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Actualités - ANALYSES

LIBAN-SUD - Entre promesses de « retenue » et attaques du Hezbollah, le Premier ministre empêtré dans les contradictions - Le grand écart de Rafic Hariri

À la faveur de la relance, ces dernières semaines, de la diplomatie libanaise, on a pu constater chez le chef du gouvernement Rafic Hariri un affinement du discours au sujet du Liban-Sud, plus particulièrement sur les motifs poussant les autorités à s’abstenir de déployer l’armée en force dans la région frontalière. Soucieux de ménager ses nombreux interlocuteurs étrangers – et investisseurs potentiels –, M. Hariri a dû développer à cet égard une argumentation plus rationnelle, plus positive – en un mot plus «acceptable» – qu’auparavant afin de justifier ce qui, aux yeux de beaucoup, au Liban comme à l’étranger, continue d’apparaître comme étant un manquement du gouvernement libanais à son devoir le plus élémentaire. Il n’est évidemment plus question aujourd’hui pour le Premier ministre de mettre en avant les risques d’enlèvement de soldats libanais par Israël, une hypothèse qu’il avait très sérieusement évoquée à la tribune du Parlement au moment du débat de confiance, en novembre dernier. Il est vrai que ce jour-là, M. Hariri ne s’adressait qu’à… des députés libanais. Le Premier ministre japonais, le président de la Commission européenne et les dirigeants français méritaient de toute évidence que l’on respectât davantage leur intelligence. Plus question en outre de trop insister sur les fermes de Chebaa, hier encore présentées comme un «casus belli», à présent reléguées au second plan, au niveau d’un détail presque anecdotique. Naturellement, M. Hariri continue d’attirer l’attention de la presse internationale sur le fait que ce territoire est toujours occupé par Israël. Mais à un journaliste de la télévision française qui lui demandait si l’armée ne serait pas déployée au Liban-Sud tant que durerait cette occupation, le chef du gouvernement a eu cette réponse, jeudi : «La vérité, ce n’est pas ça»! Il aurait pu ajouter : «Soyons sérieux !». La «vérité», ainsi que la voit désormais M. Hariri, c’est que les Arabes aspirent à la paix et que pour atteindre cet objectif, il doivent s’employer à contraindre Israël à retourner à la table de négociations. Pour ce faire, il leur faut éviter de faire en sorte que l’État hébreu ne se sente rassuré et donc maintenir un facteur d’instabilité à ses frontières. Il ne fait pas de doute qu’une telle argumentation bénéficie d’une apparence de logique claire et repose en son fondement sur un point très solide, dont la pertinence n’est que plus évidente depuis l’élection d’Ariel Sharon au poste de Premier ministre en Israël : c’est la paix qui doit précéder la sécurité pour tous, en être la condition, et non le contraire. En présentant le problème sous cet angle, M. Hariri est aisément parvenu à un terrain d’entente avec Jacques Chirac et même avec Lionel Jospin, un Jospin qui, pourtant, dès avant le retrait israélien du Liban-Sud, pointait un doigt accusateur en direction du Hezbollah pour le zèle jugé excessif dont il faisait preuve. Le président français, son Premier ministre et l’opinion française dans son ensemble sont en effet acquis depuis longtemps à l’idée selon laquelle, au Proche-Orient, la recherche de la paix devrait primer les aspects purement sécuritaires du conflit. Il faudrait aussi mettre à l’actif de M. Hariri le soin attentif qu’il apporte à éviter toute surenchère démagogique à propos du Liban-Sud, un scrupule qui l’honore d’autant plus qu’il est rarement partagé. Un scrupule qui, aussi, lui assure aux yeux de la communauté internationale suffisamment de crédibilité pour que, le jour venu, il soit l’homme désigné pour signer la paix. Un scrupule qui, enfin et surtout, met en lumière le supplément de marge de manœuvre pour ce qui est du conflit régional dont dispose au Liban un chef sunnite de la trempe de M. Hariri par rapport à ceux d’autres communautés, notamment chrétiennes, forcées, elles, d’en faire «toujours plus» pour ne pas paraître «suspectes» de tiédeur à l’égard de la cause arabe. Il reste que les explications du chef du gouvernement sur la nécessité de ne pas offrir à Israël la sécurité sur un plateau d’argent, afin de l’amener à négocier la paix, ne sont pas encore de nature à satisfaire les partisans du déploiement de l’armée au Liban-Sud. Ces derniers ont toujours le loisir de répliquer en faisant valoir que ce qui est raisonnable, voire souhaitable, au niveau d’une stratégie arabe commune devient inapproprié dès lors qu’il s’agit du seul Liban. Ne serait-ce que dans un souci d’efficacité, comment croire en effet qu’une telle tactique pourrait aboutir du moment que, des quatre États arabes qui bordent Israël (en excluant les territoires palestiniens), c’est le maillon le plus faible – autrement dit le Liban – qui est appelé à la mettre en application. Sans oublier que sur ces quatre, ils sont deux à ne pas avoir signé la paix avec l’État hébreu. «Le Proche-Orient est compliqué», répondrait le Premier ministre, comme il l’a fait il y a quelques jours dans une interview au Monde. Admettons. Mais il reste à expliquer pourquoi il faudrait que le Liban paie seul le prix de cette complexité. D’autre part, M. Hariri ne semble pas croire lui-même à la stratégie qu’il préconise puisqu’il s’emploie, dans le même temps, à multiplier les déclarations rassurantes, en affirmant que le Liban, en accord avec la Syrie, s’abstiendra de toute provocation et continuera à faire preuve de retenue et en allant même jusqu’à promettre une coordination très étroite, «en temps réel», avec la France pour prévenir tout incident à la frontière. Enfin, on pourrait déduire des déclarations du chef du gouvernement que la brèche maintenue au Liban-Sud pourra être refermée le jour où Israël retournera à la table de négociations. Une proposition qui va au-delà de l’exigence du retrait des fermes de Chebaa et de la libération des Libanais détenus dans les prisons israéliennes, mais qui demeure pourtant bien en deçà de l’impératif formulé par d’autres instances, à savoir une paix globale sur tous les fronts et le retour chez eux des réfugiés palestiniens. Pour tout dire, le Premier ministre aura du pain sur la planche s’il veut continuer à gérer cette politique contradictoire consistant à tenter d’attirer les investisseurs tout en cédant à l’équation syro-libanaise qui commande de maintenir une posture agressive à la frontière méridionale du pays. Ainsi que l’avait résumé Walid Joumblatt, il faudra un jour choisir entre Hanoi et Hong Kong. Le tout est de savoir si M. Hariri pourra longtemps tenir son grand écart. Force est pourtant de constater que, quelle que soit la littérature servie, l’homme pragmatique qu’il est avait réussi jusqu’à ces dernières vingt-quatres heures – seul ou avec le concours d’autres – à discrètement imposer le calme et la retenue au Liban-Sud. En mettant sa politique à rude épreuve, l’incident d’hier dans les fermes de Chebaa, qui intervient au lendemain même de ses déclarations parisiennes, montre aussi les limites de son pouvoir.
À la faveur de la relance, ces dernières semaines, de la diplomatie libanaise, on a pu constater chez le chef du gouvernement Rafic Hariri un affinement du discours au sujet du Liban-Sud, plus particulièrement sur les motifs poussant les autorités à s’abstenir de déployer l’armée en force dans la région frontalière. Soucieux de ménager ses nombreux interlocuteurs...