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Actualités - INTERVIEWS

Michel Tuéni : L’affaire est sérieuse et le dossier en préparation

Le Liban peut-il réclamer des indemnités à Israël pour les agressions subies pendant plus de 22 ans ? Longtemps, le sujet a été tabou, les Libanais doutant d’eux-mêmes et de leurs droits. Mais depuis l’atroce massacre de Cana en avril 96, depuis surtout le retrait israélien, l’idée fait son chemin. Le précédent gouvernement avait d’ailleurs formé un comité pour étudier le dossier, mais celui-ci n’avait pas vraiment eu le temps de se réunir. Aujourd’hui, les choses semblent se précipiter et le gouvernement a décidé la formation d’une commission pour vérifier si Israël a utilisé des bombes à uranium appauvri au Sud. L’avocat Michel Tuéni, membre du comité formé par l’ancien gouvernement, a beaucoup travaillé sur la question. «S’il est prouvé qu’Israël a utilisé au Liban ce genre de bombes, nos revendications s’en trouveront renforcées». Reste à établir un dossier solide. Le scandale en Europe sur l’utilisation probable par les Américains de bombes à uranium appauvri pendant la guerre du Kosovo a réveillé les Libanais. Ils se rendent soudain compte de l’usage qu’ils pourraient eux-mêmes faire de ce sujet s’ils parviennent à prouver qu’Israël a lancé de telles bombes au Sud. L’idée de réclamer des indemnités à l’État hébreu revient sur le tapis et aujourd’hui plus que jamais le Liban semble croire à la nécessité de réclamer ses droits. Trois éléments L’avocat Michel Tuéni a lui-même beaucoup travaillé sur le dossier, bien avant que l’État ne décide d’adopter l’idée et il estime qu’il est tout à fait normal que le Liban songe sérieusement à réclamer des indemnités. «L’idée a commencé à germer après le massacre de Cana, en avril 96. Mais elle est devenue plus claire après le retrait israélien en mai dernier. Pour moi, il était impensable que les troupes israéliennes se retirent après plus de 20 ans d’occupation, sans un regard pour les dégâts provoqués, pour les victimes et pour le manque à gagner causé au Liban. D’autant qu’Israël lui-même n’en finit plus de faire payer au monde entier les dégâts provoqués par la Seconde Guerre mondiale. D’ailleurs, la pratique de réclamer des indemnités à la suite de guerres est devenue très courante. L’histoire récente est remplie d’exemples de ce genre : le Koweït, le Kosovo entre autres». Selon l’avocat, le Liban doit axer ses revendications sur trois éléments incontestés : Israël a bien occupé le Liban. Il y a bien eu des dégâts et le lien de cause à effet entre les deux est évident. Par conséquent, le Liban peut en toute légitimité peaufiner son dossier. Outre les destructions soigneusement répertoriées, les listes des victimes et des énormes dégâts causés à l’économie libanaise, le Liban peut aujourd’hui ajouter deux nouveaux éléments : l’utilisation des bombes à uranium appauvri et les milliers de mines laissées sur le territoire libanais, qui font chaque jour des victimes et dont Israël refuse de communiquer la localisation à la Finul. Pour étayer sa théorie sur les bombes à uranium appauvri, Me Tuéni évoque une déclaration du porte-parole de l’armée israélienne, rapportée par l’Agence France Presse, qui avait reconnu l’utilisation de ce genre d’armes, avant d’être démis de ses fonctions. Ce porte-parole avait même précisé que les Israéliens avaient utilisé ces armes contre des embarcations venues du Liban, avant de les retirer. De plus, les Palestiniens affirment à leur tour que les soldats israéliens utilisent ces armes contre eux. Ils ont donc dû le faire aussi au Liban où ils sont restés 22 ans. 130 000 mines antipersonnel Me Tuéni est naturellement conscient que ces informations ne suffisent pas. Il faut, selon lui, mener des investigations poussées sur le terrain et dans les archives pour accumuler les preuves. Mais pour cela, il faut une décision du gouvernement. Même situation pour le dossier des mines antipersonnel, qui seraient au nombre de 130 000. Pour tout le monde, elles