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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Tour d’horizon avec l’ambassadeur canadien à huit mois du sommet - Haïg Sarafian : La francophonie au Liban ? Une ouverture sur le monde

L’ambassadeur du Canada s’appelle Haïg Sarafian et il est parfaitement quadrilingue. Rien de particulièrement exceptionnel jusque-là, sauf que ce privilège – parce que c’en est un – confère à sa vision, à son explication de la francophonie, un indéniable plus. Si tant est que l’on définisse cette francophonie autrement que par le «parler français», mais plutôt comme une façon de voir et de concevoir la vie, la politique, les rapports entre les peuples, ou un dialogue des cultures – entre autres. Et c’est dans ce cadre-là que s’inscrit l’entretien accordé par Haïg Sarafian à L’Orient-Le Jour, à huit mois, ou presque, du IXe sommet des chefs d’État ou de gouvernement des pays francophones, qui se tiendra en octobre à Beyrouth. Sans oublier, évidemment, que la contribution canadienne au Liban sera l’une des plus importantes parmi celles des pays donateurs de l’espace francophone. La francophonie politique Et si l’on commençait par parler de l’«espace francophone» en tant que tel ? En faire une espèce d’état des lieux... «L’espace francophone est en train clairement de s’améliorer, de s’épanouir. Lorsque l’on voit ce qui se faisait au début – notamment lorsque les chefs d’État se réunissaient – et que l’on apprécie ce qui se fait aujourd’hui, il y a une différence. Et à la question de savoir s’il a atteint le (ou les) objectif qu’il s’était fixé(s), je réponds : “Je n’espère pas”... À ce moment-là, il aurait plafonné. Il y a des dimensions nouvelles et qui vont toucher toute sorte de secteurs qui, au départ, n’étaient pas concernés». Quoi par exemple ? «On parlera évidemment de politique, de droits humains, de démocratie, d’éducation. On ne parlera pas uniquement “langue” – celle-ci sera le véhicule, tout en restant un objectif. Faisons un parallèle : le Commonwealth n’avait pas au départ les objectifs qu’il a aujourd’hui. Toute organisation se modifie, change, regardez l’Onu...». Comment doit réagir la francophonie par rapport au phénomène, de plus en plus omniprésent, qu’est la mondialisation ? Doit-elle résister ou plutôt trouver une espèce d’harmonie sereine ? «Je pense que vous avez donné la réponse : il faut la trouver, cette harmonie sereine, et peut-être même la diriger. Quant à s’opposer à la mondialisation, je ne connais pas vraiment beaucoup d’institutions ou de pays qui s’y opposent formellement. Par contre, il faut que la mondialisation soit canalisée dans quelque chose de plus juste, de plus humain, qu’elle tienne compte des valeurs sociales». La francophonie a un rôle à jouer dans ce processus de mondialisation galopante ? «Elle a sûrement des intérêts». Lesquels ? «Si vous pensez qu’une organisation qui regroupe un tiers des pays du monde n’aurait pas des intérêts dans la mondialisation... La défense de la langue française, par exemple...». Mais c’est un peu désuet ça, non ? Le maniement de l’imparfait du subjonctif n’intéresse plus grand monde... «Je pense qu’au Canada, en France, elle demeure importante». Vous ne pensez pas qu’elle est disproportionnée par rapport aux valeurs que vous avez citées tout à l’heure ? «Ce n’est pas une question de proportions. Il faut avoir plusieurs objectifs, c’est tout». « Ni ghetto ni élite » Et la francophonie au Liban ? Vous en pensez quoi ? «Ça, c’est au ministre (de la Culture, Ghassan) Salamé de la définir. Il a d’ailleurs fait faire d’énormes progrès à l’organisation du sommet depuis son arrivée, et c’est quelqu’un que nous espérons accueillir au Canada. Nous travaillons ensemble sur le comité de sélection des activités culturelles. Je pense que la francophonie a un rôle à jouer au Liban, et ce rôle est défini comme une ouverture d’esprit, vers le monde, et non pas sur des considérations, qui peuvent être perçues par certains comme étant uniquement historiques...». Ne devrait-elle pas se déghettoïser un peu, cette francophonie au Liban ? Être moins élitiste, étendre son champ d’action ? «Je ne la qualifierais ni de ghetto ni d’élitiste. Que des personnes qui occupent des postes importants la pratiquent, c’est très bien, mais je me souviens que lorsque j’étais étudiant à Beyrouth à la section française de l’International College, dans les années 60, tout le monde parlait français. Et ces gens-là venaient de divers milieux, de diverses confessions. Et puis il y a eu la période de guerre et les changements que l’on sait, tout cela a eu des répercussions, mais j’estime que la francophonie, comme la connaissance de toute autre langue, est un véhicule très utile de nos jours pour comprendre l’autre». Ce que vous venez de dire nous permet de rebondir directement sur le thème du sommet de Beyrouth, le dialogue des cultures. L’interactivité de facto qui aura lieu entre francophonie et arabophonie vous inspire quoi ? «Il n’y a aucune opposition entre elles. Ni avec l’anglais. Il serait réducteur d’ailleurs d’y voir une opposition, ces choses-là sont plutôt complémentaires». Est-ce que ça le sera ? «Nous l’espérons tous, et je ne vois pas pourquoi ça ne le sera pas. Dans tous les cas, cette complémentarité est déjà amorcée, il suffit de