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Actualités - OPINIONS

La disparition d’un sage

Un des piliers de la coexistence islamo-chrétienne vient de disparaître. L’imam Mohamed Mehdi Chamseddine laisse un vide qu’il sera très difficile de combler, particulièrement en ces temps troublés où la tolérance cède de plus en plus pas aux crispations identitaires des uns et des autres. Cet homme avait profondément compris la vérité de ce pays. Sa complexité l’intriguait et le fascinait. Il en parlait avec passion comme d’un trésor qu’il fallait découvrir et surtout préserver. Lui-même reconnaissait n’avoir pas saisi, dès le début, la richesse de cette diversité libanaise. Après avoir longtemps prôné l’idée d’une «démocratie du nombre», il avait reconnu s’être trompé et avait alors réclamé avec force l’adoption du principe de la «démocratie consensuelle». Il rejetait les solutions simplistes qui reposaient sur l’idée d’une «uniformisation» accélérée de la société, allant jusqu’à remettre en question la clause de l’accord de Taëf prévoyant l’abolition du confessionnalisme politique. Dans une discussion portant sur l’histoire du Liban et les problèmes que posait la rédaction d’un livre d’histoire unique, il avait critiqué les tentatives de «simplifier» l’histoire, proposant de laisser à chaque communauté le soin d’écrire sa propre histoire et de ne procéder à une écriture commune qu’à partir de la création de l’État libanais au début du siècle précédent. Les histoires communautaires sont, disait-il, par définition différentes et partielles puisqu’elles ne couvrent qu’une partie du Liban. L’histoire officielle ne débute qu’avec la création de l’État libanais et cette histoire peut être écrite sans soulever de problèmes majeurs parmi les Libanais. En 1994, il convie à un congrès sur le thème de «l’islam et les musulmans dans un monde en changement». À la grande surprise des participants venus de tous les pays musulmans, trois des six commissions de travail formées étaient présidées par des évêques appartenant aux principales communautés chrétiennes du Liban. Chamseddine avait expliqué à ceux qui l’interrogeaient sur les raisons de cette présence chrétienne, qu’aucune discussion engageant les musulmans du Liban ne pouvait être faite sans la participation de leurs «associés dans la nation». En parallèle, il avait participé, la même année, à un congrès sur le thème de «La crise de la communauté chrétienne après Taëf, organisé par la Congrès permanent du dialogue libanais». Il avait critiqué l’isolement dans lequel était maintenue la communauté chrétienne de la part du pouvoir et affirmé avec force que la convivialité islamo-chrétienne était à la base de la légitimité de l’État. Il lui arrivait souvent de faire le parallèle entre les appels lancés par le patriarche maronite en faveur du respect des équilibres communautaires et les mises en garde que lui-même et le mufti Hassan Khaled avaient, quelques années auparavant, adressées aux dirigeants, notamment lors de la fête d’al-Adha en 1983. À l’époque, disait-il, personne n’avait voulu prendre en considération nos appels et la guerre s’était poursuivie. Faut-il une nouvelle guerre, s’interrogeait-il, pour que les responsables comprennent que ce pays ne peut être dirigé que si, au départ, toutes les communautés se sentent en sécurité et qu’aucune communauté ne s’estime lésée ou menacée dans son existence ? Cet ardent partisan de la convivialité islamo-chrétienne était aussi un patriote convaincu. En 1983, il avait activement participé à la rédaction d’un document, Les constantes islamiques, auquel avaient souscrit les chefs religieux et politiques de l’islam libanais. Pour la première fois, il était fait mention du Liban comme «patrie définitive». L’expression sera reprise six ans plus tard dans le document de Taëf. Il avait également, la même année, lancé un appel à la «résistance civile» contre l’occupation israélienne, suscitant une mobilisation populaire qui allait préparer le terrain à la résistance armée. Cet homme de dialogue projetait, en juin dernier, de venir à l’Université Saint-Joseph pour relancer le dialogue islamo-chrétien. La maladie l’en a empêché. Mais il a continué, à partir de Paris où il était en traitement pour un cancer du poumon, à déployer des efforts considérables pour préserver les relations de l’islam libanais avec le patriarcat maronite, surtout après le débat qu’a suscité l’appel des prélats maronites. Ceux qui l’ont vu dans la capitale française peuvent mieux que moi témoigner du rôle qu’il a joué dans ce domaine, loin de toute publicité. La disparition de Mohamed Mehdi Chamseddine va certes poser problème au sein de la communauté chiite où il jouait le rôle d’arbitre entre des tendances souvent contradictoires. Mais son absence va être ressentie encore plus durement par les dignitaires religieux des autres communautés et, notamment, par les deux patriarches maronite et orthodoxe qui perdent avec lui un interlocuteur privilégié et souvent complice.
Un des piliers de la coexistence islamo-chrétienne vient de disparaître. L’imam Mohamed Mehdi Chamseddine laisse un vide qu’il sera très difficile de combler, particulièrement en ces temps troublés où la tolérance cède de plus en plus pas aux crispations identitaires des uns et des autres. Cet homme avait profondément compris la vérité de ce pays. Sa complexité...