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Actualités - ANALYSES

Perplexité sur la place politico-économique après le passage de Wolfensohn

Cela devient une habitude, pour ne pas dire une manie : le Liban officiel se fait taper sur les doigts par des dirigeants internationaux et répond, tout sourires, qu’il n’y voit là que compliments ou encouragements. Ainsi le palais Bustros avait presque applaudi au rapport-avertissement de M. Kofi Annan sur la Finul. Et à son tour, le ministère de l’Économie se félicite du «soutien» de la Banque mondiale, après les sévères mises en garde son président, M. James Wolfensohn, sur la nécessité de juguler l’endettement public. Les déclarations de cet ami du président du Conseil suscitent cependant, sur la place politico-économique locale, des commentaires mitigés. Non pas parce qu’on en récuse la pertinence, qui saute aux yeux. Mais parce qu’en dépit de ce qu’affirme le gouvernement en place, on ne peut empêcher le Liban de s’endetter encore. Tant que la situation régionale et la politique suivie par le pouvoir ne lui auront pas permis de regagner la confiance de l’étranger et des investisseurs. Tout comme on ne peut empêcher les politiciens du cru de se livrer à ces joutes vaines que M. Wolfensohn déplore, comme bien d’autres, et qui ébranlent la stabilité intérieure. Toujours est-il que les admonestations du président de la Banque mondiale n’auraient sans doute pas eu le même impact si le pays ne se trouvait en période d’examen de son budget général. Le débat qui va avoir lieu à ce propos à la Chambre s’annonce dès lors plus serré. Car les députés, oubliant qu’ils ont poussé les hauts cris en commissions pour faire gonfler les crédits qui les intéressent, vont sans doute rebondir sur les propos alarmants de M. Wolfensohn pour harceler le gouvernement. Et en exiger une meilleure compression budgétaire, alors même qu’il a pour sa part une couleur tout à fait contraire. On sait en effet que, prenant le contre-pied du Cabinet précédent, l’équipe en place se propose de relancer l’économie et la croissance en ouvrant les vannes des dépenses publiques et des grands projets. Comment assurer le financement, alors que le barème des taxes douanières a été réduit ? Par une augmentation, déjà perceptible au niveau des chiffres gouvernementaux prévisionnels du déficit budgétaire (51 % !). Par une série de privatisations partielles. Et, inévitablement, par un nouveau train d’emprunts. On note du reste à ce sujet les positions contradictoires adoptées tant par la Banque mondiale que par le gouvernement libanais. Tout en demandant au Liban de réduire son endettement, M. Wolfensohn a en effet approuvé chaleureusement la promesse du Cabinet Hariri d’employer une ligne de crédit de 400 millions de dollars accordée par la Banque mondiale elle-même. Il s’agit certes d’une avance à des conditions privilégiées et la BM ne nous mettra sûrement pas le couteau sur la gorge pour se faire rembourser. Mais il n’en reste pas moins que ces 400 millions ne sont pas donnés… Quoi qu’il en soit, les conseils de M. Wolfensohn, qui sont autant d’avertissements, vont sans aucun doute infléchir les tendances locales au gaspillage et aux dépenses improductives. Mais pour combien de temps ? Sans aucun doute aussi, pas pour longtemps. Car les dépenses improductives, qui représentent le poste le plus lourd du budget du fait des salaires, sont pratiquement incompressibles. Et en l’absence de tout contrôle comptable préliminaire, il reste impossible d’empêcher les administrations (et le personnel public de tout acabit) de jeter joyeusement l’argent par la fenêtre. Le gouvernement Hoss, qui voulait redresser la barre, en a fait la triste expérience. «Dès son arrivée au pouvoir, rappelle un député, l’ancien président du Conseil a dénoncé les combines, les magouilles, l’enrichissement illicite de plusieurs pontes. Et il a fait