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Actualités - REPORTAGES

SOCIÉTÉ - Le défi de Laure et Nicolas Maalouli au sort et à la vie - Handicapés et parents d’un bébé de quatre mois

Leur rêve était de fonder une famille. Contre vents et marées, ils ont lutté, ensemble, pour atteindre leur but et vivre un bonheur bien à eux. Handicapés de guerre, prisonniers à vie de leurs fauteuils roulants, Laure et Nicolas Maalouli sont aujourd’hui les heureux parents d’un petit Elie de quatre mois, qu’ils ont espéré 9 ans durant. Dans leur modeste maisonnette de Hadeth, ils pouponnent tendrement leur enfant comme tous les parents du monde, avec pour seul objectif de mener à bien leur tâche et d’élever Elie dans les meilleures conditions. Seul point noir au tableau, des rentrées financières insuffisantes et aléatoires, et une société qui n’est pas encore prête à faire de ses handicapés des citoyens à part entière. Dans l’humble salon de leur appartement à la propreté irréprochable, bibelots, photos souvenir et peintures sur porcelaine habillent les murs et les tables. Laure et Nicolas Maalouli, âgés respectivement de 43 et 50 ans, se déplacent aisément sur leurs fauteuils roulants, portant fièrement leur bébé de quatre mois. Ici, tout est à leur portée, conçu en fonction de leur handicap, avec les moyens du bord. Les lits sont équipés de roulettes, l’évier permet l’encastrement du fauteuil roulant, les toilettes sont adaptées, alors que les marches, seuils ou dénivellations sont totalement proscrits. Issu d’une famille très pauvre, ayant pour tout bagage son certificat d’études et une formation d’électricien, Nicolas se souvient des minces alternatives qu’il avait pour survivre, quand les hostilités ont éclaté : « Je n’ai eu d’autre choix que celui de m’engager dans le parti des PNL, avoue-t-il. Je venais de perdre mon emploi à cause de la guerre, et cette maison où j’ai grandi se trouvait directement sur un front menacé par les Palestiniens». Atteint en 1976 d’une balle à la nuque, à l’âge de vingt-cinq ans, Nicolas raconte son séjour de huit mois à l’hôpital, l’espoir, nourri par certains médecins, qu’il pourrait marcher à nouveau un jour, et puis les seize années passées à l’association des handicapés de Beit Chabab où il a totalement été pris en charge, où il a réappris à vivre, à devenir indépendant et à accepter son handicap. « Au début, j’étais dans un état lamentable, se rappelle-t-il, j’étais déprimé, d’autant plus que je n’avais plus de boulot et pas le moindre sou. Mais les dames qui nous rendaient régulièrement visite nous ont appris à nous occuper, juste pour passer le temps». C’est ainsi que Nicolas a appris la peinture sur porcelaine et sur soie et qu’il a vu ses efforts récompensés, car ce passe-temps est devenu un véritable métier, au fil des ans, grâce aux expositions organisées par l’association. Sans compter les menus travaux de réparation de fauteuils et de bricolage qu’il effectuait, moyennant rémunération. Son effort quotidien lui a permis de mettre un peu d’argent de côté, pour le jour tant attendu où il sortirait du centre. Le désespoir face au handicap C’est en 1989 que Laure a été blessée d’une balle dans le dos, au domicile de ses parents où elle vivait, alors employée dans une entreprise familiale réputée, après un bac et des études à l’école normale. Son atteinte lui a valu un mois et demi d’hospitalisation, et un séjour de deux ans et demi à l’association des handicapés de Beit Chabab. « J’ai sombré dans une profonde dépression, se souvient-elle, malgré l’affection de ma famille, trop heureuse de me savoir en vie, et l’appui de mes anciens collègues de travail. J’étais constamment en larmes et ne me levais du lit que pour mes exercices de rééducation. Et c’est là-bas que j’ai rencontré Nicolas qui m’a sortie de ma dépression, en me forçant à regarder autour de moi et à voir les moins chanceux que moi, ceux qui avaient aussi perdu l’usage de leurs bras». Laure a quand même mis un an et demi à s’accepter telle qu’elle et à s’habituer à l’idée qu’elle ne remarcherait plus. Elle ne pensait surtout pas accepter la demande en mariage de Nicolas, convaincue qu’elle ne pourrait plus jamais prendre de responsabilités. Et pourtant, une fois de retour au domicile paternel, elle a réalisé qu’elle pouvait très bien s’acquitter des tâches ménagères et cuisiner, comme n’importe qui, malgré le souci de sa famille de lui éviter toute contrainte ou fatigue. « Cela m’a encouragée à réfléchir à la proposition de Nicolas que j’admirais beaucoup, malgré le scepticisme de ma famille