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Actualités - REPORTAGES

Les invasions turques

L’établissement de la domination turque fut-elle la cause des malheurs de l’Orient mulsuman ? L’opinion courante, sans doute impressionnée par le discrédit où l’Empire ottoman était tombé au siècle denier, décide trop facilement qu’il a étouffé la civilisation islamique. C’est oublier que les Turcs n’ont pas conquis d’Asie musulmane sans y avoir été appelés ou aidés ; qu’après eux, l’art et certaines formes au moins de la littérature islamique ont poursuivi leur essor ; et qu’enfin la décadence n’est venue qu’au XVIe siècle, un demi-millénaire après leur établissement. Entre-temps, maîtres d’abord de tout l’Orient musulman, ensuite de tout l’Empire byzantin et de ses voisins balkaniques, les Turcs avaient fondé le plus durable des grands empires méditerranéens qui se soient maintenus depuis la chute de la domination romaine. Par ses conséquences immédiates ou lointaines, le fait turc mérite donc autre chose qu’une sommaire mention. Loin de n’être que décadence, il a fixé la plupart des traits qui, jusqu’à nos jours, ont caractérisé les États musulmans. On sait comment, depuis longtemps, les dominations islamiques du Proche-Orient en étaient venues à recruter leurs armées parmi des esclaves turcs, razziés ou achetés jeunes et dressés en soldats intégrés à la société musulmane. Autrement neuve est la migration à laquelle on assiste maintenant. Les royaumes steppiques des Turcs de l’Asie centrale étaient entrés en contact avec l’islam, par des marchands, par des missionnaires et même par ces ghâzîs volontaires qui perpétuaient aux frontières du paganisme l’ancien esprit de la guerre sainte. Mis en contact avec les splendeurs d’une civilisation supérieure, beaucoup de ces Turcs, au Xe siècle, de la Volga à l’Altaï, suivirent l’exemple des Bulgares de la Volga et se convertirent à l’islam : religion qui, dans les masses, pouvait s’allier à des traditions chamanistes ou accueillir toutes sortes de croyances hétérodoxes, mais qui, chez les chefs, accepta les mots d’ordre des docteurs de l’État samanide, lesquels étaient de rite hanifite. Islam des ghâzîs, aussi, qui les séduisit par sa combativité élémentaire ; indifférents aux subtilités des théologiens, ils trouvèrent dans la guerre sainte, menée d’abord contre ceux de leurs frères qui étaient demeurés païens, le moyen de satisfaire leurs traditionnelles habitudes de razzia. Mais il devenait impossible aux principautés iraniennes de faire des esclaves chez ces nouveaux musulmans. Pour maintenir le recrutement des armées, on en vint donc à appeler et à installer des groupes entiers de peuplades turques qui, dès lors, intervinrent dans les luttes des partis ou contribuèrent à écraser les hétérodoxes indociles. Telle est l’origine du royaume des Qarakhânides, qui, dès la fin du Xe siècle, unit au Turkestan chinois, récemment islamisé, l’ancienne Transoxiane arrachée aux Samanides. De son côté, l’armée turque de ces princes fondait en Afghanistan, à Ghazna, une autre principauté qui, bientôt, s’étendait au Khoräsân, dernière possession des Samanides. Semblable à bien d’autres principautés fondées par des chefs d’armée turcs, l’État ghaznévide n’en présente pas moins quelques traits nouveaux : orthodoxes rigides, ses chefs affichèrent la volonté de libérer le califat des chiites ; comprenant au surplus qu’ils ne pourraient tenir en main leur armée ni la payer richement, ni endiguer l’activité des ghâzîs sans la lancer dans des conquêtes, ils entreprirent, avec Mahmoud de Ghazna, de fructueuses campagnes dans la vallée de l’Indus. L’objectif initial n’était que le pillage des temples brâhmanistes ; mais l’effet le plus durable, on l’a vu, fut l’islamisation de l’Inde du nord-ouest : fait historique qui se marque encore sur nos cartes, avec l’actuel Pakistan. Ce furent les Ghaznévides eux-mêmes qui accueillirent sur leur territoire les Seldjukides, avec le groupe turc des Oghouz de la mer d’Aral dont ils étaient les chefs. Tughrilbeg, en arriva à concevoir la guerre sainte comme la conquête d’un islam déchiré par les hérésies. En 1041, ils écrasèrent l’armée ghaznévide, trop tard revenue de l’Inde : l’Iran leur était ouvert. Or, le calife abbasside aspirait à se libérer de la tutelle des Bouyides chiites, et le grand juriste al-Mâwardî exposait à son intention, dans un traité qui devait devenir classique, les règles d’un gouvernement orthodoxe. Les forces religieuses, ne suffisant pas à restaurer l’islam, firent appel à Tughrilbeg, lequel, entré sans coup férir à Bagdad (1055), recevait, avec les titres de roi de l’Est et de l’Ouest et de sultan, la plénitude du pouvoir politique, avec mission de faire triompher l’orthodoxie contre les hérétiques de l’intérieur comme contre les Fatimides d’Égypte. Et de fait, les successeurs de Tughrilbeg ajoutèrent à l’Iran et à la Mésopotamie la Syrie, enlevée aux Égyptiens. Solution périlleuse pour le calife, dira-t-on, puisqu’il échangeait un maître faible contre un tuteur fort exigeant. Mais victoire aussi de l’orthodoxie musulmane : officiellement réuni derrière la bannière verte des Abbassides, l’islam allait pouvoir, dans tout le Proche-Orient, réorganiser le régime sous l’égide de l’armée turque. Édouard Penaj,. « Histoire générale des civilisations »
L’établissement de la domination turque fut-elle la cause des malheurs de l’Orient mulsuman ? L’opinion courante, sans doute impressionnée par le discrédit où l’Empire ottoman était tombé au siècle denier, décide trop facilement qu’il a étouffé la civilisation islamique. C’est oublier que les Turcs n’ont pas conquis d’Asie musulmane sans y avoir été appelés...