Eve réhabilitée

Eve. C’est elle qui a cueilli le fruit défendu, et elle a été chassée du paradis. Il en existe de ces vérités incontestables. Mais a-t-on un jour mis en doute la version de l’histoire, de la petite histoire ? Non. Et bien voici, des milliers d’années plus tard, une autre version des faits. Ève aimait Adam. Sans aucun doute, il n’y avait que lui dans ce paradis terrestre. Elle était prête à tout pour le rendre heureux. Eve savait que son homme avait terriblement envie de croquer la pomme toute rouge et toute brillante. Mais Adam, comme tous ses descendants d’ailleurs, était un fieffé trouillard. Il était incapable de relever des défis. Il n’osait pas cueillir le fruit défendu. Il s’est mis à perdre du poids, à grogner, à dormir mal, et même parfois à errer tout seul la nuit. La pomme est devenue l’obsession d’Adam. Ève était lasse, triste, malheureuse. Elle voulait en finir à tout prix, de la pomme, d’Adam, de son quotidien à elle rongé par une histoire bête de fruit défendu… Et, un beau matin, elle se décida : «Adam veut la pomme et c’est la pomme qu’il aura», se dit-elle. Peut-être ainsi elle aurait la paix. Suivie de son bonhomme, Ève s’approcha de l’arbre, cueillit le fruit et le présenta joyeuse – heureuse – à Adam. Mais le Bon Dieu arriva et coupa court à cet instant de bien-être. Il demanda au couple de quitter tout de suite les lieux. Ève supplia, expliqua, raconta une moitié de vérité pour protéger Adam. «C’est moi qui aie cueilli la pomme. Non, Adam ne m’a pas incitée à m’approcher de l’arbre, gardez-le au paradis je partirai seule», implora-t-elle. Dieu, incapable de résister aux larmes d’une femme, accepta. Une fois n’est pas coutume, Adam se mit à réfléchir en regardant Ève faire sa valise. Elle n’avait pas grand-chose en ces temps-là sinon une douzaine de feuilles de vigne, et trois feuilles d’érable pour le dimanche. «Non, il ne restera pas seul au paradis, il s’ennuiera ferme sans elle, et… de plus, parfois, il a peur la nuit», pensa-t-il. C’est donc à deux qu’ils quittèrent le paradis, condamnés à errer eux et leurs descendants. Sur leur chemin d’éternels SDF, ils ont connu avant tout l’inceste et l’adultère. Des péchés mortels, fils de la luxure ou de la gourmandise ? Mais ceci est une autre histoire.