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Actualités - REPORTAGES

ÉLECTRICITÉ - La lutte contre les apesanteurs administratives, financières et techniques passerait-elle par la privatisation ? - L’EDL dans l’œil du cyclone

Le 16 janvier dernier, un différend éclatait entre l’EDL et le ministre de tutelle, M. Mohammed Abdel Hamid Beydoun, au sujet d’une lettre adressée par ce dernier à l’établissement public demandant aux responsables de l’EDL de ne plus percevoir les factures remontant à plus de quatre ans. Le 25 janvier, le président de la commission parlementaire des Travaux, des Transports, de l’Énergie et de l’Eau, M. Mohammed Kabbani, déclarait que l’EDL était incapable de payer la facture du fuel-oil qui s’élevait à 750 milliards de livres libanaises par an. Quelques semaines plus tard, la fourniture en courant électrique se réduisait à 15 heures par jour même au Liban-Nord et dans la Békaa, alors que c’était déjà le cas pour les régions comprises entre Batroun et Nabatiyé, mis à part le Beyrouth administratif. Mardi 20 février, une tempête d’une violence inouïe s’abattait sur le Liban tout entier provoquant pannes et rationnements. Le lendemain, plus de la moitié des pannes étaient réparées alors que le personnel de la centrale de Zahrani, gérée par la société italienne Ansaldo, entamait une grève pour protester contre le retard de deux mois dans le paiement des salaires. Jeudi 22, dans le cadre d’un traitement-choc pour l’assainissement des finances de l’État, le Conseil des ministres confiait au ministre de l’Énergie le soin de préparer un projet de loi prévoyant la privatisation partielle de l’EDL. La tempête qui a soufflé ces derniers temps sur l’EDL n’était donc pas un simple phénomène naturel. Blocages administratifs, déficit financier, handicaps techniques : l’EDL n’en finit pas de sombrer dans son propre gouffre et la privatisation progressive semblerait être la seule issue de secours. Cet établissement public, dans sa forme actuelle, aurait en définitive échoué dans la réalisation de son objectif initial : assurer au citoyen un certain type de service ou ce qu’on appelle, plus communément, un «service public». Entre puissance potentielle et puissance effective, les problèmes de la production Dans le volet technique, les problèmes de l’EDL se situent au niveau du transport, de la distribution, mais surtout au niveau de la production de l’électricité. Le Liban aurait en effet une puissance installée ou potentielle d’environ 2 300 Mégawatt (MW) alors qu’il n’en produit réellement que 1 200, sachant que les besoins de la consommation sont estimés aux alentours des 1 600 MW et qu’il importe de Syrie quelque 250 MW nécessaires pour satisfaire la demande intérieure. Pour ce qui est de la production hydraulique (Nahr Ibrahim, Litani, Nahr el-Bared), supposée fournir 275 MW, le problème se situe au niveau de la nature même de ce type de production, tributaire des saisons et de la disponibilité des ressources hydrauliques qui se font de plus en plus rares. La puissance produite actuellement ne dépasse donc pas les 50 MW. Une exploitation éventuelle du Nahr el-Assi n’est nullement envisagée et n’est pas possible pour le moment, et ce pour maintes raisons. En matière de puissance thermique, la centrale de Zouk est supposée fournir 600 MW alors qu’elle n’en produit que 450, l’une des unités de production étant actuellement hors service, pour cause de révision. Procédure retardée pour des raisons administratives et financières. La centrale de Jieh doit en principe produire 300 MW alors qu’elle n’en fournit que 200. Cela est du à l’état vétuste de cette station, dont les équipements ont déjà servi durant presque 30 ans, et qui devrait nécessairement être entièrement rénovée. Les réparations de la station de Tyr étant déjà achevées, cette station fournit maintenant les 70 MW qu’elle est sensée produire. La station de Baalbeck, détruite lors des dernières attaques israéliennes, a été réparée et fournira bientôt les 70 MW qu’elle est supposée assurer. La station de Zahrani a une capacité de production de 435 MW, dont elle assure uniquement 145 MW, le réseau de transport n’étant pas encore prêt. Pour la station de Beddawi, au Nord, c’est l’équipement même de la station, ou plus précisément de l’une de ses sous-stations détruite par les raids israéliens, qui n’est pas encore prêt. En attendant de pouvoir fournir 435 MW, elle en produit actuellement 145. Il reste les 60 MW de la station de Qadicha, exploitée par l’EDL. Pour ce qui est de l’électricité importée de Syrie, elle peut atteindre les 260 MW, mais son utilisation est limitée par le réseau et en conséquence elle ne peut que desservir le