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Actualités - OPINIONS

À ma mère

À l’occasion de la fête des mères, nous avons reçu de Roula Maalouf le témoignage suivant en hommage à sa mère, Carmen Khouri Maalouf, fondatrice de l’école La Pléiade. Carmen Khouri Maalouf a été assassinée le 3 mars 1985, en pleine guerre du Liban à l’âge de 46 ans : Ta vie était ton jeu, et tu étais la vie... Pour toi tout était possible, même et surtout l’impossible ! Inventive et unique, créatrice de ta propre vie tu as tracé ton destin de tes mains animées et parfaites, à l’infinie douceur. Maman aux facettes multiples, héros des temps modernes, faisant partie de celles si rares qui arrivent seules à mener de front carrière, maison, famille... n’hésitant pas à affronter seule tous les dangers. Au courage sans bornes, au dynamisme ardent, ton esprit brillant et passionné débordait de rêves et de projets. Petite fille, dans ta famille modeste, tu as grandi avec de grands rêves... et tes rêves étaient tes jeux, pleins d’ironie et d’humour... Passionnée de savoir, élève brillante, tu décroches ton doctorat en lettres et te lances dans l’éducation. Tu n’avais pas d’argent, avec trois petits enfants et à peine 28 ans, mais tu voulais vivre les rêves, bâtir ton monde et créer une école à toi... Et c’est bien toute seule, armée de ton esprit d’aventure et ton sens du risque que tu décroches les fonds nécessaires pour bâtir ton école à Rabia... une école au nom d’une constellation La Pléiade, aux jardins fleuris, perdue entre les arbres... Avant-gardiste, tu ne suivais pas les modes mais les précédais. Libre penseuse tu voulais apprendre aux enfants à bouleverser les idées reçues, à se constituer une véritable identité. Tu voulais insuffler en la jeunesse un vent d’indépendance, cette indépendance qui est à la base de l’autonomie et de la responsabilité individuelle... En 1974 tu reçois les insignes de Chevalier de l’Ordre national du Cèdre du ministre d’État, le Dr Albert Moukheiber, en récompense pour tes services rendus au pays dans le domaine de l’éducation. Mais la guerre civile qui éclate l’année suivante te révolte... Passionnée d’idées, suivant la voix de ton cœur et défendant avec force et fougue tes convictions, tu exprimes tes sentiments dans un livre au style symbolique : Les Ronces de la Terre (ashwak el-ard), dans lequel tu dénonces le confessionnalisme, allant ainsi à l’encontre des courants politiques de l’époque. Tu y dénonce aussi les représentants politiques véreux, les collaborateurs, les vendeurs d’armes, les pirates des nations... tous ceux-là étant ces «ronces» qu’il faudrait arracher. Sans peur mais plutôt stimulée par l’adversité, tu dénonces ouvertement les crimes et atrocités commises dans la guerre. Tu prêches la tolérance avec ta phrase «L’humanité est notre religion !»... Puis, tu ouvres les portes exclusives de ton école aux personnes déplacées et sinistrées par la guerre pour les aider à poursuivre leurs études. En 1977, tu reçois en reconnaissance pour tes actions humanitaires une médaille de l’archevêché catholique. Animée d’un courage et d’une énergie sans bornes, toujours prête à te lancer dans de nouvelles entreprises, tu écris et publie plusieurs livres, surtout des livres éducatifs pour enfants. Tu participes à plusieurs expositions à travers le monde. Tu ouvres aussi une galerie de meubles et d’art. Tu collectionnes les antiquités et produis des meubles modernes dans ton usine. Tu crées une ligne de vêtements et ouvres un magasin de mode féminine... En 1981, tu ouvres une seconde école à Doha el-Hoss, une nouvelle La Pléiade qui attire un très grand nombre d’élèves. Mais l’invasion israélienne cette année même boulverse toute la situation économique et politique de la région. L’école est dévastée et occupée par les Israéliens. Mais après leur retrait, tu ne te laisses pas abattre, tu veux tout rebâtir et empêcher par tous les moyens cette glissade que subit le pays vers l’ignorance. Tu veux te battre contre ce «complot de l’ignorance». Encore une fois, malgré toutes les difficultés financières, tu mets tant d’ardeur et de générosité à aider les autres. Ta maison aussi bien que ton école sont toujours grandes ouvertes. Tu acceptes beaucoup d’élèves à des prix très réduits, souvent même gratuitement... Mais autour de La Pléiade il n’y avait que des vautours... Tu te retrouves une étoile seule confrontée à un monde hideux infesté de jalousie et d’envie, d’ignorance et de médiocrité, de lâcheté et de crimes. Tu étais une femme seule avec tes deux enfants, mais tu ne cédais pas au chantage ni à la lâcheté. Ils t’ont assassinée lâchement et ils ont occupé ton école et ils paradent toujours aujourd’hui, arrogants derrière une façade de respectabilité dans cette société de lâcheté et hypocrisie. Maman, ton nom Carmen si approprié, synonyme de passions... Tu étais une petite fille qui joue, une petite fille aux grands rêves qui voit la vie comme un jeu, ton jeu... Maman toi qui même en grandissant étais restée une enfant... Tu aimais rire et plaisanter, tu aimais les fleurs et la joie... Mais tu est toujours là, cette petite étoile qui brille tous les soirs dans le ciel... Cette étoile qui lancera pour l’éternité ses étincelles de vie et de joie.
À l’occasion de la fête des mères, nous avons reçu de Roula Maalouf le témoignage suivant en hommage à sa mère, Carmen Khouri Maalouf, fondatrice de l’école La Pléiade. Carmen Khouri Maalouf a été assassinée le 3 mars 1985, en pleine guerre du Liban à l’âge de 46 ans : Ta vie était ton jeu, et tu étais la vie... Pour toi tout était possible, même et surtout...