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Actualités - REPORTAGES

AGRICULTURE - Un secteur qui croule sous des milliers de dollars de dettes - Le cri de détresse des cultivateurs : - protection, planification, soutien !

«Cela fait quelques années seulement que je me suis lancé dans l’agriculture, et je croule déjà sous 40 mille dollars de dettes rien qu’à la banque. Je n’arrive plus à rien payer, ni la location de la terre, ni les pesticides, ni aucune de mes autres dettes. Je suis en faillite bien que je possède mon propre tracteur pour labourer mes terres et celles de clients qui sont eux-mêmes fauchés. Je vivais pourtant très bien de mon tracteur. Mais depuis que je me suis lancé à mon compte, j’ai tout vendu, je n’ai même plus de voiture !». Ce témoignage de Charbel Khoury illustre l’impasse dans laquelle se trouve la grande majorité des agriculteurs du pays. Comment dès lors s’étonner qu’ils soient en colère et jettent leurs cultures à la rue ou les distribuent aux passants ? Le mouvement de protestation des agriculteurs a fait boule de neige depuis un certain temps, et leur colère a pour cause le contrebande, la concurrence sauvage de produits importés, les accords bilatéraux à leur détriment, et, surtout, l’absence d’une politique agricole pertinente de la part de l’État. Même si, pour la première fois depuis des lustres, le budget consacré au ministère de l’Agriculture a été augmenté de façon à totaliser 60 milliards de livres, l’affaire n’est pas réglée pour autant. 50 autres milliards ont été accordés à Idal pour l’écoulement des marchandises. Mais cela suffira-t-il à redresser ce secteur qui souffre d’une négligence de longue date ? Une véritable politique de soutien et de développement naîtra-t-elle enfin de ce mouvement ? Lundi, la commission parlementaire de l’Agriculture a décidé d’écouter les principaux concernés pour s’inspirer de leurs demandes dans la rédaction d’une liste de recommandations. Celle-ci serait la première étape, selon le président de la commission Hussein Hajj Hassan, dans la mise en place d’une véritable politique agricole. On ne peut qu’espérer… Les problèmes et suggestions soulevés par les agriculteurs durant la réunion étaient nombreux, mais il est possible d’en citer les principaux : l’arrêt de la contrebande (que certains ont refusé d’appeler contrebande, évoquant la complicité de certains services de douane aux frontières avec la Syrie), la réduction des factures d’eau, de mazout et d’électricité en vue d’une baisse du coût de production, une modification des accords avec la Syrie, la Jordanie et l’Égypte (certains ont suggéré la complémentarité entre les produits des différents pays), la Sécurité sociale pour tous les agriculteurs (y compris les pêcheurs), les prêts bonifiés, la construction d’une infrastructure moderne pour l’irrigation et l’arrêt du gaspillage de l’eau, la modernisation du secteur et de certaines lois, la création de laboratoires, la réglementation du marché de graines et des pesticides, l’ouverture d’usines de traitement des déchets comme source d’engrais, la baisse du coût de transport… Certains agriculteurs, et les pêcheurs, ont montré du doigt les problèmes d’environnement comme la pollution de la mer et la dégradation des sols, qui affectent la productivité. Des millions… pour l’eau et l’électricité Ces mêmes problèmes, et d’autres, sont soulevés par des agriculteurs rencontrés par L’Orient-Le Jour. «Comment pouvons-nous faire des bénéfices quand la caisse de tomates se vend, en plein hiver, à 1 250 LL ?», souligne Hanna Khoury. «Nous avons beaucoup de dépenses. Rien que pour le loyer de la terre, je suis endetté de 5 millions de livres. Partout, vous pouvez remarquer que les serres endommagées ne sont pas remplacées !». Hanna et Charbel cultivent, comme tant d’autres, des tomates et des concombres, et de ce fait, souffrent particulièrement de la concurrence sauvage. Ont-ils jamais pensé à se lancer dans d’autres cultures ? Étonnés, ils répondent : «Que pouvons-nous planter d’autre ?». Résultat prévisible du manque de planification et d’orientation de la part de l’État… Les doléances des agriculteurs ne s’arrêtent pas là. Ceux qui doivent payer l’eau s’acquittent de sommes énormes (la facture de l’un d’eux s’élèverait à 34 millions de livres !). Les autres ont creusé des puits artésiens, en payant le prix élevé d’une pompe qu’ils ne pourront plus remplacer