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Actualités - REPORTAGES

Société - On les prend pour des ombres, elles sont des femmes actives - Ces dames du Hezbollah, la liberté et le tchador

Elles sont pareilles à des ombres, noires et furtives, laissant derrière elles la fugitive lumière d’un sourire ou d’un regard brillant. Ces dames du Hezbollah sont d’une grande discrétion, au point qu’on finit par oublier leur existence, mais cela ne les empêche pas de vivre, d’aimer et d’agir comme toutes les autres femmes du monde, protégées par leur tchador mais convaincues de la justesse de leur engagement qui prime toute autre considération. Au Hezbollah, on compte sur les femmes pour jeter les bases d’une société résistante, imperméable à toutes les tentations. Dans cette société bien réglée, il n’y a aucune place à la frivolité ou «aux mauvaises pensées». La trentaine épanouie, Rima Fakhri est, depuis six ans, la responsable des institutions féminines du Hezbollah. Le terme peut paraître pompeux, mais lorsqu’on apprend ce qui se cache derrière, on comprend l’importance que le Hezbollah accorde à la femme. Reprenant à son compte la célèbre phrase de l’ayatollah Khomeyni «La femme est une faiseuse de générations», ce parti a décidé de bien encadrer l’élément féminin, pour éviter l’infiltration des «mauvaises pensées» par la plus petite brèche. Au sein du Hezbollah, toutes les énergies sont utilisées à bon escient et les femmes sont tellement occupées qu’elles n’ont pas le temps de se poser des questions. Entre les sessions de langues, de couture, d’informatique et de culture générale, sans compter les leçons de cuisine et les visites régulières aux familles démunies ou à celles des martyrs du parti et des conférences de sensibilisation aux problèmes de l’environnement, les femmes du Hezbollah ont une vie bien remplie, entièrement tournée vers le service d’Allah et l’émergence d’une société résistante. Selon Rima, le Hezbollah, dès sa naissance en 1982, a réservé une place importante à la femme. «Celles-ci ont commencé par soutenir les combattants en leur apportant nourriture et encouragement moral, avant d’avoir leurs propres institutions et des activités indépendantes». Mais depuis le début, le commandement était conscient de la nécessité de mobiliser les femmes en même temps que les hommes, afin de consolider l’esprit de résistance chez les citoyens. Un sens à la vie Rima est issue d’une famille très éloignée de la planète intégriste et ni sa mère ni ses sœurs ne portaient le foulard, lorsqu’elle-même s’est inscrite à l’université. Aimant la terre et ses trésors, elle a obtenu un diplôme en agronomie à l’AUB et elle a découvert l’islam, «celui qui donne un sens à la vie et répond à toutes les questions». Ne plus craindre d’être diminuée par certains regards Très vite, Rima a éprouvé le besoin de porter le foulard qui, pour elle, fait partie de la foi, tout en apportant un immense sentiment de liberté à la femme. «Cachée derrière son tchador, la femme est libre d’affirmer ses capacités et ses pensées, sans plus craindre d’être diminuée par certains regards ou certaines pensées chez ses interlocuteurs». Pour la jeune étudiante, le tchador s’inscrivait dans ses convictions résistantes. Et c’est en toute connaissance de cause qu’elle a choisi de le porter pour ne plus l’enlever. Très active dans les milieux universitaires, elle a très vite gravi les échelons au sein des institutions féminines du Hezbollah pour en devenir la responsable en 1995. Comme il ne s’agit pas d’une élection, c’est le commandement qu’il l’a nommée et elle en est assez fière, considérant cette désignation comme une marque de confiance et une appréciation de ses efforts. En quoi consiste son travail ? Rima précise qu’elles ne sont que dix femmes engagées à temps plein dans les institutions féminines. Les autres sont des volontaires. Ces dix personnes sont chacune chargée d’un secteur. Avec leurs collaboratrices respectives, elles établissent le plan d’action de l’année qui sera ensuite soumis à son approbation. Rima supervise ainsi toutes les activités des institutions féminines qui s’articulent essentiellement autour de trois axes : la mobilisation sur le plan de l’éducation, l’appui à la résistance et la diffusion des préceptes de l’islam pour renforcer la cohésion de la société. Comme il s’agit aussi d’être productives, des sessions de formation sont organisées tout au long de l’année pour que les femmes puissent gagner leur vie en s’occupant