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Actualités - CHRONOLOGIES

Manifestation - Les livres et les classeurs fouillés aux barrages de l’armée - Le périmètre de l’USJ ressemble à un champ de bataille

Décidément, ils sont bien redoutables, les universitaires, pour que leur seul appel à des sit-in pacifiques contre la présence syrienne autour d’établissements pédagogiques entraîne un branle-bas de combat militaire qu’un événement, aussi important que le retrait israélien du Liban-Sud et les remous qui l’ont suivi, n’avait pourtant pas réussi à provoquer. Ils doivent être bien terribles pour parvenir à pousser les forces étatiques à assiéger pratiquement la capitale et à bloquer les artères principales de Beyrouth et de sa banlieue afin de les empêcher d’accéder à leurs campus. Ils doivent sans doute constituer une effroyable menace, car comment expliquer autrement l’extraordinaire déploiement des forces spéciales des FSI, de la brigade antiémeute, de l’armée, des commandos militaires et des agents des services de renseignements – notons au passage que seules les forces navales n’ont pas été déployées - aux entrées d’Achrafieh et autour des établissements universitaires de la partie Est de la capitale et de sa banlieue ? Le périmètre de l’Université Saint-Joseph, rue Huvelin, ressemblait davantage à un champ de bataille qu’à un quartier universitaire. Quatre chars bloquent l’étroite entrée de la rue du Liban, au niveau de la place de Tabaris où sept tanks, en tout, stationnent. Il y en avait même deux qui étaient dotées de mitrailleuses lourdes de 12,7mm (allez savoir pour tirer contre quel ennemi !). Un peu plus loin, un barrage de l’armée filtre les voitures, une par une, provoquant un embouteillage monstre au niveau du Ring. Même les agents de la circulation sont débordés. Apparemment excédés par la démonstration de force militaire, ils paraissent, pour une fois, presque sympathiques, voire attendrissants. Les véhicules militaires jalonnent les rues perpendiculaires au campus de l’USJ et dans le parking voisin de l’université, les agents de la brigade antiémeute attendent, patiemment, les premiers signes d’une agitation: tout cela parce qu’une poignée d’étudiants voulait se rassembler au campus et se diriger ensuite vers une faculté ou une école près de laquelle stationne une unité de l’armée syrienne afin d’organiser un sit-in et protester pacifiquement contre la présence de cette armée dans des secteurs qui ne représentent aucun intérêt stratégique pour la Syrie. Tout cela parce qu’un groupe d’étudiants voulait exercer un droit – celui de s’exprimer et de manifester – que lui accorde la Constitution et parce que leurs orientations politiques sont à l’antipode de celles de l’État. Le calme ambiant à l’USJ, en début de matinée, détonne avec l’effervescence qui règne à l’extérieur : les représentants de l’amicale des étudiants et des courants politiques qui organisent le mouvement de protestation antisyrien s’activent pour organiser la journée et tentent d’ignorer les tracasseries dont leurs camarades sont victimes sur le chemin de l’université. Mais au fur et à mesure que les heures passent, la tension monte. L’étau se resserre sur l’université : l’armée érige deux barrages à 100 mètres des deux entrées principales et procède à une fouille, ridiculement minutieuse, des étudiants et des véhicules qui empruntent les deux ruelles parallèles conduisant à l’université. Incroyable mais vrai : l’armée se déploie en force, face à un groupe d’étudiants armés de pancartes et de banderoles. Les soldats vérifient les pièces d’identification, fouillent les livres (!) et les classeurs à la recherche de Dieu sait quel objet suspect, exigent les documents délivrés par leur commandement aux jeunes qui sont provisoirement exemptés du service du drapeau parce qu’ils poursuivent leurs études et parviennent ainsi à en interpeller trois. Ils seront embarqués dans des Rio et seront relâchés un peu plus tard. Leurs camarades se mobilisent quand même et entreprennent d’avertir ceux qui étaient sur le chemin de l’université. Des signes d’inquiétude commencent à se manifester dans leurs rangs lorsqu’ils réalisent que les forces de sécurité postées à l’entrée de