Nord et certaines zones de la Békaa. De manière générale, les dégâts causés par les attaques israéliennes de 1999 et 2000 se sont élevés à 100 millions de dollars et ont été réparés à 80 %. Cependant, les 23 millions récoltés grâce à la participation des citoyens libanais et à des dons étrangers n’ont pas encore été remis à l’EDL. Mais le bilan n’est pas que négatif au niveau technique à en croire le PDG de l’EDL, M. Fouad Hamdane, qui affirme qu’«une amélioration est attendue, côté transport, avec la mise en place de la nouvelle ligne, celle des “220 Kilovolts”, qui sera disponible en principe fin avril», ce qui devrait entraîner une diminution des rationnements. Et M. Hamdane d’ajouter que, dans le cadre des perspectives d’avenir, «l’utilisation du gaz naturel, moins cher que le gas-oil et plus écologique, est actuellement envisagée, d’autant plus que plusieurs pays arabes sont prêts à participer à ce projet» (voir encadré). Les problèmes de distribution sont les plus faciles à résoudre, puisqu’en général, une intervention locale pour réparer une panne éventuelle est rapide et facile à effectuer. De manière générale, deux sortes de problèmes peuvent donc être répertoriées sur le plan technique : soit la centrale est disponible mais le réseau de transport ou de distribution n’est pas prêt, soit la centrale n’est pas fonctionnelle pour des raisons internes (panne, révision...). L’EDL étant incapable d’assumer financièrement ces charges, la participation du secteur privé semble incontournable, tant pour l’équipement que pour la révision des machines. Mais là où le bât blesse, c’est le contrôle administratif de cette délégation progressive de compétence au privé qui pèche soit par excès, soit par manque de surveillance et par laxisme. Consommation avec ou sans facture Au Liban, et aussi étrange que cela puisse le paraître, l’électricité, plus qu’un service, prend parfois un cachet de «cadeau». C’est ainsi que des 85 % de la production électrique qui peuvent être facturés – les 15 % restants se traduisant en pertes techniques –, l’EDL ne facture que 55 % de cette production. Les 30 % restants de la production électrique font l’objet de fraude et de vol de courant par branchements illégaux, et constituent ce qu’on appelle des pertes non techniques. Cette question, qui a revêtu un caractère politique, est revenue sur le tapis lors de l’intervention du ministre Beydoun qui a demandé le mois dernier à l’EDL de renoncer à la collecte des factures d’électricité antérieures à 1997 estimées aux alentours des 350 milliards de livres libanaises. Par ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées pour stigmatiser le fait que Beyrouth et le Mont-Liban payent 97 % des factures contre 3 % pour le reste du Liban. En réalité, ces chiffres sont faussés par le fait même que la consommation est de loin plus élevée dans Beyrouth et le Mont-Liban que dans le reste du pays. Cette consommation, qui varie en fonction du jour et de la nuit, des jours de la semaine et des saisons, qui connaît des pointes en janvier et en juin et des baisses de consommation en avril (mois où les responsables assurent en général avoir trouvé une solution au problème de l’EDL !), est particulièrement concentrée dans le Grand-Beyrouth et ses environs. Il n’en reste pas moins que le problème des factures impayées et des branchements illégaux exige une solution rapide pour éviter le risque de contagion sociale. Pour le moment, l’EDL a demandé à la Cour des comptes d’examiner la validité de la proposition du ministre de l’Énergie concernant la non-collecte des factures d’avant 1997. En réalité, on distingue plusieurs cas de situations illégales, qui se déclinent entre le non-paiement de la facture et le branchement illégal. Dans le premier cas, l’individu possède un compteur mais ne paie pas ses factures. Il peut être alors arrêté et traduit en justice et il est passible d’une amende, conformément à la loi 623/1997. Dans le second cas, l’individu a payé le compteur, sans que celui-ci ne le lui soit encore assuré. Il n’est pas passible de contravention et paie par calcul approximatif, le temps que l’EDL lui fournisse un compteur (48 000 demandes). Dans le troisième cas, l’individu a rempli la formalité de demande de compteur, sans la payer. L’EDL procède à une notification préalable puis coupe le courant (100 000 demandes). Dans le dernier cas, l’individu ne possède pas de compteur, ne présente pas de demande. Il vole le courant, tout simplement. C’est le sort réservé à 30 % de la production électrique, on parle donc de pertes non techniques. L’individu est alors passible d’une amende et il peut être traduit en justice. En l’an 2000, l’EDL a