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Actualités - OPINION

TRIBUNE Des mots et des jeux

À compter le nombre de députés qui ont annoncé leur intention d’attaquer, de vilipender, de bafouer, d’outrager, de persifler, de ridiculiser le gouvernement, on pourrait redouter une crise suraiguë – si l’on ne se trouvait au Liban où toutes les tempêtes sont permises mais le naufrage interdit. L’art avec lequel la colère, qu’elle soit blanche ou bleue ou noire, s’évapore dès qu’on passe au vote est une spécialité que beaucoup de gouvernements étrangers nous envient. Sans aucun doute, certains ambassadeurs doivent être chargés par leurs administrations de percer le mystère de cette démocratie à la libanaise pour laquelle elles nous jalousent et qu’elles aimeraient bien voir appliquer par leur parlementaires. Mais personne ne semble encore avoir réussi à comprendre le mécanisme qui actionne la langue de nos députés et, en même temps, uniformise leurs bulletins. Une inspiration de dernière minute ? Une intervention divine ? Une forme quelconque d’hypnotisme ? Aucune réponse n’a pu être donnée à ces questions pourtant pertinentes. Mais une chose est sûre, les gouvernements libanais, pour autant qu’ils soient lucides, ne sauraient appréhender un débat parlementaire, quel qu’en soit l’objet. Ce n’est jamais de là que viennent les coups. Tous ces nouveaux ministres qui fourbissent leurs armes et préparent leurs discours et leurs réponses avec un soin méticuleux ont d’autant plus de mérite qu’ils pourraient s’en passer. Le temps consacré à ce fatigant labeur, ils gagneraient à l’employer, par exemple, à se demander par quelle magie ils ont accédé à des postes qu’ils n’ont jamais recherchés et ce qu’on attend d’eux dans une formation politique dont l’objectif déclaré est paradoxalement de se dépolitiser. Peut-être comprendront-ils, à force de chercher, que les employeurs d’aujourd’hui peuvent soudain devenir les lâcheurs de demain – et même leurs ennemis. Peut-être saisiront-ils qu’ils ne sont là, en somme, que pour prêter leurs noms et leur zèle à un entracte de longue durée au cours duquel il faut distraire, faute de vie politique réelle, un public assoiffé de loisirs. Au programme, une priorité : cette vertueuse chasse aux sorcières de toutes sortes, dont les méfaits passés servent à justifier les paralysies du présent. Au programme aussi, ces ouragans verbaux où des politiciens réduits au chômage essaient de se rappeler au bon souvenir de leurs électeurs. Au programme enfin, les oracles et les sibylles qui prétendent lire et déchiffrer l’ougaritique, langue, s’il en fut, aux amphibologies multiples, et dont les interprétations équivoques ne cessent de tourmenter nos loyaux dirigeants. Comme on le voit, les spectacles qu’on nous offre, en guise de succédané, pour être gratuits n’en sont pas moins divertissants. En les variant, d’entracte en entracte, on peut attendre avec sérénité le grand événement de l’an 2000. Il ne s’agit évidemment pas de la paix au Moyen-Orient : c’est là un sujet qui dépasse la compétence des Libanais. Il s’agit, on l’aura deviné, du prochain festival électoral qui nous fera entrer d’un pas ferme, mais à reculons, dans un délicieux Moyen Âge au progressisme prometteur.
À compter le nombre de députés qui ont annoncé leur intention d’attaquer, de vilipender, de bafouer, d’outrager, de persifler, de ridiculiser le gouvernement, on pourrait redouter une crise suraiguë – si l’on ne se trouvait au Liban où toutes les tempêtes sont permises mais le naufrage interdit. L’art avec lequel la colère, qu’elle soit blanche ou bleue ou noire, s’évapore...