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Actualités - CHRONOLOGIES

TÉMOIGNAGE - Un ancien correspondant de guerre au Liban égrène ses souvenirs - Alain Louyot : les Libanais ont un formidable appétit de vivre

Michel Berty, Sabra et Chatila, Béhir Gemayel, invasion israélienne, voitures piégées… Des noms et des mots qui ont marqué les années de tourmente au Liban et que la plupart des citoyens préfèrent aujourd’hui reléguer aux oubliettes, quand ils ne sont pas pris d’amnésie. Mais, pour Alain Louyot, aujourd’hui responsable du service étranger à l’hebdomadaire français L’Express et ancien correspondant de guerre pour l’hebdomadaire Le Point, ils restent des souvenirs marquants, des fantômes qui hantent les rues de Beyrouth qu’il arpente pour la première fois depuis plus de 15 ans. Aux yeux de ce pèlerin ému, les rues sont pratiquement méconnaissables. Chaque croisement évoque un moment intense comme seuls peuvent l’être ceux que l’on vit dans le danger et la précarité. Cela commence par l’aéroport que Louyot a connu dans ses pires moments, sous les bombardements et dans le délabrement le plus total. «Je me souviens, dit-il, d’une fois où je venais au Liban à partir de Chypre, à bord d’un avion de la MEA. Il y avait alors plus de membres d’équipage que de passagers à bord et, au-dessus de Beyrouth, nous avons appris qu’il était impossible d’atterrir à l’AIB pour cause de bombardements. Après des concertations entre nous, l’équipage a décidé de se rabattre sur l’aéroport de Rayak, dans la Békaa. Il s’agissait d’un aéroport militaire plutôt désaffecté qui n’avait plus été utilisé depuis longtemps. Le pilote craignait d’ailleurs que la piste ne soit trop courte ou en mauvais état. Il a quand même tenté l’expérience. Ce furent des moments inoubliables». Un bateau intercepté par la marine israélienne Alain Louyot a connu toutes les arrivées au Liban, par l’AIB, par la Békaa et par Chypre. Il a même été contraint, avec quelques collègues, d’affréter un bateau spécial, lorsque la navette ne pouvait pas effectuer le trajet. Ce bateau avait d’ailleurs été intercepté par la marine israélienne et les journalistes avaient dû retourner à Chypre pour effectuer les contacts nécessaires. Car il fut un moment où les communications avec l’étranger étaient difficiles, voire impossibles, à partir du Liban. Et aujourd’hui, Alain Louyot n’en revient pas de voir de nombreux jeunes utiliser sans complexes les téléphones portables ou manier l’Internet si le Liban avait toujours été un havre de technologie. Témoin d’une époque que beaucoup au Liban souhaitent oublier, Alain Louyot a du mal à reconnaître ce pays qu’il a tant aimé parce qu’il y a vécu des moments intenses, rares. Après toutes ces années, il a sciemment choisi de s’installer à l’hôtel Commodore, où il a gardé tant de souvenirs. Mais entre-temps, l’hôtel a été reconstruit et appartient désormais à une grande chaîne internationale. Pour égrener ses souvenirs, et surtout la rue, évoquer ses collègues morts en traversant la rue ou au hasard de leurs reportages, il n’a trouvé qu’un directeur suisse, engagé par la compagnie et ignorant totalement que le pays où il travaille actuellement a connu une guerre terrible. Louyot est arrivé pour la première fois au Liban à la fin de l’année 77 et jusqu’en 1986, il a dû y faire plusieurs voyages par an. Il est même resté plusieurs mois d’affilée en 1982, depuis l’explosion d’une voiture piégée à la chancellerie française de la rue Clémenceau jusqu’aux massacres de Sabra et Chatila. Les bombardements contre Achrafieh en 1978, le siège de Zahlé, les voies de passage risquées et minées, il a tout connu. Il se souvient même d’avoir traversé une fois la place des Canons, devenue un no man’s land, à pied, seul avec son photographe, pour rencontrer le leader des Phalanges Pierre Gemayel à Gemmayzé. Une erreur « balistique » Et cheikh Pierre, qui ne s’attendait pas à le voir à cause de la fermeture des voies de passage, avait eu ce mot incroyable : «Balistiquement, vous avez eu tort de passer». Une autre fois, il marchait du côté de la rue Hamra et une voiture a explosé à quelques mètres de lui, le souffle lui arrachant sa chemise. Des moments pareils ne s’oublient pas. Surtout qu’ils n’ont pas toujours connu une fin heureuse : l’un des photographes avec lesquels Louyot collaborait a craqué au Liban. Après avoir reçu les premiers soins, il a été rapatrié en France par avion spécial et il s’est suicidé. «Parfois, c’était trop dur à vivre, mais les Libanais arrivaient toujours à trouver des solutions. Ce n’est pas seulement de la débrouillardise, mais un immense appétit de vivre, une véritable philosophie et j’ai connu ici des êtres authentiques qui connaissent la vraie valeur de la vie. En France, il m’arrive souvent de me dire que nous ne connaissons pas notre chance de vivre dans un pays en paix, avec pour principal souci d’améliorer la qualité de la vie, alors que dans les pays en guerre, il s’agit avant tout de survivre». Au cours de sa longue carrière de correspondant de guerre, Louyot a couvert une dizaine de conflits en Angola, dans les pays du Golfe, en Irak, en Iran, mais le Liban a toujours représenté pour lui un univers à part. C’est pourquoi il est si heureux de revoir ce pays en plein essor et les Libanais toujours aussi déterminés à vivre, à s’amuser, à avancer et à privilégier les relations personnelles. Ce qui le choque toutefois, c’est le fait que nul n’évoque la guerre. «Vous parlez des événements avec pudeur sans jamais aller au fond des choses. Je comprends certes ce désir de tourner la page, mais on dirait qu’il y a de la honte dans votre silence et cela m’intrigue…». Louyot connaît bien le sujet. Il a même écrit un livre sur les gosses de la guerre qui a obtenu le prix Albert Londres et aujourd’hui, il s’implique dans plusieurs associations de protection de l’enfance. C’est pourquoi, au cours de son bref séjour au Liban, il a essayé d’observer les jeunes et notamment les adolescents, qui ressemblent de plus en plus, selon lui, aux jeunes du monde entier, avec en plus cette chaleur et cette vitalité qui lui paraissent caractériser les Libanais. «À mon avis, votre principale ressource, ce sont les hommes. Toute votre force est là».
Michel Berty, Sabra et Chatila, Béhir Gemayel, invasion israélienne, voitures piégées… Des noms et des mots qui ont marqué les années de tourmente au Liban et que la plupart des citoyens préfèrent aujourd’hui reléguer aux oubliettes, quand ils ne sont pas pris d’amnésie. Mais, pour Alain Louyot, aujourd’hui responsable du service étranger à l’hebdomadaire...