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Actualités - OPINIONS

Bloc-notes - Mais où sont les neiges d’antan...

Elle portait de longues robes de lainage fleuri, à fond noir, un gilet à grosses côtes qu’elle enlevait quand elle surveillait les confitures ou les œufs brouillés aux tomates et aux oignons. Dans sa demeure des Cèdres dont elle avait conçu la construction et où elle recevait non pas des clients mais des «paying guests», faisant tous partie de ses relations beyrouthines, ou des diplomates, comme Armand du Chayla et d’autres, passionnés de ski, les week-ends étaient gais, et si Artémis cachait sa fatigue, elle laissait parfois éclater une colère : tout le monde y était habitué et se demandait quelle assiette allait voler au plafond. Une fois, saisissant une tasse de porcelaine, elle se ravisa et envoya en l’air un vulgaire sucrier, manifestant ainsi que perdre le contrôle de soi n’excluait pas que l’on garde le sens des proportions. Artémis avait plus d’un amant, qu’elle réservait, au début, pour la semaine. Ainsi, pendant la guerre, un Australien en garnison dans les baraques aujourd’hui devenues les «chalets» lui fit une cour à laquelle elle céda. Il s’appelait Leslie et fumait des Craven A dans des boîtes en métal dont les enfants raffolaient. Elle puisait aussi au Centre militaire de jeunes lieutenants libanais, heureux de fréquenter cette femme de la bonne société que son divorce à l’étranger et l’émancipation de ses mœurs leur rendaient accessible. Ses prix étaient plus chers que ceux des deux hôtels du lieu, appartenant chacun à des demi-cheikhs, avec lesquels notre héroïne entretenait des relations douces-amères, un temps arbitrées par monseigneur Keyrouz qui montrait de l’indulgence à l’égard de cette femme «ekht el rejal» et si féminine. Mais ses deux rivaux becharriotes ne pouvaient rien pour la concurrencer. Même son reb al-banadoura épatait sett S., et, fille d’un poète maronite et d’une mère grecque, élevée chez des sœurs diaconesses, Artémis, se qualifiant elle-même d’autodidacte, lisait Proust et faisait lire à tous ceux qu’elle aimait un chapitre de Comme le temps passe (Brasillach) intitulé la nuit de Tolède. Il s’agissait bien sûr d’une nuit d’amour, d’une première nuit de noces pudique et tendre. Puis elle se fit «refaire», comme elle disait, le nez, et raffermir les seins en France. Plus tard, elle devint Beyrouthine, et, elle, qui disait pis que pendre de l’institution du mariage, se fit épouser par un très jeune amant. Nous acceptâmes, parce que nous l’aimions, parce que nous connaissions les difficultés de sa jeunesse, parce qu’après tout ce désir d’honorabilité (être «madame» un tel...) est plus compréhensible au Liban qu’ailleurs. On connut chez elle Louise Weygman, l’abbé Pierre et quelques évêques, car cette athée déclarée n’avait rien tant que le respect de Dieu. Ces mots m’auraient valu autrefois une belle engueulade : Mais cette mère impure et pure qu’elle fut pour moi sait que je ne l’accuse pas de superstition («les croyants sont des superstitieux») mais d’amour. Un mot qu’elle acceptait...
Elle portait de longues robes de lainage fleuri, à fond noir, un gilet à grosses côtes qu’elle enlevait quand elle surveillait les confitures ou les œufs brouillés aux tomates et aux oignons. Dans sa demeure des Cèdres dont elle avait conçu la construction et où elle recevait non pas des clients mais des «paying guests», faisant tous partie de ses relations beyrouthines, ou...