intelligemment. Le commandement réserve un petit budget aux institutions féminines, les activités étant généralement financées par des dons. Les sessions de formation ne sont pas réservées aux femmes voilées. Elles sont ouvertes à toutes les femmes désireuses d’apprendre un métier ou d’avoir une occupation. Mais entre deux enseignements techniques, les monitrices essaient de diffuser les principes de l’islam. «Bien sûr, nous souhaiterions voir toutes les femmes voilées, déclare Rima. Mais ce n’est pas indispensable. La diversité ne me gêne pas. Ce qui me gêne, c’est de voir comment certaines femmes exposent leurs charmes, concrétisant l’image de la femme objet». Une fausse idée du chiisme La jeune étudiante qu’elle était a d’ailleurs eu du mal à se faire accepter par ses camarades lorsqu’elle a choisi de porter le voile. «À l’époque, raconte-t-elle, plusieurs idéologies se disputaient la scène estudiantine : le PC, le PSNS, les Kataëb, le PSP, Amal, etc. J’étais jeune et cherchais mon identité. C’est ainsi que j’ai découvert le Hezbollah qui en était encore à ses premiers balbutiements. C’est en lui que j’ai trouvé ce que j’attendais. Pour les autres, ce ne fut pas facile à accepter. Mais mes convictions étaient solides et j’étais déterminée à défendre ma vérité». Aujourd’hui, le Hezbollah est bien sûr mieux accepté et la famille de Rima s’est convertie à l’intégrisme. La jeune femme est consciente que la victoire au Sud est pour beaucoup dans le nouveau regard que les Libanais jettent sur le Hezbollah, mais elle espère que cette atmosphère sera mise à profit pour consolider les valeurs de l’islam au sein de la société libanaise. Rima est aujourd’hui mariée et mère de trois enfants qu’elle éduque dans le respect total du Coran. S’est-elle mariée par amour ? La jeune femme a un sourire de dérision. «C’est l’amour de Dieu et de la patrie qui comptent». Ne se sent-elle pas prisonnière des durs préceptes de l’islam ? «Pas du tout. L’islam a donné un sens à ma vie. Et puis vous avez une idée fausse de notre vie». Chez les chiites, la femme joue un rôle très important. Tous les ulémas de cette communauté considèrent que sans Zeinab, la fille de Zahra, elle-même fille du Prophète Mohammed, il n’y aurait pas eu de chiisme. Cette jeune femme avait en effet dénoncé le massacre de son frère Hussein par Yazid, allant de tribu en tribu pour raconter l’horrible tuerie. C’est dire, selon Rima, le respect que la communauté chiite voue à la femme. Celle-ci a tous les droits : conduire une voiture, faire du sport, sortir, travailler, à condition de rester voilée. Devançant la question, elle ajoute : «Ne peut-on se sentir libre que lorsqu’on sort en boîte et qu’on passe d’un garçon à l’autre ? La vie est un peu plus sérieuse que cela». Plus strict qu’en Iran Dans leur univers, une femme peut-elle refuser de se marier ? La jeune responsable de l’information, Hoda Issa, proteste : «Je ne suis pas mariée, parce que je n’ai pas encore trouvé l’homme qui me convient». Mais elle a encore le temps. «C’est vrai, reconnaît-elle. C’est vrai aussi que l’islam encourage le mariage parce qu’il permet la procréation, et notre objectif ultime est d’aboutir à une société croyante». N’ont-elles jamais un doute, une remise en question ? «Pourquoi ? L’islam a réponse à tout». Même aux inégalités, aux injustices ? «Lorsque nous appliquerons strictement la loi de l’islam, nous pourrons lui demander des comptes». En Iran, cette loi est appliquée, et les injustices demeurent. «Qui vous dit qu’en Iran la loi est strictement appliquée. Il y a encore du chemin à faire avant d’atteindre la société parfaite», rétorque Hoda. Que pensent-elles du nouveau maquillage des jeunes femmes de la télévision al-Manar ? «Il a été rendu nécessaire à cause de l’éclairage qui les faisait paraître comme des moribondes. Il ne faut surtout pas y voir une tolérance nouvelle face au maquillage. Lorsqu’elles quittent les studios, elles ôtent toute trace de blush et de rouge à lèvres». Au Hezbollah libanais, on est encore plus strict qu’en Iran. Et les femmes sont les véritables gardiennes de la tradition pure et dure.
Elles sont pareilles à des ombres, noires et furtives, laissant derrière elles la fugitive lumière d’un sourire ou d’un regard brillant. Ces dames du Hezbollah sont d’une grande discrétion, au point qu’on finit par oublier leur existence, mais cela ne les empêche pas de vivre, d’aimer et d’agir comme toutes les autres femmes du monde, protégées par leur tchador mais...