en cas de panne. Mais le grand problème reste l’électricité, dont les factures douloureuses n’épargnent personne. «La facture qu’il me reste à payer pour l’année passée s’élève à 14 millions de livres !», s’exclame Hanna. «N’est-il pas possible de fixer un prix spécial pour agriculteurs ? Cela ne coûterait pas grand-chose à l’État». Quand on sait que, selon les chiffres disponibles, 65 % des Libanais ne payent pas l’électricité… Et ce n’est pas tout : les dépenses commencent avec l’achat des graines. Une enveloppe contenant 5 grammes coûte 70 à 80 dollars, pour une surface cultivée de 500 mètres. Sans compter le prix de produits comme les pesticides (dont l’utilisation, soit dit en passant, n’obéit à aucune réglementation) ou le coût de l’emballage ou encore les gains du grossiste ou du commerçant. Avec tout cela, selon nos agriculteurs, il est impossible de ne pas sortir perdant, surtout avec la concurrence étrangère de produits au coût de production très bas ! Pensent-ils que beaucoup d’agriculteurs seraient prêts à lâcher la terre ? «85 % au moins de ceux que je connais dans la région comptent abandonner leurs cultures», estime Charbel. «Environ 15 % ont déjà laissé leurs champs sans labour. Aucun fournisseur n’accepte plus de traiter avec eux». Des coopératives pour écouler la marchandise Jean Hayek, médecin, et Wadih Haddad, journaliste, tous deux cultivateurs de produits plus rares tels que la tomate, la cerise ou le fenouil, donnent leur analyse de la situation et suggèrent des solutions. Même s’ils ne subissent pas des problèmes d’écoulement aussi aigus que les autres, ils connaissent bien les difficultés du secteur et souffrent du marasme ambiant. Wadih Haddad dénonce le manque de planification du ministère et plaide pour une politique plus interventionniste. «L’agriculteur a droit à une assistance technique, à un calendrier d’importation et à une infrastructure moderne pour l’irrigation», dit-il. «Pourquoi des cultures produites en grande quantité au Liban devraient-elles être concurrencées par des produits étrangers ? Il est vrai que les agriculteurs s’en tiennent dans leur écrasante majorité à des cultures traditionnelles et qu’ils devraient varier, mais osent-ils se lancer dans du nouveau ?». Selon lui, un plan directeur aurait empêché l’agriculteur de tomber dans l’erreur. Il relève également l’ancienneté des lois et, notamment, l’absence d’un texte sur l’appellation. «Il faudrait que la provenance du produit soit inscrite sur l’emballage», souligne-t-il. Pour sa part, Jean Hayek insiste sur l’importance de la création de coopératives agricoles dans chaque région. «L’État peut facilement créer ces coopératives qui se chargeront d’écouler la marchandise, ce qui allégerait considérablement le fardeau de l’agriculteur», dit-il. «Dans le cadre de ce système, l’État peut assurer soit l’exportation de ces produits, soit leur transformation industrielle, et orienter l’agriculteur en conséquence». Mais si nos cultures ressemblent considérablement à celles des pays voisins, comment pourra-t-on les exporter ? «Il y a d’autres options», fait remarquer Wadih Haddad. «Nous pouvons exporter à des pays comme la Libye ou l’Arabie séoudite». Cela se fait-il actuellement ? Il répond que non parce que «les agriculteurs libanais ont souvent triché avec la qualité, vu le manque de contrôle, ce qui a fait interdire nos produits par beaucoup de pays». Jean Hayek évoque également la nécessité d’accorder des prêts bonifiés aux agriculteurs. «On ne peut les laisser à la merci des banques qui imposent des conditions très dures et des taux d’intérêt énormes», souligne-t-il. «La création d’une banque agricole est indispensable pour dynamiser le secteur. Des facilités de paiement pour l’eau et l’électricité, à l’instar de l’industrie, s’imposent également». Il est clair que le mouvement des agriculteurs a, pour une fois, fait bouger les choses, et imposé au pays d’ouvrir le débat de la place de ce secteur dans l’économie. Les changements qui en résulteront seront-ils radicaux ?
«Cela fait quelques années seulement que je me suis lancé dans l’agriculture, et je croule déjà sous 40 mille dollars de dettes rien qu’à la banque. Je n’arrive plus à rien payer, ni la location de la terre, ni les pesticides, ni aucune de mes autres dettes. Je suis en faillite bien que je possède mon propre tracteur pour labourer mes terres et celles de clients qui sont...