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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Le leader du PSP confirme à « L’Orient-Le Jour » qu’il maintient ses positions par rapport à la Syrie - Joumblatt : On essaie de résister, d’empêcher un État policier…

Walid Joumblatt a certainement dû lire, et relire encore, ce bon Boileau : «Hâtez-vous lentement et sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse et le repolissez». Au lendemain de la manifestation estudiantine à l’initiative du courant aouniste – manifestation qui a mobilisé une grande partie des corps militaires et des forces de sécurité dans Beyrouth et sa banlieue – le leader du PSP a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour. Simplement, et fermement. Sur l’incontournable thème de la présence syrienne au Liban, la tutelle de Damas, la concomitance des deux volets et ses conséquences quelque peu désastreuses sur le Liban, la position de Walid Joumblatt n’a toujours pas bougé d’un iota, quatre mois après sa désormais fameuse intervention place de l’Étoile, lors du débat de confiance. «La concomitance des deux volets… C’est de nouveau, l’explication officielle : libération de Chebaa et du Golan, mais également sort commun. Reste à MM. Lahoud et Hariri d’expliquer ce que ça veut dire, ça». Et votre explication ? «Qu’est-ce qu’ils entendent par sort commun ? Une union ? Dans ce cas, l’union ne se fait pas de cette façon. Elle se fait grâce à un plébiscite des deux côtés. Nous avons un système démocratique, eux c’est le parti unique. Il n’y a aucune concomitance à ce niveau-là. Il faut que l’un s’aligne sur l’autre. Nous sommes pour l’union arabe, oui, mais sur le modèle de l’Union européenne : respect des libertés et de la démocratie». On l’a au Liban ? «Écoutez, on résiste comme on peut, même s’il y a des bavures monumentales». Vous avez évoqué, pour l’hebdomadaire Ad-Dabbour (Ndlr : qui paraît aujourd’hui), les intellectuels syriens, disant en gros que vous ne les avez jamais entendus parler du «Liban qui leur aurait été subtilisé en 1920 et qu’ils voudraient récupérer». Qu’en est-il ? «Je voudrais bien connaître leur opinion. On devrait engager un dialogue avec eux, sur la finalité des relations libano-syriennes». Mais le «printemps» de Damas, on l’a bien vu, n’aura duré que l’espace d’un… printemps. «S’il recommençait, il serait intéressant de les écouter. Comment voulez-vous établir des relations normales avec la Syrie, sinon en réunissant les intellectuels, les étudiants, les ouvriers, etc.». Est-ce que votre proposition veut dire que le dialogue interétatique entre les deux pays est condamné ? «Mais leur réponse a été claire, sèche et nette. Je fais allusion à l’interview du président syrien dans le Charq el-Awsat, mais également à la réponse de MM. Lahoud, Berry et Hariri. L’armée syrienne restera jusqu’après la paix, ont-ils dit. Soit. C’est quand la paix ? Si cette présence est nécessaire, qu’on me dise pourquoi ? C’est la question que je repose». Donc depuis votre discours au Parlement, vous n’avez pas changé de position ? «En rien du tout. Il faut que je fasse un geste en direction du président de la République. Lequel ?» Ça serait, pour Damas, votre Canossa ? «En principe, ce serait l’ouverture d’un dialogue. Le Dr Bachar a bien parlé de hiérarchie…». Baabda avant Damas ? Donc, pour accéder au palais des Mouhajerine, il faut passer par Baabda ? «C’est ce que j’ai cru comprendre». Et vous allez le faire ? «Oui, et j’y ai fait allusion, lors de mon discours à Barouk, en disant que Jamil et Émile Lahoud n’étaient pas des isolationnistes. Qu’est-ce que vous voulez que je dise d’autre ? Le général Lahoud dit à certaines gens qu’il côtoie, comme à Élie Ferzli ou d’autres, que je ne vais jamais oublier le fait qu’il aurait fait enlever la statue de mon père à Beiteddine. C’est le dernier de mes soucis. Et pour commencer, je ne crois pas aux statues. J’ai assez de place à Moukhtara pour la remettre». Comment vous expliquez le fait de conditionner le retrait syrien par une hypothétique et improbable paix ? «Ce n’est pas leur priorité, aux Syriens, pour le moment, les relations libano-syriennes». Comment vous expliquer alors l’hiatus énorme entre la priorité de tous les Libanais, et celles de leurs dirigeants – donc des Syriens ? C’est viable à long terme ? «C’est la priorité de “certains” Libanais. Parce que nous avons un handicap terrible : il n’y a pas de leader musulman pour poser la question de la présence