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Actualités - INTERVIEWS

PROCESSUS DE PAIX - " Tout le monde connaît la vérité misérable d'Oslo " Edward Saïd : " Arafat est un traître"

De passage à Beyrouth pour une conférence à l’AUB, Edward Saïd explique à «L’Orient-Le Jour» les raisons de sa condamnation sans appel du processus d’Oslo. Ce critique et historien de la littérature, intellectuel palestinien engagé vivant aux États-Unis, évoque les voies alternatives «inventives», seules en mesure de conduire à une réconciliation véritable au Moyen-Orient. De passage à Beyrouth pour une conférence à l’AUB, Edward Saïd explique à «L’Orient-Le Jour» les raisons de sa condamnation sans appel du processus d’Oslo. Ce critique et historien de la littérature, intellectuel palestinien engagé vivant aux États-Unis, évoque les voies alternatives «inventives», seules en mesure de conduire à une réconciliation véritable au Moyen-Orient. Q – «Vous êtes en désaccord totale avec Yasser Arafat pourquoi ? R – «Il a accepté l’inacceptable. Après la guerre du Golfe, dans laquelle il s’était rangé du côté perdant, il a vu dans le processus de paix le seul moyen de se sauver lui-même et est devenu le maréchal Pétain des Israéliens. C’est un homme extrêmement brillant du point de vue de la tactique politique, il sait manipuler les gens, mais ce n’est pas un leader, si on le compare à Nelson Mandela par exemple. Malgré ses 27 années de prison, Mandela n’a jamais renoncé à ses revendications. En revanche Arafat a changé mille fois. Il a menti à son peuple en lui parlant de paix tout en acceptant des conditions terribles. Tout le monde connaît la vérité misérable d’Oslo. Israël conserve tous les pouvoirs, le contrôle des frontières, de la sécurité, de l’eau, les Palestiniens n’ont effectivement que 3 % du territoire… Q – «Pensez-vous qu’il a accepté tout cela consciemment, n’était-il «en fait tout simplement trop optimiste ? Je crois qu’il est tout à fait conscient comme le prouve une anecdote édifiante. J’étais au Caire en 1994, quand a été signée la deuxième partie des accords d’Oslo, et un ami qui participait aux négociations m’a raconté, horrifié, que les discussions tournaient autour de la possibilité de mettre l’effigie d’Arafat sur des timbres ! D’ailleurs, il suffit d’observer comment il gouverne l’Autorité palestinienne. C’est un tyran absolu. Il a établi une censure totale sur les médias, il refuse d’adopter une Constitution. Il a développé une bureaucratie qui absorbe 60 % du budget de l’Autorité. D’une certaine manière, il a réussi à acheter le silence de la population par des emplois : 140 000 personnes travaillent pour l’Administration et les services de sécurité. Ce qui n’empêche malheureusement pas le sort des Palestiniens de se détériorer de jour en jour. De nouvelles terres sont confisquées toutes les heures sans qu’aucune résistance ne s’organise. Détail significatif, la construction des colonies juive est effectuée par de la main-d’œuvre palestinienne. C’est un crime ! L’Autorité devrait créer un fonds pour aider ces personnes pauvres au lieu de dépenser des milliers de dollars en belles voitures et villas. Q – «Son autorité n’est pourtant pas vraiment contestée… R – «À mon avis, l’opposition islamiste a été neutralisée. Surtout depuis les derniers accords de Wye River qui permettent d’assimiler toute manifestation d’hostilité au processus de paix à un crime. Je crois aussi que Arafat a réussi à faire entrer les islamistes dans son jeu. Il n’y a pas non plus de résistance du côté de la bourgeoisie nationaliste qui a été séduite par la possibilité de réaliser des affaires ou des projets civils. L’un des succès incontestables du processus d’Oslo est d’avoir dépolitisé les Palestiniens, de les avoir apprivoisés. Il reste quelques voix indépendantes qui s’élèvent, comme celle