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Actualités - ANALYSE

Sang neuf

M. Walid Joumblatt a une fois de plus exprimé haut et fort ce que beaucoup de ses confrères, politiciens et politicards, chuchotent dans l’intimité: le pouvoir actuel veut éliminer la classe politique. M. Camille Ziadé aussi s’est longuement étendu, dans un discours au Parlement rédigé avec une plume de velours, sur «la campagne dont est victime la classe politique». Il a soupçonné le pouvoir d’intentions d’éradication et de tentatives d’étouffement de la vie politique. Même si le président Émile Lahoud et son entourage n’ont jamais exprimé un quelconque manque de considération à l’égard de la classe politique, et même si les usages protocolaires sont toujours respectés, l’impression que l’on a du chef de l’État est celle d’un homme qui ne compose pas facilement avec ceux qui partagent à ses côtés la gestion des affaires publiques et l’animation de la vie politique. Sans vouloir tomber dans une généralisation fascisante (le racisme, le sectarisme, le ségrégationnisme…sont, ne l’oublions pas, le résultat d’idéologies généralisatrices), beaucoup seraient tentés de regarder sinon avec mépris, du moins avec indifférence, les hommes politiques du pays. Changeants comme des caméléons, volatils comme l’alcool, versatiles comme un miroir à mille facettes, démagogues comme des Pharisiens ; des sépulcres blanchis, magnifiques de l’extérieur, pourris de l’intérieur ; souvent incompétents, ils inspirent peu de confiance et de respect. Les plus brillants d’entre eux ne sont que l’exception confirmant la règle. Les mots sont cruels, mais il faut les dire quand même. Certains hantent notre existence depuis des siècles. Ils ont hérité de leurs aïeux l’amour de la chose publique comme on hériterait d’un vieux meuble ou d’un bijou de famille. D’autres ont allègrement escaladé des montagnes de cadavres pour s’installer sur leur trône…de papier. La plupart ont été imposés par un système politique hybride qui ne tient ni de la démocratie, ni de la dictature. Une démocrature, où l’électeur pense avoir son mot à dire alors que les choix sont fait d’avance par des forces occultes. Que l’on n’invoque pas les circonstances atténuantes pour alléger la sentence. Comment croire en un Parlement issu d’une classe politique qui vote avec une majorité confortable l’accord du 17 mai 1983 pour l’abolir quelques mois après ? qui approuve quelques années plus tard, et avec enthousiasme, le Traité de coordination et de fraternité avec la Syrie ? qui choisit, lors des consultations parlementaires contraignantes, Rafic Hariri comme chef de gouvernement, avant de faire volte-face deux jours après et de confier cette charge à Sélim Hoss ? Pourquoi pleurer le sort d’une classe politique qui, dans une inacceptable promiscuité, cohabite avec la corruption depuis 50 ans sans réagir ? Et qui, et c’est le plus grave, a été incapable d’éviter deux guerres civiles en l’espace d’un demi-siècle. Que M. Joumblatt soit offusqué qu’il ait le sentiment d’être victime d’une tentative d’élimination, c’est son droit le plus légitime. On espère toutefois que l’écrasante majorité des Libanais n’est pas mue par le même instinct de conservation. Beaucoup aspirent au changement. Ils sont las de voir sur leurs écrans les mêmes têtes depuis des décennies. La plupart souhaitent l’émergence d’une nouvelle élite politique, faite d’hommes ou de femmes défendant des idées, et non pas de gigantesques intérêts financiers qui dépassent l’entendement. Des hommes ou des femmes fidèles à des idéaux et non pas à des groupes de pressions ayant des attaches au-delà des frontières nationales. Des élus qui rendent des comptes à leurs assises populaires, et non pas à des chancelleries et à des ambassadeurs qui prennent volontiers des airs de hauts-commissaires. Tout cela pour dire que l’envie de remplacer la classe politique ne constitue pas – encore – un crime de lèse-majesté. L’éliminer serait, par contre, très inquiétant. Qu’Émile Lahoud estime qu’il y a incompatibilité entre lui et la plupart des hommes politiques est son droit. Son devoir l’oblige cependant de préparer le terrain pour favoriser l’émergence d’une nouvelle élite, et pour cela, il y a des instruments. Et d’abord, la loi électorale. Celle-ci doit être le résultat d’une profonde réflexion et doit exprimer, le plus fidèlement possible, la volonté des électeurs. À part des promesses abstraites comme «réelle représentativité, égalité …», on ne sait toujours pas quel mode de scrutin va être retenu et quelle sera la nature du découpage électoral. M. Michel Murr assure que le texte est prêt et qu’«il n’y manque qu’un mot». Pensez donc, l’émergence d’une nouvelle élite politique ne tient qu’à un terme magique sur le découpage électoral que tout le monde attend avec impatience. Autre instrument indispensable pour insuffler une bouffée d’oxygène à une vie politique figée : une nouvelle loi sur les partis et les associations, susceptible de donner naissance à des organisations de masse représentant la société d’une manière horizontale et non plus verticale, comme c’est souvent le cas actuellement. M. Murr a clairement dit que ce projet est laissé à la nouvelle législature. Doit-on comprendre que l’émergence d’une nouvelle élite politique n’est pas inscrite en tête des priorités du pouvoir ? Si la réponse est affirmative, il vaut mieux alors renoncer à toute tentative d’éliminer la classe politique existant aujourd’hui. La nature a horreur du vide. La politique aussi. Et si le remplaçant n’est pas prêt, le pire est à craindre. Le Liban a besoin de sang neuf, si possible non contaminé.
M. Walid Joumblatt a une fois de plus exprimé haut et fort ce que beaucoup de ses confrères, politiciens et politicards, chuchotent dans l’intimité: le pouvoir actuel veut éliminer la classe politique. M. Camille Ziadé aussi s’est longuement étendu, dans un discours au Parlement rédigé avec une plume de velours, sur «la campagne dont est victime la classe politique». Il a...