syrienne». On ne peut pas ignorer la rue ? «Oui et non. Il faut un leadership, c’est important». C’est inenvisageable pour l’instant ? «Je ne vois personne. Pour le moment, on m’accuse de faire un pacte avec les chrétiens. Mais ça ne marche pas ça, il faut un pacte national». La rue ne peut pas bouger toute seule ? «Qui la fait bouger, la rue ? Certains appels à l’émotion, qui font bouger certains cercles d’étudiants très idéalistes – et je les comprends. Les partis politiques n’existent pas, ils sont sous tutelle. Les syndicats ? Les ordres – ingénieurs, avocats, etc., ils n’ont rien dit. C’est incroyable… Il faudrait, lentement mais sûrement, qu’il y ait un dialogue libano-syrien raisonnable qui mette en jeu l’importance de cette entité libanaise». Il y a, dans ce cadre-là, à votre avis, dialogue entre le Liban et la Syrie ? «Non. Personne aujourd’hui ne pose ces questions-là. On s’est réellement bloqué dans cette concomitance des deux volets. Et même Fouad Boutros savait dès le départ qu’il n’avait pas grand espoir… Je ne crois pas qu’il y aura une troisième fois». Rafic Hariri en VRP de luxe auprès des anciens Premiers ministres et des blocs parlementaires, ça va donner des résultats ? «Les conditions données à Paris sont l’épuration administrative. Pourra-t-il le faire ? Ils ont fait sauter Télé-Liban, c’est bien. Mais l’État paie toujours les contractuels qu’on a simplement changé de place. Cela a quand même entraîné une décision, timide et importante, de la part de l’armée, qui a accepté de réduire une part de son budget. C’est bien. Restent la Sécurité sociale, l’armée des enseignants, etc. Ghazi Aridi ? Son avenir politique est en jeu. “Si on m’empêche, je dénonce”, m’a-t-il dit». Et les discours de certains ministres, Mohammed Abdel-Hamid Beydoun par exemple, qui a dit qu’«aucun fonctionnaire ne sera plus mis à la porte» ? «Ce n’est pas logique. Et d’après ce que j’ai compris, le président Lahoud appuie cette réforme». Quid de la situation économique ? «Il y a certes la livre, la dette, mais on oublie toujours l’aspect social. La fracture sociale va être de plus en plus grande. Le pays ne va pas s’effondrer, mais la paupérisation va aller crescendo, et certains, dirigeants, bourgeois, continueront à s’enrichir. Et politiquement, le régime policier s’installera encore plus. C’est le cas classique». Et ce retour du ménage à trois entre les trois présidents ? «Ça, c’est Taëf... Pour en finir avec la troïka, il faut repenser cette fameuse Constitution qui a, en fait, mené au triumvirat. Et la proposition de la loi électorale est née de ce triumvirat. Même si l’idée semble aujourd’hui abandonnée : le président Lahoud serait contre». Qu’est-ce qui serait utile aujourd’hui pour le Liban ? «Arrêter cette saignée du secteur public. Il faut bien accorder confiance à M. Hariri, il n’y a pas de remplaçant, du moins dans ce secteur-là». Vous pensez qu’on le torpille, du côté de Baabda ou de Aïn el-Tiné ? «Jusqu’à maintenant, il ne l’est pas par M. Lahoud. M. Berry essaie, lui, de recaser sa clientèle…». Mais ça, c’est une grande frange de la population… «Ah oui. Ça ne serait pas viable s’il commençait réellement à le faire. Pour l’instant, il louvoie…». Un commentaire par rapport à l’énorme déploiement de l’armée, avant-hier mercredi ? «L’État a peur de l’opinion publique. Il ne veut pas entendre d’autre opinion que la sienne. On verra si un jour le PSP se joindra aux manifestations. Cela dépendra des slogans des aounistes. Je comprends la position du patriarche, raisonnable et nuancée. Et ses discours aux États-Unis ont également été nuancés. Il est réaliste. Il s’est rendu compte là-bas, où personne ne l’a reçu, qu’il y a une conjoncture qui dépasse à peu près tout le monde». Vous allez le revoir, à son retour, au patriarche ? «Oui». Si même le patriarche, ou vous, commencez à vous résigner, où va-t-on ? «On essaie de faire de notre mieux d’empêcher un État-policier. Il faut rappeler aux grandes puissances qu’il y a un Liban qui existe et qui mérite d’être considéré. Cela fait enrager un peu tout le monde de dire que l’entité libanaise est un atout, pas un handicap».
Walid Joumblatt a certainement dû lire, et relire encore, ce bon Boileau : «Hâtez-vous lentement et sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse et le repolissez». Au lendemain de la manifestation estudiantine à l’initiative du courant aouniste – manifestation qui a mobilisé une grande partie des corps militaires et des forces...