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Actualités - OPINIONS

Une conscience nationale en pleine mutation

Sa tournée nord-américaine aura permis au patriarche de tenir un discours indépendantiste quotidien qui, relayé par la presse locale, se sera adressé autant à ses auditeurs émigrés qu’à ses compatriotes. C’est ainsi que les États-Unis et le Canada ont pu servir de caisse de résonance aux appels du patriarche Sfeir à la fin de la tutelle syrienne. Car si ce n’est pas une occupation au sens propre, plus personne ne conteste le fait que la présence syrienne au Liban est une hégémonie en bonne et due forme. C’est désormais aussi clairement établi aux yeux de l’étranger qu’aux yeux de tous les Libanais, en particulier à ceux qui n’osaient pas tout à fait ouvrir les yeux pour le voir. L’un des effets les plus pernicieux de cette hégémonie, phénomène qui date des années 80, c’est d’empêcher les Libanais de se parler, de dialoguer sur leur présent et leur devenir. Dans certains cas, cette censure a été jusqu’à empêcher les Libanais de penser. Incapable de s’exprimer, les Libanais ont intériorisé puis rationalisé leur sujétion. Mais cette répression s’est accomplie au détriment du lien de solidarité qui devrait exister entre eux. Si cet engourdissement de la conscience nationale libanaise est petit à petit en train de s’évanouir, c’est en partie grâce au patriarche maronite. Leur indépendance de pensée retrouvée devrait amener les Libanais à dialoguer. C’est tellement inhabituel que l’on a considéré comme extraordinaire que le président de l’Assemblée nationale se rende à Bkerké. C’est mesurer la force de l’interdit qui, au fil des années, s’était établi autour de ce dialogue au point que se parler entre Libanais, c’était trahir la Syrie. Cette censure n’est pas entièrement levée, mais sa disparition est cruciale. C’est la condition indispensable à la relecture de notre passé, à une évaluation objective de nos erreurs et de nos violences, à un renforcement de notre volonté de vivre en commun et à un véritable appréciation de nos spécificités historiques : démocratie, pluralisme, liberté religieuse Mais l’appel à un sursaut national du patriarche Sfeir ne s’adresse pas uniquement aux inconditionnels de la Syrie. Cette mission nationale passe aussi par la lutte contre le fanatisme et le repli identitaire, le sentiment d’infériorité et le recours à la violence. C’est une mission délicate et complexe, qui va dans plusieurs directions, et l’insistance du patriarche à dire et redire que le Liban est aux musulmans autant qu’aux chrétiens reflète bien la nature de l’obstacle qu’il rencontre dans les mentalités de ceux qui pensent, ou continuent de penser, sans le dire, que le Liban est aux chrétiens. L’enjeu de ce réveil de la conscience nationale, ou mieux, de cette mutation de la conscience nationale, est loin de se limiter au domaine politique. C’est un enjeu de civilisation. Il y va de l’avenir du Liban et du monde arabe et de son accession à la modernité. La clef de cette mutation est en partie dans le dialogue islamo-chrétien. Au sein de ce grand monde arabe dont nous entretenons le rêve, ou la fiction, il n’existe pas une, mais deux civilisations : arabo-musulmane et arabo-chrétienne. L’émergence d’une civilisation arabe, en tant que telle, passe par le dialogue entre ces deux cultures. Si le Liban parvient à dépasser ces clivages politiques qui le bloquent, s’il parvient à s’élever à la hauteur de sa vocation historique, il se sera enfin rendu utile au monde et fait fructifier cette convivialité qui est son véritable trésor.
Sa tournée nord-américaine aura permis au patriarche de tenir un discours indépendantiste quotidien qui, relayé par la presse locale, se sera adressé autant à ses auditeurs émigrés qu’à ses compatriotes. C’est ainsi que les États-Unis et le Canada ont pu servir de caisse de résonance aux appels du patriarche Sfeir à la fin de la tutelle syrienne. Car si ce n’est pas...