ouvrir des dossiers. Un ancien ministre, une poignée de directeurs généraux et une flopée de fonctionnaires se sont retrouvés sous les barreaux. L’État a exigé le remboursement des fonds publics détournés, en parlant de dizaines de millions de dollars. Mais tout de suite cette opération de nettoyage a capoté, à cause du barrage dressé immédiatement par l’un des pôles du pouvoir, qui a refusé que l’on touchât à “ses” gens. Des piastres, le Trésor n’en a récupéré aucune. Et de la kyrielle d’inculpés, il ne reste sous les verrous qu’un ancien haut fonctionnaire qui assume à lui tout seul le rôle de bouc émissaire, alors qu’il est sans doute plus blanc que les autres car on ne lui reproche que du gaspillage». Ce politicien averti souligne que le coup de balai de M. Hoss «a échoué parce qu’il partait sur de mauvaises bases. L’opération revêtait en effet une teneur de vendetta politique difficilement niable. Il s’agissait d’imputer aux précédents gouvernements Hariri la responsabilité de la crise financière et économique qui soufflait sur le pays. Une impression renforcée par le fait que la mise au jour de scandales antérieurs, avérés ou présumés, ne s’est accompagnée d’aucun programme de réforme de l’Administration et des mœurs politiciennes». Quoi qu’il en soit, cet épisode appartient au passé, sinon à l’histoire. Aujourd’hui, faisant écho aux milieux d’affaires, les politiciens se découvrent en chœur une nouvelle vertu. En pressant le pouvoir de bien prêter l’ouïe à la sonnette d’alarme tirée par M. Wolfensohn. Et de souligner en chœur que l’État libanais ne peut plus se payer le luxe de vivre en grand seigneur, alors que le pays est dans la gêne. Ces hommes politiques évoquent ainsi le mobilier des bureaux ministériels, toujours fastueux et renouvelables à gogo, la flotte de limousines officielles, l’armée de conseillers privés, sans oublier les primes ou indemnisations décrochées par les députés. À ce propos, il convient de rappeler que le budget de l’Assemblée échappe à tout contrôle comptable et se débride comme il veut : des fonctionnaires recrutés à prix d’or sans en référer au Conseil de la fonction publique ; des bureaux super et un staff (cabinet) pour les députés ; des voyages aux frais de la princesse ; des escortes etc. Mais de là à soutenir, comme le font certains, qu’on peut réduire le déficit budgétaire de 30 % rien qu’en éradiquant le gaspillage, il y a loin. Selon un expert, en se serrant fortement la ceinture, la lourde machine publique peut au maximum épargner 5 à 10 % de ses dépenses, selon les créneaux et les périodes. Disons, 7,5 % en moyenne : cela serait toujours ça de pris. En rendant plus réel le chiffre fictif de 51 % de déficit budgétaire qui dépasserait en réalité les 60 %, si l’on tient compte des créances extras à payer. Et si on pratiquait vraiment la transparence. Pour conclure sur une note un peu moins sombre, il convient de souligner que, comme la visite de M. Wolfensohn le prouve, la présence aux commandes d’un homme de l’envergure de M. Rafic Hariri redore un peu le blason du Liban à l’étranger. Les loyalistes, qui soulignent le succès de la récente visite de M. Hariri au Koweït, affirment qu’il réussira également au Japon, où il se rend ce week-end. Ils rappellent qu’en 1997, lors d’une précédente visite, M. Hariri avait obtenu du Japon une ligne de crédit de 100 millions de dollars, que le gouvernement de M. Hoss n’a pas cru devoir employer. Et qui serait réactivée, aux côtés des 400 millions de la Banque mondiale.
Cela devient une habitude, pour ne pas dire une manie : le Liban officiel se fait taper sur les doigts par des dirigeants internationaux et répond, tout sourires, qu’il n’y voit là que compliments ou encouragements. Ainsi le palais Bustros avait presque applaudi au rapport-avertissement de M. Kofi Annan sur la Finul. Et à son tour, le ministère de l’Économie se félicite du...