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Actualités - BOOK REVIEWS

VIENT DE PARAITRE - « La soirée des proverbes » de Georges Schehadé - La magie des mots toujours opérationnelle

C’est avec plaisir qu’on découvre dans les devantures des vitrines une nouvelle parution, en arabe, de l’une des plus belles pièces de l’auteur de L’émigré de Brisbane. Si ce n’est la plus belle. À la fois connue et méconnue, secrète et transparente, simple et compliquée, cette œuvre – il s’agit de la très controversée Soirée des proverbes – s’habille d’une version arabe grâce à la traduction (toute en respect et fidélité au texte premier) du poète Adonis. Sahrat al-Amthal (293 pages, édition Dar an-Nahar et en couverture un dessin de Farid Awad) est présentée en un livre où le texte original français et le texte arabe sont côte à côte (vieux complices d’une terre retrouvée) comme pour accentuer la compréhension, le parallélisme et éviter que la magie, les images et la musique schehadiennes ne dérapent ou ne s’évaporent. Louable initiative pour tous les lecteurs arabophones qui ont là une occasion en or de découvrir et de savourer le verbe de Schehadé, après l’expérience réussie de Monsieur Bob’le qui a eu égards au même délicat transvasement linguistique. Représentée la première fois à Paris le 30 janvier 1954 au Petit Théâtre Marigny (qui était en même temps son inauguration) par la Compagnie Madeleine et Jean-Louis Barrault, La soirée des proverbes fut mise en scène par Jean-Louis Barrault qui campait aussi pour la même occasion le diacre Constantin. Sur une musique de Maurice Ohana, les décors et les costumes étaient signés Felix Labisse avec la collaboration de Marie-Hélène Dasté. Une vingtaine de personnages, habillés d’une poésie éthérée (dont cet antihéros schehadien Argengeorge, campé à l’époque par un Michel Piccoli au meilleur de sa forme) quêtant leur propre vérité avec une obstination enfantine. Libanais, né en Égypte (Alexandrie, 1910), Georges Schehadé est un dramaturge étranger à toute école. Il conte surtout de belles histoires couleur d’enfance où à travers les frémissements d’un verbe diaphane et une inspiration insaisissable, tragédie et humour se mêlent en toute douceur. En quêtte de «quelque chose» presque d’indéfinissable, en route vers un destin entrevu dans le bruissement des forêts, ces personnages originaux, excentriques et parfois extravagants, rêvent d’un monde sans souillure. Tel cet Argengeorge ici qui meurt du coup de feu du chasseur Alexis, qui n’est autre que lui-même, avili et vieilli par les compromissions. Terrible reflet de miroir que les êtres acceptent souvent difficilement. Avant le lever de rideau, comme un résumé de la pièce, on entend cette voix qui dit : «Ils furent plusieurs qui assistèrent à cette soirée et qui maintenant sont morts ! Le temps a jeté leurs âges par la fenêtre ; l’eau et le gazon ont pourri leurs corps. Si la mélodie peut survivre dans l’âme d’un enfant, si tout ce qui fut esprit demeure, je vais raconter l’histoire d’une nuit merveilleuse». C’est cette «nuit» justement que nous «écoutons» à travers des images et une musique bien orientales et des mots empruntés certes à l’imaginaire de ce «cher Georges» mais qui, tout en étant familiers, conduisent le lecteur vers des rives aux sortilèges inconnus. Extraits «Tout à coup, j’ai vu le Jour et la Nuit, séparés… et ensemble. Toutes les choses du jour ici : l’artichaut et l’œillet, un cheval, le puits, les arbres verts comme dans le matin. Là : la nuit, avec ses cornes noires, le ciel noir et les étoiles comme des puces blanches… La Nuit et le Jour, quoi ! avec toutes leurs garanties. oh». Monologue « poétique » du diacre Constantin «Comme ces prophètes barbus par honneur Et vont pieds nus sur la terre Je suis votre vagabond, Seigneur ! Vous qui habitez le pays des montgolfières Et partagez le sel entre les Eaux, Constantin vous salue ! Donnez-moi, ainsi qu’à un bâton, Cette poignée de nacre pour votre main divine Ou bien cette corde qui pendille de la lune Pour grimper jusqu’à vous tel un liseron Je suis votre mammifère, Seigneur Dans ma pauvre chemise d’homme ! Vous qui êtes un bol de muguets Dans les palais ou les chaumières Et toujours le même avec les fruits ! Parce que je sais parler et distraire, Ils n’ont pas voulu de moi dans cette maison, Une forêt d’oiseaux vole dans mes larmes…» « Envolée » d’Argengeorge Les Quatre-Diamants !… Et sur la colline cette maison allumée comme la lampe du matin. Autour, le bois avec sa fraîcheur maternelle et ses feuilles endormies… Pas de chant, pas de lune. Mais le silence et sa porte grande ouverte. Ô belle nuit !… Et devant moi l’espoir d’un miracle. Car je crois aux Bergers de cette nuit. Mais comme les yeux sont pesants dans les songes… Et voici le sommeil qui frappe à ma tempe, comme une pomme d’or, et coule dans un puits… Ô merveille de voir, tout à coup, ma jeunesse grisonnante et mes pas si lourds ! Ma pensée et mes paroles qui s’enchevêtrent, et la curiosité qui me dévore… Ô belle nuit ! Et si la foi me transperçait ?… et que le sel soit posé sur ma langue ?… Si je quittais à l’aube cette maison de campagne, les pieds nus et dorés comme un enfant inoubliable ? Ô vautours du soir, laissez-moi rêver. Comme ceux-là qui portent la rose et le manteau à l’entrée des grottes merveilleuses, quand le songe emprunte sa vision aux objets de la terre, je suis devant cette maison, avec mon livre… Je marche dans la verdure peinte de la nuit… Sagesse de mon enfance, rejoignez-nous… Dans vos parcs de jadis, avec les oiseaux survoleurs de soldats !… Ô belle nuit ! »
C’est avec plaisir qu’on découvre dans les devantures des vitrines une nouvelle parution, en arabe, de l’une des plus belles pièces de l’auteur de L’émigré de Brisbane. Si ce n’est la plus belle. À la fois connue et méconnue, secrète et transparente, simple et compliquée, cette œuvre – il s’agit de la très controversée Soirée des proverbes – s’habille...