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Actualités - ANALYSES

Système gigogne pour l’ouverture des vieux dossiers

Dès qu’une ouverture se profile, on ouvre des dossiers ! L’un après l’autre. Au risque de paraître donner raison aux renégats anti-Taëf qui prétendent que la guerre libanaise n’est pas finie. Cependant sur un plan purement ponctuel, on ne voit pas encore très bien pour quelles raisons la terrible affaire du massacre d’Ehden est maintenant remise sur le tapis. La réactivation de la polémique sur le cas Aoun, doublée du brusque coup de frein de la direction syrienne concernant le redéploiement, semblait suffire pour entretenir un climat délétère de fracture interne. Dès lors, beaucoup de professionnels se grattent l’occiput, perplexes, en se demandant pourquoi ce «vain gaspillage de munitions» de la part des loyalistes ou des décideurs. D’autant que le dossier en question n’est pas facilement exploitable : le massacre, perpétré le 13 juin 1978, remonte à vingt-deux ans et demi ; et se trouve, de plus, couvert par la loi d’amnistie de 1991. Sans compter que le premier intéressé, le ministre Sleiman Frangié, souligne qu’en cas de procédure il ne se porterait pas partie civile. Ajoutant que tout en souhaitant personnellement que justice se fasse, la réouverture du dossier plongerait le pays dans le climat des jours noirs. Ce que lui-même refuse, ce qui est tout à son honneur. Scrutant cette soudaine attaque de l’État contre les FL., formation particulièrement honnie de certains milieux, les politiciens ne lui trouvent qu’une seule explication sensée : il s’agirait de contrer les démarches actuelles en faveur de la libération du Dr Samir Geagea. On sait en effet que son épouse, Mme Sethrida Geagea, fait la tournée des députés. Pour obtenir une majorité de signatures au bas d’une motion d’amnistie généralisée s’étendant à son mari. «Quand même, souligne l’un des 14 parlementaires qui ont accepté le pari, la riposte des pouvoirs est outrancière. Car la motion en question se retrouve pratiquement au panier. Certains d’entre nous se sont déjà rétractés sous les pressions et il est tout à fait sûr que la proposition d’amnistie n’a aucune chance d’aboutir. D’autant que, par des manœuvres habiles, le camp loyaliste a déjà obtenu de Bkerké, où une délégation des familles des victimes du massacre a été dépêchée, une décision de suspension du projet. En effet, le patriarcat a souligné, après cette démarche des mamans meurtries, que l’amnistie ne peut intervenir qu’après la réconciliation nationale et interchrétienne. Les pouvoirs en font trop». Mais pour quelle raison au juste ? On se perd en conjectures à ce sujet. Un vieux loup de mer pense pour sa part que «tout montre, chez les décideurs, une volonté de ne pas se contenter de bloquer le jeu mais de prendre l’initiative. Cela conformément au principe que l’attaque reste la meilleure des défenses. L’affaire de Chebaa illustre parfaitement cette tactique. Dans une situation régionale de confrontation et de tension, marquée par la nécessité de relever le défi que constituent l’avènement de Sharon et les frappes sur l’Irak, les décideurs jouent la carte libanaise à fond. Ils asticotent Israël au Sud via le Hezbollah. Et le camp occidental, présumé protecteur de l’Est, à l’intérieur, via les dossiers. Une tentation d’autant plus forte qu’en reprenant son bâton de pèlerin le patriarche maronite semble reprendre également sa campagne pour la souveraineté». Les officiels pour leur part jouent la vertu offensée. À les en croire, la réouverture du dossier d’Ehden est due à la découverte d’éléments nouveaux. Et relève uniquement de la justice, sans que la politique y soit mêlée. C’est cependant oublier que, techniquement, une loi d’amnistie équivaut à cas jugé, sur lequel on ne saurait revenir sauf pour libérer un inculpé injustement condamné. En outre, et la question est sur toutes les lèvres, comment peut-il se faire qu’on ne parle plus des assassins des présidents Béchir Gemayel et René Moawad, du mufti Hassan Khaled, de son second cheikh Soubhi Saleh, du député Nazem Kadri, du président du syndicat de la presse Riad Taha ou du journaliste Sélim Laouzi. Etc. On revient donc à la vieille antienne que martelait Bkerké dans les années quatre-vingt-dix : pourquoi une justice à deux leviers, pourquoi l’ouverture de dossiers déterminés et pas des autres ? Et, ce qui est beaucoup plus grave, pourquoi promouvoir la haine et rouvrir les atroces blessures de la guerre ? Pourquoi vouloir dresser les chrétiens du Nord contre les chrétiens du Mont-Liban au moment même où le ministre Frangié établit un dialogue franc avec l’Est ? D’ailleurs, des partisans du jeune leader s’étonnent eux-mêmes de «l’obstination manifestée par certains pôles chrétiens pour la réouverture du dossier. Nous pensons pour notre part, ajoutent ces sources, qu’il vaut mieux s’en remettre au patriarcat pour faire toute la lumière sur cette affaire, du moment que M. Geagea ne cesse de clamer qu’il n’est pas responsable du massacre et qu’il avait été blessé avant d’arriver à Ehden». D’autres loyalistes chrétiens n’hésitent pas à se poser des questions sur le rôle joué par M. Élie Hobeika, ancien ministre et député proche des décideurs. En ajoutant que l’opération bénéficiait visiblement d’une couverture extérieure, puisque le commando de tueurs FL avait pu gagner Ehden sans rencontrer de barrage. Pour en revenir aux partisans de M. Frangié, ils soulignent eux-mêmes que «si l’on veut rouvrir le dossier du massacre, alors il faut en faire de même pour toutes les autres affaires». Et de préciser que le leader nordiste «ne veut couvrir personne. Il est prêt, le cas échéant, à aller jusqu’au bout. Même si cela doit signifier la convocation d’anciens cadres Kataëb ou FL». Ces sources répètent cependant que le jeune ministre ne tient pas à ce que l’on ravive les blessures des familles des victimes ainsi que les divisions intérieures, à un moment où le pays a besoin de s’unifier. Elles révèlent que M. Frangié a veillé, au moment où Bkerké semblait favorable à la motion d’amnistie, à ce que les familles des victimes n’organisent pas une manifestation devant le siège patriarcal. Il s’est rendu lui-même auprès de Mgr Sfeir pour en obtenir une déclaration indiquant que l’amnistie était liée à l’entente et non l’inverse.
Dès qu’une ouverture se profile, on ouvre des dossiers ! L’un après l’autre. Au risque de paraître donner raison aux renégats anti-Taëf qui prétendent que la guerre libanaise n’est pas finie. Cependant sur un plan purement ponctuel, on ne voit pas encore très bien pour quelles raisons la terrible affaire du massacre d’Ehden est maintenant remise sur le tapis. La...