l’établissement empêchent plusieurs groupes d’étudiants de l’AUB, de la LAU et de la deuxième section de l’Université libanaise de les rejoindre. Les plus téméraires sautent par-dessus le mur d’enceinte de l’université pour participer au rassemblement. Les autres prennent simplement le chemin la faculté des sciences de Fanar. Il est évident que les agents de l’ordre veulent à tout prix affaiblir le rassemblement qui finit pas se transformer en sit-in antisyrien. Même les photographes de presse sont empêchés d’approcher de la porte d’entrée de l’université. Ils peuvent se tenir sur le trottoir d’en face. C’est tout. Des slogans antisyriens Il est près de 13h. Une énorme banderole et des pancartes aux inscriptions antisyriennes surgissent de nulle part, comme par enchantement. Ils avaient été dissimulés tôt le matin dans la cantine. «Nous n’acceptons pas de vivre sous la botte syrienne». «Nous sommes un peuple libre dans un pays libre». «La route du Golan ne passe pas par le Liban». «Non aux pantins de la Syrie au Liban». «Retirez vos soldats de nos universités». Le ton est farouchement hostile. Les slogans qui seront scandés le sont davantage. Tels un leitmotiv, les étudiants, près de 500, les répètent inlassablement après avoir entonné l’hymne national : «Syrie, dehors». «Nous voulons dire la vérité : nous haïssons la Syrie». «Lion, lion au Liban, lapin, lapin au Golan». «Ils veulent nous pousser à émigrer pour que la Syrie reste au Liban». «Au Liban, nous ne voulons que des galettes libanaises», en allusion aux vendeurs syriens de galettes. Ils scandent chaque mot d’une tape de la main, pendant que les responsables des groupes politiques estudiantins se concertent au sujet de la démarche qui suivra : ils ne sont pas sûrs s’ils doivent se rendre à la faculté d’art dentaire de l’UL à Sin el-Fil près de laquelle se trouve une caserne syrienne ou se contenter du sit-in à l’USJ. C’est près du portail qu’ils discutent et tout naturellement un agent des services de renseignements, en civil, s’approche. «Ne vous en faites pas, vous allez tout de suite savoir ce que nous allons faire», lui lance Hicham, le représentant du CPL. «Je sais, nous allons même vous escorter», rétorque l’homme au blouson de cuir noir. «Au fait, Fady Jreissati n’est pas avec vous ?», enchaîne-t-il. Au lieu de répondre, un autre étudiant lui propose ironiquement du thé. Les jeunes ironisent sur la présence d’une dizaine d’agents en civil qui les observent à travers le portail. L’un d’eux, bedonnant, en jeans et chemise à carreaux n’arrête pas de les prendre en photo. Finalement, les étudiants décident de se rendre à Fanar, gonfler les rangs de leurs camarades de l’UL, surtout que les groupes qui sont sortis de l’AUB, de la LAU, de l’Esib et d’autres facultés de l’UL ont pu se frayer un chemin vers ce secteur. Mais les forces de sécurité les empêchent de sortir tous ensemble. Ils sont obligés de quitter l’université par groupes de trois avec un intervalle de cinq à dix minutes entre chaque départ. Qu’à cela ne tienne : certains vont à la recherche d’autres issues, d’autres enjambent le mur d’enceinte. Et le rassemblement de l’USJ qui était supposé être le plus important finit presque en queue de poisson. Pour ses organisateurs, il a été quand même un succès. «Il est vrai que nous ne sommes pas sortis dans la rue, mais nous avons fait entendre notre voix. Résultat : Beyrouth est assiégé. Sommes-nous donc au Vietnam ?», lance Chéhadé. «Notre mouvement a réussi parce que nous avons pu mobiliser l’opinion publique. Voyez tous ces médias étrangers qui nous filment et qui parlent de nous», renchérit Hicham qui promet d’autres actions de protestation. Les étudiants de l’USJ se rendent vers Fanar par petits groupes et la journée prend fin sans qu’on n’ait vraiment compris en quoi ces jeunes auraient bien pu porter atteinte à la sécurité de l’État.
Décidément, ils sont bien redoutables, les universitaires, pour que leur seul appel à des sit-in pacifiques contre la présence syrienne autour d’établissements pédagogiques entraîne un branle-bas de combat militaire qu’un événement, aussi important que le retrait israélien du Liban-Sud et les remous qui l’ont suivi, n’avait pourtant pas réussi à provoquer. Ils...