quant à notre capacité de nous débrouiller tout seuls. Mais ils ont vite accepté ma décision». De leur côté, les proches de Nicolas se sont montrés plus réticents, quand ils ont su que la fiancée était, elle aussi, handicapée. «Ils ont tenté de me persuader qu’il était de mon intérêt d’épouser une femme qui pourrait me servir, et que ce mariage était un suicide. Mais je leur ai répondu que je l’aimais et que nous n’avions besoin de personne. Même l’équipe qui nous encadrait à Beit Chabab a douté de nos capacités de mener à bien notre mariage. Car c’était un réel défi, non seulement au sort, mais surtout à la vie». Le rêve réalisé, à force de persévérance À force de patience et de persévérance, Nicolas entreprend de réaliser son rêve. Avec ses économies, il retape la maison de ses parents à Hadeth, épouse Laure en mars 92, et le couple s’installe dans leur modeste logement, prouvant au monde et à leur entourage qu’ils sont capables de s’assumer. Nicolas continue de vendre ses peintures, qu’il travaille chez lui, à l’association des handicapés de Beit Chabab où il se rend une fois la semaine, au volant de sa voiture. Il fait même les courses du ménage et va remplir de l’eau potable à la source, pendant que Laure s’occupe de son intérieur. Pour ce faire, Nicolas garde un fauteuil roulant dans sa voiture et se fait aider, une fois arrivé à destination. Progressivement, les barrières tombent autour d’eux, alors que des liens solides unissent le couple à leur famille, à leurs amis et même à leurs médecins. Des liens qui se renforcent quand l’arthrose de Nicolas le cloue au lit pendant 3 mois, sans travail ni rentrées. «Cette affection a englouti une grande partie de mes économies, car j’étais incapable de travailler, raconte-t-il. Rien que les médicaments nous ont coûté la somme de deux millions de livres. Quant à la carte de handicapé qui m’a été délivrée par le ministère des Affaires sociales, elle ne m’a été d’aucune utilité, à ce moment, puisqu’elle ne couvrait que les opérations chirurgicales. Heureusement que le médecin a fait preuve de beaucoup d’humanité et m’a soigné gratuitement» . «D’ailleurs, reprend-il, il ne manque aucune occasion de venir s’enquérir de notre santé». Il en a été de même au moment de l’accouchement de Laure, renvoyée par trois hôpitaux, faute de moyens financiers, mais que son gynécologue a réussi à faire admettre et à soigner gratuitement dans une clinique privée, à force d’acharnement. Un accouchement qui s’est déroulé dans les meilleures conditions, le plus naturellement du monde, alors que la césarienne était envisagée. Une naissance dans le bonheur, malgré les embûches L’arrivée d’Elie a été la réalisation du rêve de Laure et Nicolas, après tant d’années d’attente et trois fausses couches. Une naissance qui a été saluée avec un mélange de fierté et d’étonnement de la part de la famille du couple, qui n’osait trop y croire. Une fois de plus, Laure et Nicolas ont pu prouver à leur entourage qu’ils pouvaient eux aussi mener une existence normale, indépendante et heureuse. Mais le parcours n’est pas sans embûches. Dépassé par les dépenses supplémentaires occasionnées par la naissance de son enfant, le couple cherche un moyen de produire davantage pour pouvoir en assumer les frais. Car il ne reçoit aucune aide financière, sans compter que le propriétaire du terrain sur lequel sa maison est construite lui cherche noise depuis un certain temps. De plus, la résistance de la société est grande, déplore Nicolas, et le regard des autres est loin d’être celui d’égal à égal. «On nous lance parfois des regards de pitié, voire même de dégoût, ou de mépris, alors que des visiteurs se sont hasardés à nous demander si notre enfant était normal… Nous essayons de dépasser tout cela, mais encore faudrait-il que la société libanaise abandonne ses tabous et nous considère comme des citoyens à part entière». Une société confortée dans ses préjugés par un État qui a longtemps ignoré le droit des handicapés et leur interdisait même l’accès à l’enseignement et au travail, jusqu’à l’instauration d’une loi leur donnant satisfaction. Loi qui est, certes, une grande lueur d’espoir mais qui attend toujours d’être appliquée.
Leur rêve était de fonder une famille. Contre vents et marées, ils ont lutté, ensemble, pour atteindre leur but et vivre un bonheur bien à eux. Handicapés de guerre, prisonniers à vie de leurs fauteuils roulants, Laure et Nicolas Maalouli sont aujourd’hui les heureux parents d’un petit Elie de quatre mois, qu’ils ont espéré 9 ans durant. Dans leur modeste maisonnette de...