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Actualités - REPORTAGES

SOCIÉTÉ - Vaincre les mentalités et les escaliers - Projet de réinsertion à l’école des jeunes handicapés

Hadaya a quatorze ans et l’intelligence vive. Blessée par un obus israélien dans son village natal de Machghara (Békaa-Ouest) qui l’a laissée handicapée, elle a dû s’absenter de l’école deux ans durant. Et ce n’est pas par incapacité de suivre des cours : Hadaya se rétablit peu à peu et marche déjà à l’aide de béquilles. Mais entre la salle de classe et elle, un obstacle sournois, insurmontable, futile : les marches d’escalier. Quelques marches qui la séparent de l’éducation et du seul espoir d’une vie meilleure. La branche de la Békaa-Ouest de l’Union des handicapés du Liban, une ONG de revendication des droits, a élaboré et appliqué une solution toute simple : bâtir une pente de béton sur une partie de l’escalier de l’école officielle du village, et permettre ainsi à Hadaya et à d’autres dans le même cas de poursuivre leurs études. Mais pour atteindre cet objectif, une vraie lutte a dû être menée sur plusieurs fronts… Timidement, Hadaya déclare qu’elle est «heureuse de rentrer enfin à l’école». Interrogée sur d’éventuelles difficultés occasionnées par ce retour, elle répond : «Mes parents avaient peur pour moi, et il a été dur de les convaincre». L’entourage, l’ignorance qui enveloppe le plus souvent le handicap, les lenteurs administratives… autant d’obstacles qui barrent la route à l’instruction de beaucoup de jeunes handicapés au Liban. Et pourtant, les défenseurs de la cause des handicapés ont connu un succès majeur ces derniers temps : une loi très moderne qui accorde à cette tranche de la population tous les droits que les autres prennent pour argent comptant, comme l’éducation, l’emploi, etc. Or, pour accéder à cela, il faut accéder aux bâtiments qui dispensent l’éducation ou renferment les sociétés qui assurent l’emploi. Selon la loi, donc, tous les établissements scolaires, y compris les écoles officielles, devraient réhabiliter leurs locaux. Cette nouvelle règle devrait s’appliquer un jour à tous les bâtiments publics. Mais la mise en pratique de cette très noble clause s’avère plus complexe qu’elle n’en a l’air, et l’Union des handicapés du Liban en a fait l’expérience. À Machghara, les membres de l’association ont essuyé plusieurs refus de la part des responsables d’établissements scolaires avant de trouver un directeur compréhensif, Adnane Issa, qui leur a permis d’effectuer les travaux. Mais il leur a fallu au préalable compléter toutes les mesures légales, une administration d’école publique ne pouvant prendre la décision de modifier l’architecture de son bâtiment sans autorisation préalable du ministère de l’Éducation. Autorisation en poche, l’Union des handicapés a enfin pu réaliser son projet. Elle en a assuré le financement, près de 450 dollars pour une pente en béton et une rampe, alors que l’établissement a offert des toilettes aménagées. L’Union des handicapés du Liban assure le financement de ses projets grâce à des dons : cette fois, elle a pu compter sur la générosité d’habitants de Machghara et sur le soutien de commerçants de matières premières qui lui ont fourni gratuitement une partie du matériel. L’Union de la jeunesse démocratique, une association locale, a assuré la main-d’œuvre. Briser les tabous Après cela, l’organisation a eu à faire face à un autre obstacle majeur : les parents, l’entourage, les mentalités. Dans une région reculée où un enfant handicapé est considéré comme «un châtiment de Dieu», selon l’expression locale, il n’est pas facile de briser les tabous et de convaincre les familles, mais aussi le handicapé lui-même de ses capacités. Ahmad Beiz, directeur du centre de l’Union à Machghara, Ghada Hajjar, secrétaire générale, et Majed Mouhaydlé, volontaire, racontent l’histoire tragique d’une handicapée au village dont l’existence n’a été révélée qu’à 25 ans, après la mort de ses parents qui la gardaient jalousement loin des regards ! M. Beiz nous apprend que rien qu’à Machghara, il existe 120 cas de handicapés de moins de 40 ans, dont 76 seulement ont rempli les formulaires de l’association. «Dix enfants handicapés sont en âge d’aller à l’école. Or, ils ne savent même pas ce qu’est une salle de classe, dit-il, amer. Ces chiffres effraient tout le monde, même les habitants de la région qui n’avaient aucune idée de la situation. Notre stratégie vise à intégrer ces personnes dans la société, prouver à tous ce dont elles sont capables, leur donner les armes nécessaires pour survivre sans l’aide d’autrui». M. Mouhaydlé nous explique qu’il n’est pas évident de prendre contact avec ces personnes souvent gardées loin des regards indiscrets. Il est encore moins évident de les tirer de l’univers clos où on les confine. «Il faut souvent plusieurs visites au domicile de l’intéressé pour obtenir l’approbation des parents lui permettant de participer à nos activités, raconte-t-il. Parfois, il y a une résistance du handicapé lui-même qui hésite à s’ouvrir au monde». Hussein Hajj, coordinateur des activités au centre, ramène les causes des handicaps à Machghara, par ordre de priorité, aux mariages consanguins, aux accidents de travail et aux blessures de guerre. «Quand on sait cela, il devient évident que les campagnes de sensibilisation sont indispensables, dit-il. Notre objectif, dans le cadre de l’association, est d’effectuer des études sur le terrain, et de procéder à la sensibilisation de la population sur certains points. Notre action est basée sur le partenariat avec d’autres organismes comme la Croix-Rouge ou l’Union de la jeunesse démocratique, entre autres». Un centre de physiothérapie L’Union des handicapés du Liban rêve de grands projets pour l’avenir. Pour le moment, ses nombreux volontaires auront permis la réinsertion d’une élève à l’école. «Hadaya était l’une de nos très bonnes élèves, et nous étions tristes de la perdre», nous confie M. Issa. «La réalisation de ce projet lui permet de réintégrer l’école, mais donnera aussi la chance à d’autres de suivre son exemple». Comprend-il la résistance de certaines administrations d’écoles à ces modifications architecturales utiles pour les handicapés ? «Ce sont réellement des choses simples, dit-il. Après tout, la société est responsable de ses fils, et l’État est responsable de la société». Pourquoi, d’après lui, le financement de cette opération n’a-t-il pas été assuré par le ministère de l’Éducation, sachant que le devoir d’adapter les établissements scolaires aux besoins des enfants handicapés est dorénavant un impératif reconnu par la loi ? «Tous les établissements n’ont pas encore été notifiés, répond M. Issa. Et d’ailleurs, c’est actuellement la caisse de l’école qui s’acquitte de tous les frais, y compris des dépenses supplémentaires, et non plus le ministère. Cette année, vu que nous n’avons pas perçu de scolarités, notre situation est plus difficile, et nous recevons un soutien du ministère, mais par étapes». Et la lutte continue, pour faire sortir les handicapés de l’ombre où l’incompréhension a relégué la plupart d’entre eux. Après l’effort officiel et civil louable pour faire adopter un texte très moderne, et après les décrets d’application qui devraient suivre, c’est un long travail de fourmi qui devrait être engagé pour bâtir une nouvelle réalité.
Hadaya a quatorze ans et l’intelligence vive. Blessée par un obus israélien dans son village natal de Machghara (Békaa-Ouest) qui l’a laissée handicapée, elle a dû s’absenter de l’école deux ans durant. Et ce n’est pas par incapacité de suivre des cours : Hadaya se rétablit peu à peu et marche déjà à l’aide de béquilles. Mais entre la salle de classe et elle,...