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Actualités - ANALYSES

La bombe Joumblatt : un timing bien calculé

Quand M. Walid Joumblatt se met de la partie, on peut être sûr qu’elle sera animée, pleine de rebondissements. Son fracassant retour sur scène, après deux petits mois de retenue, en a surpris plus d’un. Pourtant les professionnels affirment qu’après le rabibochage avec Damas, la relance de l’offensive joumblatienne, dans une direction déviée, était facilement prévisible. En tout cas, elle tombe à pic dans la mesure où elle pose sérieusement la question de la cohésion au sein de l’Exécutif, à un moment où les divergences de vue s’accentuent manifestement entre les haririens et les fidèles du régime. Dans la mesure, aussi, où elle a forcé le chef du gouvernement à centrer ses entretiens hier à Damas sur ces tiraillements intérieurs. Le leader du PSP a en effet créé une fracture sérieuse en tirant à boulets rouges sur le président de la République. Cela, tout de suite dans la foulée de sa visible rentrée en grâce auprès de la Syrie, qui lui a été notifiée comme on sait par un coup de fil du général Ghazi Kanaan. De là à conclure que M. Joumblatt ne s’est pas vu interdire de s’exprimer comme il l’entend, à condition de rester dans un enclos purement intérieur, il n’y a qu’un pas que la plupart des observateurs franchissent sans hésiter. Une source de l’Est croit même déceler dans ces péripéties une application du vieux principe diviser pour régner. Force est en effet de constater la gravité d’une césure illustrée par le report de la séance hebdomadaire du Conseil des ministres. À dire vrai, le régime ne voulait pas décommander la réunion du mercredi, mais souhaitait simplement qu’elle se tînt sous la présidence du chef du gouvernement, sans la participation de M. Lahoud. Mais le président Hariri a fait valoir que l’Exécutif devait réagir en bloc à la situation politique créée par les déclarations de M. Joumblatt et prendre une position montrant clairement qu’il n’y a pas de dualité au sein du pouvoir, qu’il parle d’une même voix. Ce qui signifie en clair que la présence du chef de l’État à la séance du Conseil des ministres était nécessaire. D’autant que le ministre Sleiman Frangié, qui a sévèrement riposté à titre individuel aux propos de M. Joumblatt, ne cachait pas son intention de soulever le problème durant la réunion du Conseil. Et de poser éventuellement des questions sur le maintien au sein du Cabinet des trois représentants du camp joumblattiste... Lesquels, à en croire les loyalistes, ont probablement leur point de vue qui pourrait ne pas concorder totalement avec celui de leur chef de file. Toujours est-il qu’aussitôt après le déclenchement des hostilités par le seigneur de Moukhtara, deux interprétations opposées ont fleuri dans les milieux politiques. Pour les uns, l’attaque joumblattiste survenant dans la foulée immédiate de la réconciliation avec Damas signifie qu’une sorte d’avertissement est donné par les décideurs au camp loyaliste. Pour les autres, M. Joumblatt ne s’est pas assez rendu compte qu’en réalité Baabda constitue une ligne rouge et que l’attaquer c’est s’en prendre aux décideurs. Quoi qu’il en soit, en ajournant la séance du Conseil des ministres, les dirigeants ont évité, volontairement ou non, le risque d’une brusque implosion gouvernementale. Car il fait peu de doute que les trois ministres joumblattistes auraient été obligés de répliquer fermement aux critiques de M. Frangié et peut-être amenés à claquer la porte du Cabinet. Du côté des loyalistes, on assure que le président de la République a été tout à fait surpris de la soudaine flambée de M. Joumblatt, surtout après la réconciliation de ce dernier avec les décideurs, ce qui semblait augurer, au contraire, d’un rapprochement avec le régime. Au stade actuel, tout semble reposer sur l’initiative de conciliation enclenchée par le président Hariri. À la lumière de ses entretiens avec le président Bachar el-Assad, le chef du gouvernement doit développer maintenant une médiation active entre Baabda et Moukhtara. Mais du côté des haririens mêmes, on ne cache pas que l’attitude de M. Joumblatt, qui se justifiait quand il était dans l’opposition, sous le règne de M. Hoss, ne se justifie pas aujourd’hui «car on ne peut être contre le pouvoir quand on en fait partie», dit un ministre. On ajoute que «le président Hariri est fortement indisposé par l’initiative de M. Joumblatt, car ce dernier est connu pour être son allié. Or, il ne l’a pas consulté avant d’attaquer Baabda, au moment où M. Hariri ne cesse de mettre l’accent sur son entente avec le président Lahoud». De leur côté, des personnalités proches du régime pensent que «M. Joumblatt a voulu simplement faire une rentrée politique remarquée, rappeler qu’il est bien là, sans tenir compte des retombées de ses actes. Il a oublié sans doute que malgré les frictions antérieures, il a pu bénéficier de dispositions tout à fait favorables en termes de découpage électoral... Et qu’il en a été de même lors de la formation du Cabinet où il a obtenu plus de sièges qu’il ne pouvait en espérer». Et d’ajouter qu’en tout état de cause «le régime ne se laissera pas dévier de la voie qu’il suit. Il continuera à se dresser contre toute dualité au niveau officiel. Il n’acceptera pas que des forces politiques participent au pouvoir alors que leur leadership se déchaîne contre lui. Chacun est libre de s’opposer, mais alors il doit rejoindre ouvertement les rangs de l’opposition et se retirer du gouvernement». Et de conclure en indiquant que «l’affaire devra être réglée en pratique avant le prochain Conseil des ministres, sans laisser place à la moindre ambiguïté. Car le président de la République, qui a mené à bien le dossier de la libération, traite maintenant en priorité celui du rejet de l’implantation, face à de considérables pressions internationales. Il a dès lors besoin de disposer d’une situation politique intérieure solide, tout en restant démocratique».
Quand M. Walid Joumblatt se met de la partie, on peut être sûr qu’elle sera animée, pleine de rebondissements. Son fracassant retour sur scène, après deux petits mois de retenue, en a surpris plus d’un. Pourtant les professionnels affirment qu’après le rabibochage avec Damas, la relance de l’offensive joumblatienne, dans une direction déviée, était facilement...