Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

CONSOMMATION - Une spécialiste française évoque ses dernières découvertes - Vache folle : la contamination d’homme - à homme théoriquement possible

Il est théoriquement possible que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, causée par les bovins et connue sous le nom d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, vache folle), puisse se transmettre d’un être humain à un autre. C’est ce qu’ont démontré les dernières découvertes du Dr Corinne Lasmézas, vétérinaire chercheuse à la Commission d’énergie atomique à Fontenay-aux-Roses, en France. Elle explique la teneur de ses découvertes dans une interview accordée à «L’Orient-Le Jour,» et parle des mesures qui devraient être prises par les hôpitaux pour éviter la contamination d’homme à homme, des cas qui n’ont heureusement pas encore été observés. Le Dr Lasmézas se trouvait au Liban à l’occasion du symposium organisé par la commission scientifique du syndicat des biologistes à l’hôpital Notre-Dame des Secours à Jbeil. «Les conclusions de notre dernière étude sont claires», nous explique le Dr Lasmézas. «L’agent de la maladie de la vache folle, lorsqu’il est transmis à l’homme, et plus généralement aux primates puisque nous avons travaillé sur des macaques, s’adapte à son nouvel hôte et augmente en virulence. Cela veut dire qu’il y a risque de contamination d’homme à homme à partir de patients atteints de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il convient donc de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter ces transmissions secondaires». C’est la première fois que de telles expériences ont été effectuées et l’adaptation de l’agent de la vache folle à l’homme démontré. Comment la contamination d’homme à homme peut-elle avoir lieu ? «La transmission de l’agent au macaque a évidemment été provoquée artificiellement», dit-elle. «Il s’agissait de prendre un broyas de cerveau d’un macaque, inoculé expérimentalement avec l’agent de la maladie de la vache folle et de l’inoculer de nouveau par voie intracérébrale à d’autres macaques. Nous avons également infecté ces macaques par voie intraveineuse, ce qui a montré l’efficacité de cette voie de transmission dans les conditions accidentelles de contamination. Il s’agirait d’actes neurochirurgicaux avec des instruments de chirurgie ayant subi une mauvaise décontamination. Ou éventuellement tout autre acte chirurgical». Cependant, le Dr Lasmézas s’empresse de préciser que «pour le moment, nous n’avons pas démontré la capacité infectante du sang». Elle poursuit : «Nous avons démontré que la voie intraveineuse pouvait être potentiellement dangereuse, mais pour pouvoir affirmer qu’il existe un risque de transmission par transfusion sanguine, il conviendrait de faire des études sur le pouvoir infectant du sang». Est-elle en train de mener de telles études ? «Bien sûr, mais nous n’avons pas encore de résultats sur ce plan», répond-elle. En cas de certitude à ce niveau, ce serait donc très grave. «Naturellement», convient-elle. «Certains pays ont déjà pris des mesures de précaution en excluant les dons de sang de certaines personnes ayant séjourné plus de six mois en Grande-Bretagne, entre 1980 et 1996, qui représente la principale période d’exposition à l’agent infectieux bovin». Si la transmission d’un individu à l’autre est possible dans le cadre d’actes chirurgicaux, et sachant que la période d’incubation de la maladie est très longue, quelles mesures de sécurité devraient être prises par les hôpitaux ? «Pour l’instant, les seules mesures de sécurité sont le nettoyage correct mécanique des instruments, pour éliminer tout tissu adhérent, et les mesures de décontamination telles qu’elles sont inscrites dans les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vis-à-vis de ces agents infectieux, beaucoup plus résistants que les virus habituels», précise Le Dr Lasmézas. «Ce sont les seules mesures à prendre, hormis l’exclusion de certains patients à risque des dons de sang, comme ceux qui ont subi une intervention neurochirurgicale, ceux qui ont été traités par des hormones de croissance d’origine extractive, ceux qui ont des antécédents de Creutzfeldt-Jakob familial». Période d’incubation deux fois plus courte Pourquoi le prion devient-il plus virulent quand il passe d’un être humain à l’autre ou d’un primate à l’autre ? «Dans ces maladies, il existe ce qu’on appelle la barrière d’espèces», explique la spécialiste. «Chaque type de prion est adapté à son hôte naturel. Lorsqu’on le change d’hôte, il doit franchir cette barrière d’espèces, ce qui est relativement difficile. L’agent de l’ESB est capable de franchir cette barrière d’espèces et contaminer l’homme, très certainement par voie orale». Or, une fois que le prion est passé chez l’homme, il s’adapte à son nouvel hôte «c’est-à-dire qu’il y a des mutations qui s’opèrent, des sélections d’un variant un peu plus virulent, qui