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Actualités - CHRONOLOGIES

À l’AIB retrouvailles chrétiennes - et mise en veilleuse des zizanies

Malgré le décalage horaire et la fatigue accumulée au cours du long périple américain, le patriarche des maronites arbore un sourire heureux en saluant les 200 personnalités venues l’accueillir à l’aéroport. Pour la première fois depuis la visite historique du pape Jean-Paul II à Beyrouth en mai 1997, la grande famille chrétienne s’est retrouvée, unie autour d’un même objectif. Qu’importe si certains de ses membres déploient des trésors d’ingéniosité pour s’éviter et si d’autres ne songent qu’à être vus notamment par les caméras, ils ont tous répondu à l’invitation de la Ligue maronite et ce qui se voulait un accueil solennel – et un peu familial – s’est vite transformé en une joyeuse cohue. L’impressionnant ballet des limousines et autres voitures luxueuses, ainsi que l’air affairé des membres du service de l’ordre donne un avant-goût de l’importance de l’événement. Ce n’est sans doute pas le premier retour au pays du patriarche maronite, après un voyage à l’étranger, mais c’est certainement la première fois qu’un tel accueil lui est réservé. Au-delà de l’amour des fidèles, c’est un message politique qu’on a voulu transmettre, l’expression réelle du ras-le-bol des chrétiens, cristallisé par le désir d’en finir avec «l’hégémonie syrienne». Pour éviter toutefois des dérapages regrettables en laissant la rue aux mains de parties brimées ou vindicatives, et comme il n’était pas question de rééditer l’impopulaire journée sécuritaire du 14 mars, c’est la Ligue maronite qui a été chargée de préparer l’accueil : officiels et politiques à l’AIB, étudiants, écoliers, représentants des paroisses et des diverses institutions chrétiennes et autres à Bkerké. La masse populaire s’est donc acheminée vers le siège patriarcal, et les invités de la Ligue se sont rendus à l’aéroport. Celle-ci avait convié près de 200 personnalités chrétiennes pour garder à la réception un caractère familial, notamment les ministres, les députés, les leaders, les figures partisanes et autres personnes en vue, sans oublier les évêques et les représentants des divers ordres religieux. Dès 14h, les invités ont commencé à arriver au salon d’honneur de l’aéroport, s’installant dans les fauteuils profonds et faisant des pronostics sur le ton qu’adoptera le cardinal Sfeir à son arrivée à Beyrouth. Les groupes se forment Au fur et à mesure que l’heure avance, les groupes commencent à se former et les divergences à apparaître. Au fond du salon qui, vide apparaît gigantesque, Mme Nayla Moawad est entourée de Boutros Harb, Albert Moukheiber et Nassib Lahoud. Le chef des Kataëb Mounir Hajj accapare le côté droit, soucieux de saluer le maximum de personnalités pour contrer ceux qui souhaitent le déloger. Des figures disparues depuis longtemps de la scène publique font aussi leur réapparition. C’est Georges Adwane toujours aussi souriant, mais un peu plus dégarni, Sejaan Azzi sur lequel les années semblent ne laisser aucune trace, Charles Ghostine aux cheveux désormais entièrement blancs, Fouad Malek qui a digéré son séjour à Yarzé et bien d’autres têtes familières, chargées de souvenirs. L’ancien président Amine Gemayel ménage son effet et arrive quelques minutes avant le patriarche, lunettes de soleil sur le nez et élégant jusqu’au bout de ses chaussures, accompagné de son épouse. Son fils l’a déjà précédé et parle sans cesse au téléphone avec ses partisans déjà à Bkerké. Samir Azar pour sa part attend dehors. À son habitude, Massoud Achkar ne mâche pas ses mots et Karim Pakradouni n’est pas avare en salutations. Bref, ce sont les retrouvailles de la grande famille chrétienne, les frères Aboucharaf occupant chacun un coin du salon, alors que les ministres Jean-Louis Cardahi (qui représente le chef de l’État) et Georges Frem parviennent difficilement à se frayer un chemin vers les fauteuils. Le plus discret et le plus actif, c’est bien sûr l’émir Hareth Chéhab, soucieux d’éviter les impairs et de permettre à chacun de trouver sa place. Seule figure non chrétienne, le député Abbas Hachem dont l’électorat à Jbeil est essentiellement chrétien. À la question de savoir pourquoi les présidents Berry et Hariri n’ont pas envoyé de représentants, la réponse fuse sans équivoque : «Cela ne se fait pas habituellement. Pour les déplacements du patriarche, seul le président de la République se fait représenter et envoie sa propre limousine». Ainsi, l’écrasante majorité des personnalités qui ont fait le déplacement jusqu’à l’aéroport appartient à la même religion, ce qui ne les empêche pas de venir souvent d’horizons bien différents. Mais en cet après-midi étouffant, elles ont décidé de mettre, même provisoirement, les conflits de côté. Pour accueillir le patriarche maronite, les chrétiens veulent faire front commun et montrer que même s’ils sont en désaccord sur de nombreux points, ils reconnaissent tous son autorité morale et la justesse de ses revendications. C’est un hommage à son franc-parler et un appui à ses thèses, mais aussi une confiance dans sa façon de mener le troupeau qu’ils ont voulu exprimer en se déplaçant pour l’accueillir. Les fondements de la patrie Et l’éminent prélat à la barbe blanche a bien compris le message. Fatigué, les traits tirés, il n’en a pas moins eu un mot pour chacun et un sourire d’espoir pour tous en se dirigeant vers le salon d’honneur à travers l’étroit passage que lui ont laissé les personnalités. L’avion ayant atterri à 16h, le patriarche est déjà installé dans un fauteuil à 16h10. Il a, à ses côtés, le ministre Cardahi et le député Albert Moukheiber, celui-ci est au bord de l’évanouissement et le patriarche doit donner de la voix pour qu’on lui apporte un verre d’eau. Sfeir répond ensuite aux traditionnelles questions des journalistes, accroupis pour pouvoir s’approcher de lui. Le ton est un peu las, mais la vigueur des propos est la même. Le patriarche ne veut pas se laisser entraîner dans une polémique avec les ulémas qui l’ont critiqué, avec le président du Conseil ou encore avec les autorités syriennes. «Nous réclamons, dit-il, des choses simples : la souveraineté, l’indépendance et la libre décision font partie des fondements d’une nation. Je ne crois pas qu’il existe des divergences à ce sujet. Si certains souhaitent ignorer ces revendications, ils peuvent le faire, mais dans leur for intérieur, ils sont convaincus de leur justesse». Face à l’insistance des journalistes, il insiste : «Une revendication juste est celle de tout le peuple, même si certains ne le disent pas. Pour continuer d’exister, une patrie doit être édifiée sur les principes d’indépendance et de souveraineté». Les journalistes auront beau vouloir en savoir plus, le patriarche ne dira rien. Son discours, il le réserve aux milliers de personnes qui l’attendent à Bkerké et qui voient en lui celui qui réussira là où les politiques ont échoué. Plus tard, dans le silence soudain revenu au siège patriarcal, le cardinal se retrouvera seul face à ses pensées et l’histoire ne dit pas s’il trouvera trop lourdes les responsabilités qui pèsent sur ses épaules.
Malgré le décalage horaire et la fatigue accumulée au cours du long périple américain, le patriarche des maronites arbore un sourire heureux en saluant les 200 personnalités venues l’accueillir à l’aéroport. Pour la première fois depuis la visite historique du pape Jean-Paul II à Beyrouth en mai 1997, la grande famille chrétienne s’est retrouvée, unie autour d’un...