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Actualités - CHRONOLOGIES

Communautés - « Sans les patriarches maronites, il n’y aurait pas eu d’indépendance », affirme Béchara Raï - Les homélies de la Saint-Maron trahissent le désarroi de l’Église

Les homélies prononcées hier pour la Saint-Maron ont pratiquement toutes reflété le désarroi d’une Église en crise, spirituellement et politiquement affaiblie. À Bkerké, à Gemmayzé et à Jbeil comme dans tous les hauts lieux de la «maronité», la Saint-Maron célébrée hier a été l’occasion d’une réflexion sur l’identité de la communauté maronite ainsi que sur son rôle et sa place au sein de la nation. Mais toutes les homélies ont également reflété les interrogations sur l’avenir du pays. L’attachement à la terre, à une spiritualité et à une histoire ont été les thèmes récurrents des homélies prononcées et ont été vus comme des moyens pour surmonter la crise d’une communauté où la foi est devenue «nominale», dans certains cas, et la grave crise de confiance en raison de l’état de tutelle auquel le jeu des nations et la vénalité de sa classe politique ont soumis le Liban. L’archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, a célébré la messe solennelle traditionnelle en l’église Saint-Maron, à Gemmayzé, en présence des représentants officiels des trois présidents, MM. Pierre Hélou, Nabil Boustany et Bahige Tabbarah, représentant respectivement le chef de l’État, le président de l’Assemblée et le président du Conseil. L’un des thèmes majeurs développés par l’archevêque maronite de Beyrouth a été la crise de confiance dans le Liban, «nécessité de civilisation» et «terre de rencontre entre les religions et de dialogue entre les cultures», pourtant déserté par toute une génération de jeunes «qui en abandonnent l’histoire», avant d’«en abandonner la géographie», à la recherche d’une patrie de rechange. Sfeir : « Sur un même navire… » «Le Liban pour lequel des jeunes sont morts ne mérite-t-il pas d’être défendu ?», s’est interrogé Mgr Matar. «La confiance est comparable au moral sans lequel le soldat ne saurait combattre en héros sur le champ de bataille», a-t-il souligné. Mgr Matar a ensuite résumé les quatre points principaux susceptibles de permettre aux Libanais de regagner cette confiance perdue : la réconciliation nationale dans le cadre d’un consensus général, la levée de l’exclusive posée à la participation de toutes les forces politiques à la décision politique, un redressement économique qui fasse un sort à la dette et enfin le fait pour le Liban de retrouver sa place dans la communauté régionale et internationale. Dans son homélie, le patriarche maronite a repris à son compte l’un des arguments développés par le président de la Banque mondiale James Wolfensohn, lors de sa récente visite au Liban. Il a affirmé : «Il est temps que chacun d’entre nous dépasse son égoïsme et ses intérêts étroits et de se croire capable de se sauver tout seul. Le fait incontournable, c’est que nous nous trouvons tous sur un même navire. Nous nous sauverons ensemble ou nous sombrerons ensemble». «Mais le dépassement de l’égoïsme n’est possible que si les chrétiens sont réellement chrétiens, de fait et non pas de nom, car autrement, s’appliqueraient sur nous ces dires du prophète Isaïe : “Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi”, a ajouté en substance le chef de l’Église maronite. C’est également l’une des importantes vérités développées par Mgr Béchara Raï, dans son homélie prononcée en l’église Saint-Jacques. Pour Mgr Raï, le relèvement du Liban est étroitement lié à une contrition collective, à une conversion intérieure à ce qui est authentiquement «maronite», l’altruisme, le sens de l’abnégation. «Quand je ne pense qu’à moi, a-t-il dit dans son homélie, je suis capable de tout vendre, y compris la patrie et la dignité. Et c’est ce qui se produit. Nous assistons aujourd’hui à la vente à bon marché de la dignité nationale, de la culture nationale et de la civilisation libanaise . Ce pour quoi ont donné leur vie un grand nombre de martyrs, depuis 1 600 ans, est aujourd’hui vendu pour un poste, un pouvoir, un intérêt». Un peuple sans patriarche disparaît ! Outre la perte d’une dimension spirituelle et morale, le Liban souffre aussi, selon Mgr Raï, d’une profonde ignorance de son histoire. Et l’évêque de souligner que le Liban doit son indépendance aux maronites. «L’héritage spirituel maronite est à la base du régime libanais qui se distingue de tous les régimes présents en cet Orient et qui repose sur les libertés publiques, la démocratie consensuelle, la convivialité entre les cultures et les religions, le dialogue et la rencontre. C’est sur ces bases que le patriarche Élias Hoyeck a réclamé l’indépendance du Liban au congrès de Versailles, en 1919, que le patriarche Antoine Arida l’a obtenue avec l’évacuation des troupes de la puissance mandataire après le congrès de Bkerké de 1941 et que le patriarche Sfeir lutte pour la recouvrer». «Sans les patriarches maronites, il n’y aurait pas eu d’indépendance ni de souveraineté ni de régime politique au Liban. Certains responsables politiques commettent l’énorme erreur de croire que le patriarcat maronite est une fraction mineure de la patrie. La souveraineté nationale ne sera pas recouvrée sans le patriarche, parce que le patriarche, ce n’est pas tant une personne que l’incarnation d’un peuple libanais au nom duquel il s’exprime. Un corps sans tête meurt et un peuple sans patriarche disparaît». « Ni attendre ni s’unifier… » Dans son homélie, prononcée en l’église diocésaine de Ksara, Mgr Georges Iskandar, évêque maronite de Zahlé, a parlé de cette dimension patriarcale de l’église maronite, mais a également mis en lumière l’un des points faibles de la communauté. «Le dicton dit que les maronites ne savent ni attendre ni s’unifier», a-t-il déclaré, avant de souligner en substance que les premières personnes à devoir se corriger, dans ce domaine, ce sont les pasteurs, les modèles du troupeau. Au couvent de Kfarhay (Batroun), Mgr Boulos Émile Saadé, évêque de Batroun, a répercuté dans son homélie les diverses formes d’appréhension qui agitent la communauté maronite : inquiétude pour l’avenir de la formule libanaise et pour la présence des chrétiens, marginalisés dans les nominations administratives et les postes importants, inquiétude pour la démocratie et le rétrécissement de l’espace de la liberté au nom de la paix civile, inquiétude pour l’éducation et les programmes qui incitent les Libanais à un repli identitaire alors même qu’Internet les ouvre sur le monde, inquiétude pour les jeunes qui émigrent, inquiétude pour une identité octroyée aux étrangers et aux réfugiés, etc. Pour sa part, l’abbé Athanase Jalkh, supérieur général de l’Ordre maronite libanais, a prononcé l’homélie de la Saint-Maron au couvent d’Annaya, en présence notamment du commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleiman. «Les maronites ont fait du Liban un message avant d’en faire une patrie», a-t-il dit. Mais selon le père abbé, les maronites doivent prendre garde à une appartenance purement nominale à la foi. Il a également mis en garde les maronites contre la tentation de vendre leurs terres, qui sont «l’incarnation en un temps et en un espace déterminés de leur spiritualité».
Les homélies prononcées hier pour la Saint-Maron ont pratiquement toutes reflété le désarroi d’une Église en crise, spirituellement et politiquement affaiblie. À Bkerké, à Gemmayzé et à Jbeil comme dans tous les hauts lieux de la «maronité», la Saint-Maron célébrée hier a été l’occasion d’une réflexion sur l’identité de la communauté maronite ainsi que sur...