Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINIONS

Le dialogue des cultures, une urgence - par Boutros Boutros-Ghali (*)

C’est aux côtés des lusophones et des hispanophones que la francophonie a voulu, cette année, célébrer sa Journée internationale. Durant deux jours, les 20 et 21 mars, les représentants de 79 pays vont se réunir, à Paris, en présence du président de la République française, Jacques Chirac, du président de la République du Mozambique, Joachim Alberti Chissano, du président de la République de l’Équateur, Gustavo Novoa Bejarano, et des secrétaires généraux de cinq organisations internationales : l’Organisation des États ibéro-américains, la Communauté des pays de langue portugaise, le Secrétariat de la coopération ibéro-américaine, l’Union latine et l’Organisation internationale de la francophonie. Ce dialogue institutionnel, sans précédent, entre trois grands espaces linguistiques de la latinité est destiné à intensifier les échanges culturels, mais aussi à développer des partenariats stratégiques au niveau international afin, notamment, de promouvoir la diversité linguistique et culturelle. La francophonie entend, ainsi, poser un geste supplémentaire en faveur du dialogue des cultures, dialogue qu’elle avait entamé, en mai 2000, avec les organisations du monde arabe, et qui sera le thème central du 9e sommet de la francophonie, à Beyrouth, en octobre 2001. Il s’agit là, bien évidemment, d’un débat qui dépasse largement le cadre institutionnel de la francophonie, mais dont la francophonie ne saurait être absente. Car le dialogue des cultures est devenu, à l’heure de la mondialisation, un enjeu politique et économique pour tous. L’interdépendance entre les hommes, les sociétés, les espaces est, en effet, désormais la norme. Les mutations scientifiques et techniques, la globalisation économique et financière, la circulation instantanée de l’information ont précipité l’humanité vers une communauté de destin. Est-ce à dire, pour autant, vers un destin commun ? Loin s’en faut ! Si l’on en juge par l’aggravation des inégalités et de la pauvreté dans le monde. Si l’on en juge par la ségrégation numérique que l’on voit s’instaurer entre le Nord et le Sud. Tandis que se profile, dans le même temps, le risque d’hégémonie de quelques puissances sur l’élaboration des normes ou des décisions qui engagent l’avenir de la planète. Le risque d’assujettissement des économies locales à des stratégies industrielles conçues ailleurs et qui ont peu de relations avec les besoins réels des pays. Le risque, enfin, de monopole de quelques acteurs – privés ou publics – sur la fabrication d’un imaginaire uniforme et de modes standardisés d’être, de se comporter, de consommer, de penser. En d’autres termes, alors que les échanges internationaux s’amplifient, les citoyens ont de plus en plus le sentiment de se voir confisquer la gestion du monde, de se voir imposer une «monoculture». Face à cette perte de décision, cette perte de repères, cette perte d’identité, grande est la tentation de se replier sur soi-même, de se cristalliser sur les valeurs sécurisantes et figées du passé, dans un climat qui confine parfois au fanatisme, à la haine et au rejet de l’Autre. Et si l’on veut éviter que la guerre froide d’hier ne se mue en un affrontement culturel, attisé par d’amples mouvements de migrations internationales, il faut, au sens large du terme, démocratiser la mondialisation avant que la mondialisation ne dénature la démocratie. C’est-à-dire instaurer au plus vite et entretenir, entre ces espaces potentiels d’affrontement, un dialogue et une coopération, car les grandes aires culturelles et linguistiques constituent, aussi, des espaces privilégiés de solidarité qui, lorsqu’ils se rencontrent et s’entremêlent, sont les meilleurs garants de la démocratie, de la paix et du développement. Le dialogue des cultures n’a donc rien d’éthéré. Il s’agit d’un véritable projet de civilisation où les cultures se complètent et ne s’excluent pas, où elles se renforcent et ne se diluent pas, où elles se rassemblent sans pour autant se ressembler. Avec, pour ultime objectif, un monde véritablement multipolaire, respectueux des plus vulnérables et de leur droit à la solidarité, respectueux d’une gestion véritablement démocratique des relations internationales. Mais cela suppose que l’on reconnaisse que la diversité culturelle mondiale est une condition préalable pour instaurer un dialogue réel entre les peuples. En d’autres termes, que l’on reconnaisse que le droit de tout individu de participer à la vie culturelle de sa communauté et le droit de toute collectivité culturelle de préserver son identité sont des droits fondamentaux inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme garants de la démocratie. Que l’on reconnaisse que la culture n’est pas une exception, mais qu’elle est au fondement de la civilisation, qu’elle ne se limite pas aux arts et à la littérature, mais qu’elle englobe tous les aspects de la vie dans sa dimension spirituelle, institutionnelle, matérielle, intellectuelle et émotionnelle, ainsi que la diversité du tissu social. Que l’on reconnaisse que culture et développement sont indissociables, sans pour autant se limiter à une approche strictement commerciale et économique de la culture. C’est dire que le temps est venu de voir l’ordre politique prendre l’ascendant sur l’ordre commercial et économique dans la gestion du rapport, par nature ambigu, que la culture entretient avec l’économie, le commerce, l’investissement, la concurrence, leurs modes et leurs règles de fonctionnement. La francophonie a très tôt compris le rôle important qu’elle pouvait jouer, tant au sein de son espace institutionnel que dans les enceintes internationales, parce qu’elle reconnaît d’emblée la pluralité et la complexité des identités culturelles des pays qui la composent. Parce qu’elle a, aussi, pour vocation première de lutter contre la marginalisation des plus vulnérables et de faire en sorte que ce dialogue des cultures ne soit pas un dialogue de nantis. C’est toute cette réflexion que la francophonie veut, en ce 20 mars, mener avec les pays lusophones et hispanophones afin que ce débat soit progressivement élargi à l’ensemble des membres de la communauté internationale. * Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie.
C’est aux côtés des lusophones et des hispanophones que la francophonie a voulu, cette année, célébrer sa Journée internationale. Durant deux jours, les 20 et 21 mars, les représentants de 79 pays vont se réunir, à Paris, en présence du président de la République française, Jacques Chirac, du président de la République du Mozambique, Joachim Alberti Chissano, du...