devient donc plus dangereux pour cette espèce puisqu’il transmet la maladie plus rapidement». Ainsi, les chercheurs ont observé une période d’incubation deux fois plus courte, en cas de transmission de macaque à macaque, que celle enregistrée lors de transmission de vache à macaque. Les facteurs de multiplication du prion dans le cerveau sont également plus élevés. Le risque en est donc accru. Y aurait-il eu des cas de contamination d’homme à homme ? «Pour le moment, cela reste totalement hypothétique», dit-elle. «Mais ce que notre étude a également démontré, c’est que si une telle contamination avait lieu – et elle n’a certainement pas eu lieu –, nous serions capables de détecter ces patients. Il est très difficile de prédire le type de lésions provoquées dans le cerveau du patient par un agent infectieux. Et comme ces agents sont capables de s’adapter et de muter, le type de lésions varie à chaque fois. Toutefois, ce que nous avons réussi à démontrer, c’est que le type de lésions observées chez les macaques inoculés à partir d’autres macaques, est semblable à celui trouvé lors de premier passage, et à celui des patients atteints de la nouvelle variante de Creutzfeldt-Jakob. Cela est très important parce qu’on pourra alors reconnaître ce type de patients et les distinguer». Est-il concevable, selon elle, que la maladie soit transmise d’une mère à son enfant ? «Pour le moment, il n’existe aucune preuve de ce mode de transmission», dit-elle. «Le lait déjà n’est pas contaminant. Les expériences menées vont dans ce sens. Nous n’avons aucun argument épidémiologique pour prouver la transmission par le lait». Et entre les bovins eux-mêmes ? «Il y a un certain taux de transmission verticale qui varie de 1 à 10%», souligne le Dr Lasmézas. «Si la maladie de la vache a atteint un stade avancé, à la fin de la période d’incubation proche du développement des symptômes, le risque de voir la mère transmettre la maladie à son veau à la naissance est alors bien plus élevé que si elle est dans les premières phases de sa maladie». Que pense-t-elle, alors, des mesures prises au Liban d’interdiction de l’importation de veaux de plus de 24 mois ? «C’est une mesure très importante puisque la période d’incubation de la maladie est très longue», affirme Le Dr Lasmézas. «L’âge moyen d’apparition de la maladie chez le bovin est de quatre ou cinq ans. De plus, nous savons que l’agent infectieux se multiplie de façon exponentielle dans le cerveau, surtout à partir de la moitié de la période d’incubation. Les animaux jeunes présentent donc un risque très faible de contamination». À bas les abats ! Sur le danger de consommer de la viande, elle donne les précisions suivantes : «Ce qu’il faut d’abord savoir c’est que le muscle lui-même n’est pas infectant. Le muscle en tant que tel, s’il est prélevé proprement, ne s’est jamais avéré infectant, selon des tests effectués en laboratoire. En revanche, ce qui peut être dangereux, c’est la contamination de la viande avec de la cervelle ou de la moelle épinière infectées. C’est pourquoi l’hypothèse de la transmission par le couteau du boucher a été soulevée très récemment dans un foyer d’infection en Grande-Bretagne». Elle ajoute qu’il n’y a aucun moyen, en pratique, de tester la viande. Les seuls tests disponibles sont pratiqués sur des échantillons de cerveaux d’animaux morts. «Ces tests permettraient de vérifier qu’il n’y a pas d’animaux infectés qui entrent dans la chaîne alimentaire», poursuit le Dr Lasmézas. «Cela nous permettrait d’évaluer un risque potentiel. La seconde mesure importante serait d’interdire l’entrée dans la chaîne alimentaire de tissus très infectants comme le cerveau et la moelle épinière». Quoi de neuf côté traitement ? «Plusieurs études sont en cours dans divers laboratoires, de nouvelles approches sont développées par des laboratoires américains et par notre laboratoire en France, mais nous demeurons dans un stade expérimental», précise-t-elle. Le poulet risque-t-il la contamination ? «La transmission de l’ESB au poulet s’est avérée négative», répond-elle. Mais elle serait quand même favorable à l’interdiction des farines animales, afin d’éviter que des produits potentiellement infectés ne circulent dans la chaîne alimentaire. Ses recommandations pour le consommateur ? «Personnellement, je ne consomme pas de cervelle ou de moelle épinière de bovins, qui sont des organes très dangereux, mais je mange des steaks sans problèmes», assure le Dr Lasmézas. Mieux vaut aussi, selon elle, se débarrasser des abats des moutons âgés. Propos recueillis par Suzanne BAAKLINI
Il est théoriquement possible que la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, causée par les bovins et connue sous le nom d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, vache folle), puisse se transmettre d’un être humain à un autre. C’est ce qu’ont démontré les dernières découvertes du Dr Corinne Lasmézas, vétérinaire chercheuse à la Commission...