fourni 98 000 compteurs, sur un total d’un million. Mais le problème réside dans la facilité avec laquelle le vol de courant peut avoir lieu, et l’impossibilité technique pour l’EDL de couper le courant d’un seul appartement, contrairement au cas des factures de téléphone non payées. Quand il s’agit de tout un quartier qui consomme illégalement de l’électricité, c’est la protection politique de ce quartier qui empêche l’EDL d’agir. Le directeur général de l’EDL, M. Mouawad, avait tenté de débloquer la situation lors d’une visite au président de la Chambre des députés, M. Berry, qui lui avait proposé de recourir aux forces de l’ordre pour faire respecter la loi. Serait-ce là une fin de non-recevoir proposant une solution «musclée» là où le politique et les contacts auraient mieux réussi ? Interrogé à ce propos par L’Orient-Le Jour, M. Georges Mouawad a considéré au contraire que «la réponse de M. Berry était très satisfaisante puisqu’il assurait que ceux qui contrevenaient à l’ordre public n’étaient protégés par personne». En parallèle, et pour tenter de trouver une issue au problème, la commission parlementaire des Travaux, des Transports, de l’Énergie et de l’Eau a préconisé d’instituer un système de compteurs fonctionnant grâce aux cartes prépayées, à la manière des téléphones cellulaires ou de confier la collecte des redevances aux municipalités. Pour d’autres, seule la privatisation de la collecte des factures pourrait constituer une solution à ce problème, en partant d’un raisonnement sociologique implacable. En effet, en associant les groupes qui refusent actuellement de payer leur facture d’électricité aux compagnies qui se chargeront de la collecte des factures, ils comprendront qu’il est de leur intérêt de respecter la légalité. La facture exponentielle du fuel-oil... Le service de la dette de l’EDL seul, tel qu’estimé par la Banque mondiale, s’élève actuellement à 200 millions de dollars (300 milliards de LL), contre 332 millions de dollars de factures impayées (500 milliards de LL) entre 1999 et 2000 dont 232 millions de dollars (350 milliards de LL) remontant aux années antérieures à 1997. Le problème s’est cependant posé tout récemment avec plus d’acuité avec la hausse du prix du pétrole qui a fait flamber l’addition du fuel-oil, qui s’élève maintenant à 750 milliards de LL par an contre 600 milliards obtenus par le biais des 55 % de production énergétique facturées et perçues. À défaut de dynamiser la collecte des factures, l’EDL se voit donc contraint de lancer un appel d’offres pour la livraison du fuel-oil, que «le Liban achètera aujourd’hui en le payant dans trois ans, c’est-à-dire lorsque le rendement du secteur électrique et ses finances se seraient assainies», d’après le ministre Mohammed Abdel Hamid Beydoun. À long terme, l’option du gaz naturel qui permettrait d’économiser annuellement entre 50 et 100 millions de dollars semble donc la plus évidente. ... et les dédales de la bureaucratie L’administration libanaise apparaît souvent comme un frein, une force d’apesanteur, d’inertie qui empêcherait l’évolution. Cet argument est en tout cas souvent donné comme réponse pour expliquer les lenteurs et les retards dans la mise à exécution des projets de l’EDL. Le vieillissement des cadres, le besoin d’une réforme administrative immédiate et les clivages internes au sein de l’administration de l’EDL sont invoqués pour justifier les résultats obtenus. D’un autre côté, c’est le litige qui oppose la compagnie italienne Ansaldo au CDR qui retarde l’équipement de la sous-station de Beddawi, litige qui est peut-être en voie de règlement. Sous un autre angle, les rapports entre l’établissement public et le Conseil des ministres ne sont pas toujours au beau fixe. Il est d’ailleurs question de modifier ces rapports, en revenant au décret 16 878 portant sur la création de l’EDL en 1964 qui donnait plus d’autonomie à l’administration de l’EDL, contrairement au décret 4 517 de 1972 actuellement en vigueur et qui, souvent, soumet l’établissement public à un contrôle préalable. La privatisation partielle et progressive semble certes incontournable. Toutefois, et pour que cette privatisation ne constitue par une fuite en avant, ses artisans devraient veiller à ne pas transmettre à la nouvelle formule de l’EDL les gènes viciés de la précédente...
Le 16 janvier dernier, un différend éclatait entre l’EDL et le ministre de tutelle, M. Mohammed Abdel Hamid Beydoun, au sujet d’une lettre adressée par ce dernier à l’établissement public demandant aux responsables de l’EDL de ne plus percevoir les factures remontant à plus de quatre ans. Le 25 janvier, le président de la commission parlementaire des Travaux, des...