voir la liste des activités culturelles qui se feront, elles sont très harmonieuses. C’est une excellente chose». Vous connaissez bien ça, au Canada, le dialogue des cultures, n’est-ce pas ? «Tout cela s’améliore avec le temps. Il ne faut plus parler de deux solitudes au Canada. Deux négations ne font pas, non plus, une nation, c’est dépassé. Quoi de mieux d’avoir, à l’heure de l’hypercommunicabilité, un thème tel que le dialogue des cultures ? Et le Liban est très bien placé pour en faire la promotion». En faire la promotion ou donner des leçons ? «Depuis deux ans et demi que je suis ici, et de mes passages antérieurs, je n’ai jamais eu l’impression que les Libanais voulaient donner des leçons – j’ai plutôt l’impression qu’ils ont beaucoup à offrir». Un devoir, un dû ? Une chose encore : la déclaration de Bamako s’appuie sur la nécessité de promouvoir, par le biais de la francophonie, la démocratie, le droit et les libertés. À quoi les «petits» pays de l’organisation francophone répondent : «La démocratie est certes importante, mais ce qui est primordial, c’est la solidarité, nos peuples veulent manger». Qu’en pensez-vous – sachant que le Liban fait partie de ces «petits» pays ? «La francophonie devrait être un pont, un rassembleur. Les deux points sont raisonnables. Il ne faut pas se concentrer sur l’un sans tenir compte des besoins et des aspirations de l’autre. Un équilibre est indispensable, et les politiciens devraient favoriser, maintenir cet équilibre». Est-ce que les «grands» pays de l’espace francophone, dont le Canada fait évidemment partie, remplissent la mission morale qui leur est impartie ? «Je ne ferai pas de commentaires sur la question de savoir si c’est atteint ou pas, mais les valeurs que mon gouvernement soutient fermement sont celles qui tiennent énormément de la démocratie. Pas de la démocratie dans le sens classique du terme – une personne, un vote –, mais plutôt celui lié à la sécurité humaine, au contrôle des armes à feu, aux droits de l’enfant, aux mines antipersonnel. Il faut faire le pont entre solidarité et démocratie». C’est un devoir, un dû, cette contribution des «grands» aux «petits» ? «Nous préférons parler de volonté plutôt que de quelque chose dû. Il est de l’intérêt de chacun de faire cela. Mais ce n’est pas un dû. Plus nous aurons de pays ayant des valeurs communes, mieux seront les relations». Très heureux que le Canada ait eu la présidence de la francophonie et qu’il l’ait transmise au Liban, «le Liban est très cher aux yeux du Canada», Haïg Sarafian donne par contre la preuve par neuf qu’il est un diplomate extrêmement averti dès qu’il s’agit d’évoquer l’énorme rivalité entre le Québec et le Canada – notamment sur le plan de la francophonie. «C’est surtout grâce au Québec que le Canada est un grand pays de la francophonie. Évidemment, chacun essaie de faire le maximum, mais les rapports sont extrêmement cordiaux, et nous nous concertons sur les assistances offertes pour qu’il n’y ait aucun chevauchement. La guerre des drapeaux est largement dépassée, vous savez. Et les problèmes internes canado-québécois, personne ne veut les exporter au-dehors des frontières, et encore moins lors du sommet de Beyrouth. Les rapports entre nous, au niveau de la francophonie du moins, sont parfaits». Comment sera la contribution canadienne au Liban ? «Écoutez, certaines choses sont encore en voie de développement. Pour le sommet, la contribution du Canada remonte à l’été dernier. Nous avons remis au ministre Murr à l’époque un document sur comment organiser un sommet de la francophonie, nous en avions eu deux fois l’expérience, à Québec et à Moncton. Plusieurs secteurs sont concernés par une assistance : l’accréditation, la sécurité, la santé, avec un ou deux autres qui s’y ajouteraient. Le Québec s’occupera de la formation des agents de liaison, et nous espérons avoir une participation importante aux manifestations culturelles. Il faut cadrer et formaliser tout cela, ce qui n’empêche pas que la contribution a déjà commencé effectivement. Les quelques mois qui nous restent seront très fournis, et je suis très heureux d’être ici. Et avec le ministère de la Culture, ça sera pareil. Oui, la contribution canadienne est une des plus grosses, et je vous le répète, il n’y a aucune rivalité, encore moins avec la France. C’est le bénéfice pour tout le monde». C’est le meilleur des mondes alors, idyllique et charmant... «C’est peut-être parce que je ne suis pas journaliste. Pour l’instant, il faudra que je me force pour trouver que les choses vont mal». Tant mieux... Ça sera le sommet le plus quoi..., le sommet de Beyrouth ? «Pour qu’un sommet soit réussi, je pense qu’il ne faudra pas qu’il soit perçu par la population libanaise comme une rencontre à huis clos de grands dirigeants qui font des déclarations et un communiqué final. Toute la population libanaise devra en profiter, et d’une manière tangible, pour s’intéresser davantage à la francophonie».
L’ambassadeur du Canada s’appelle Haïg Sarafian et il est parfaitement quadrilingue. Rien de particulièrement exceptionnel jusque-là, sauf que ce privilège – parce que c’en est un – confère à sa vision, à son explication de la francophonie, un indéniable plus. Si tant est que l’on définisse cette francophonie autrement que par le «parler français», mais plutôt...