constituent les séquelles de l’occupation israélienne du Liban et elles continuent à faire des victimes chaque jour. Or, les Israéliens refusent de les localiser sur les cartes afin de permettre un déminage sérieux. En plus, le déminage est coûteux, sans compter les indemnités dues aux victimes et à leurs familles et le risque que l’existence de ces mines entraîne pour le Sud. Le Liban peut donc légitimement, dans ce cas particulier, réclamer des indemnités. C’est un dossier particulièrement fourni, qu’il faut étayer avec des preuves et des listes détaillées. Selon Me Tuéni, le précédent gouvernement qui avait vu se produire sous son mandat deux agressions israéliennes contre l’infrastructure du pays a été très intéressé par l’idée de réclamer des indemnités. Il a formé en septembre 2000 un comité présidé par le Premier ministre et ayant pour membres le ministre de la Justice, M. Tuéni lui-même et d’autres conseillers du président Hoss. Le changement de gouvernement qui a suivi les législatives de l’été 2000 a quelque peu perturbé l’action de ce comité, dont l’activité n’a pas encore démarré. Le gouvernement actuel semble toutefois s’intéresser à la question, comme le prouve la décision, hier, de former une nouvelle commission pour étudier le dossier. En outre, le président du Conseil compte faire appel à des experts internationaux. Plusieurs cas de figure et un seul objectif Visiblement donc, l’affaire doit être prise au sérieux. Mais une fois le dossier constitué, où doit-il être présenté ? Selon Me Tuéni, il existe plusieurs procédures : d’abord, et c’est sans doute la plus sûre, dans le cas d’ouverture de négociations entre les deux pays, la question doit figurer à l’ordre du jour. Et le Liban doit être prêt à réfuter les arguments que ne manqueront pas d’invoquer les Israéliens. La légitime défense, par exemple, ne tient pas, en raison notamment de la disproportion entre les agressions israéliennes et les opérations de résistance. De plus, tout se passe sur le territoire libanais, et l’agresseur est donc celui qui n’est pas sur son territoire. La seconde hypothèse est la présentation d’une demande en indemnisation aux Nations unies. Une telle démarche aura peu de chances d’aboutir pour les raisons que l’on imagine aisément. Quant au troisième scénario, il consiste à avoir recours à la Cour internationale de La Haye. Pour que la plainte soit recevable, le pays mis en cause doit reconnaître la juridiction de cette cour. Or, selon Me Tuéni, en signant la convention de 1948 renouvelée jusqu’à 2006 qui donne compétence à la Cour de la Haye, il a implicitement reconnu cette dernière. Quant à la théorie qui veut que le pays qui porte plainte doit reconnaître celui dont il se plaint, selon Me Tuéni, elle ne tient pas vraiment, puisqu’il existe d’autres théories qui la contredisent. L’avocat ajoute aussi qu’il pourrait y avoir un quatrième cas de figure, qui consisterait pour le Liban, à réclamer la formation d’un tribunal spécial. Mais une telle réclamation devrait être appuyée par la Ligue arabe pour gagner en consistance. Rappelons, à cet égard, que les Palestiniens ont récemment réclamé, en vain, la formation d’un tribunal spécial, dans la foulée de la seconde intifada. Me Tuéni précise enfin que le sujet sera évoqué au cours de la prochaine réunion des avocats arabes qui doit se tenir à Beyrouth entre le 20 et le 24 mars. En tout cas, de nombreux avocats, à leur tête le bâtonnier Michel Lyan, sont prêts à mettre leurs compétences au service de cette cause. Pour la première fois depuis longtemps, tout le Liban semble mobilisé pour la question des indemnités. Le syndrome du vaincu, c’est décidément du passé.
Le Liban peut-il réclamer des indemnités à Israël pour les agressions subies pendant plus de 22 ans ? Longtemps, le sujet a été tabou, les Libanais doutant d’eux-mêmes et de leurs droits. Mais depuis l’atroce massacre de Cana en avril 96, depuis surtout le retrait israélien, l’idée fait son chemin. Le précédent gouvernement avait d’ailleurs formé un comité pour...