vaincus et chassés de Wadi at-Taym après une grande bataille. Ma’an, attiré par les succès de l’émir, demanda alors à faire sa connaissance. Très vite, les deux princes se lièrent d’une grande amitié, générant même quelques alliances puisqu’entre les XIIe et XVIIe siècle, les deux familles s’unirent par des liens matrimoniaux. Après la mort de Ma’an en 1175, son fils Younès qui hérita du pouvoir se maria avec la fille, Tayyiba, de Mohammad ibn Mounqez Chéhab ; de cette union naquit un fils, Youssef, qui, à la mort de son père Younès Ma’an en 1193, reprit le pouvoir et épousa Saada, fille de Mounqez. Nous le constatons, le pouvoir politique avait pris pour habitude, depuis leur arrivée au Sud-Liban, de se transmettre héréditairement. Le pouvoir transmis à Youssef, c’est son fils Abdallah qui le reprit en 1240. En 1253, ce dernier meurt et c’est alors Ali, son fils, qui lui succède. C’est sous son règne qu’une grande partie des Chéhab se réfugia en 1286 au Mont-Liban, alors que les Mongols dévastaient Wadi at-Taym. Quant aux descendants de Ali, ce sont Bachir, Mohammad, Saadeddine mort en 1349, Osman, Ahmad, Melhem mort en 1470, et Youssef. Le XVIe siècle En ce début du XVIe siècle, l’histoire du Liban est donc le récit d’une longue suite de batailles. De la mosaïque des principautés émergeait l’une d’entre elles, celle que gouvernaient les Tannoukh qui paraissaient avoir vocation de fédérateurs, on l’a vu. Malheureusement, dans la guerre qui opposa Mamelouks d’Égypte et Ottomans, ils ne firent pas preuve de la même habilité que leurs ancêtres : non seulement ils ne surent pas se partager entre les deux camps, mais encore ils choisirent le perdant, celui des Mamelouks, comme précisé au début de cet article. Les Ottomans victorieux les chassèrent de leurs fiefs et choisirent pour les remplacer les Banoû Ma’an, qui apparaissaient à ce moment sur le devant de la scène libanaise. Ils devinrent alors les plus puissants seigneurs du Liban central, en la personne de Fakhreddine Ier, neveu de Youssef décédé, puis de son fils Qorkomaze. En ce temps-là, la Syrie et la Palestine étaient sous la domination du sultan égyptien d’origine tcherkesse Qansouh al-Ghouri. Le sultan turc Sélim Ier commençant sa conquête de la région, l’Égyptien essaya de l’arrêter en demandant à l’émir Fakhreddine et à Ghazali, gouverneur de Damas, de s’allier avec lui. Cependant, ceux-ci décidèrent de prendre le parti du Turc, et Qansouh se trouva isolé, puis battu à la fameuse bataille de Marj-Dabeq qui fit basculer tout l’Orient dans le camp ottoman. Le sultan ottoman n’oublia pas l’attitude de Fakhreddine et lui décerna le titre de sultan el-Barr, confirmant sa primauté en tant que prince du Liban sur tous les gouverneurs de la région. De ce fait, Fakhreddine agrandit son royaume et commença à faire ombrage à la Sublime Porte. En 1544, craignant que le Proche-Orient ne se libérât, sous l’impulsion de Fakhreddine, de sa tutelle, le sultan fit assassiner le prince Ma’anite par le Wali de Damas. Qorkomaze, fils de Fakhreddine, prit alors le pouvoir et jura qu’il ne laissera aucun Turc en paix tant qu’il sera vivant. Il s’imposa aux princes de la région, étendant son pouvoir sur tout le Liban jusqu’aux confins de Damas, sur la côte jusqu’à la ville de Ptolemaïs (Akka) et Césarée en passant par Sidon et Tyr, faisant de Deir el-Qamar sa capitale fortifiée. Malgré toutes ses précautions et pour les mêmes raisons qui avaient entraîné la mort de son père, les Ottomans réussirent en 1585 à acheter l’un de ses serviteurs qui l’empoisonna.
En ce début du XVIe siècle, l’histoire du Liban est une longue suite de batailles, de pillages et d’assassinats. De la mosaïque des principautés émerge cependant celle gouvernée par les Tannoukh, dont l’influence s’étend bien au-delà du Gharb, leur fief originel. Les Tannoukh semblent avoir une vocation de fédérateurs. Confinés d’abord dans le Gharb, ils devaient...