de Haïdar Abdel Chafi, mais elles sont isolées. Vous avez vous-même rompu avec l’OLP après avoir été membre du Conseil national palestinien entre 1970 et 1991. En tant que Palestinien vivant aux États-Unis, j’ai essayé d’expliquer la société et la politique américaine à des gens qui n’en avaient aucune idée, qui étaient farcis de mythes sur l’Amérique. D’un autre côté, j’ai multiplié les articles, les livres, les conférences pour introduire la question palestinienne sur la scène médiatique américaine. Mais, j’ai commencé à prendre mes distances quand, après 1988, l’OLP a réorienté sa politique vis-à-vis des États-Unis. Ils ont alors choisi de s’adresser aux pires institutions et personnalités américaines. L’autre point de désaccord majeur a été la guerre du Golfe. Je considère qu’il était immoral, en tant que peuple qui a été chassé de chez lui en 1948, de prendre le parti de l’occupant du Koweït. J’ai donc démissionné du CNP. Ensuite, peut-être en raison de la leucémie dont je souffre, j’ai décidé en 1992 de me rendre en Palestine après 45 ans d’absence. J’ai vu par moi-même l’occupation, l’Intifada… et j’ai comparé cette expérience à la vision qu’en avait la direction palestinienne à Tunis. Tout cela, couplé à la lecture des documents d’Oslo, m’a convaincu qu’ils avaient trahi leur peuple. Q – «Mais de quels moyens disposaient-ils, le rapport de force étant si peu en leur faveur ? R – «Nous n’avons que les moyens des faibles. Ma conviction est faite depuis les années 1970 : il n’existe pas de solution armée. Malheureusement, nos dirigeants ont opté pour les moyens conventionnels. Ils ont commencé par une fausse guerre armée à Beyrouth qui nous a coûté ainsi qu’aux Libanais des milliers de vies, sans résultat. Ensuite ils ont donné de faux espoirs à leur peuple en acceptant le processus d’Oslo. Je suis sûr que celui-ci va se poursuivre. Ils vont commencer à négocier avec Barak la dernière phase, mais cela ne durera pas. Notre espoir ne réside pas dans les arrangements du moment, effectués par la classe politique dans son propre intérêt. Pour en finir avec cette situation figée, il faut trouver des moyens plus libres, créatifs, inventifs Je ne suis ni soldat ni politicien, je parle d’une contestation culturelle, d’une dimension spirituelle. Confrontons les Israéliens avec leur histoire. C’est un travail déjà entamé par les historiens israéliens eux-mêmes qui sont en train de revoir les mythes du sionisme. Nous devons utiliser les contradictions et les dissensions qui existent au sein de la population israélienne. De plus en plus de juifs laïques ne sont pas contents d’être tyrannisés par une minorité militante religieuse. Ils ne veulent plus vivre dans un Etat différent de tous les autres, qui n’est pas l’État de ses citoyens, mais celui du peuple juif. Q – «La lutte s’est donc déplacée au sein d’Israël même ? R – «Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut refuser le dialogue avec les Israéliens. Je suis favorable au témoignage. Quand j’affronte des Israéliens, j’essaie d’en appeler à leur conscience, je leur demande de reconnaître leur responsabilité envers les Palestiniens. Car au lieu de cette négation, de ce silence horrible toujours justifié par l’Holocauste, nous devons leur arracher une acceptation de leur responsabilité historique. Je ne suis pas sûr d’y parvenir, mais c’est la seule façon, sur le plan symbolique, de conserver une identité palestinienne digne et de permettre une coexistence future avec les juifs. Or c’est tout le contraire de ce que fait Arafat. Son attitude sur la pelouse de la Maison-Blanche, le 13 septembre 1993, a été honteuse. Il a accepté la négation de l’histoire des Palestiniens dont il n’a pas dit un mot. Il s’est contenté de remercier servilement les Américains et les Israéliens et son discours était celui d’un commerçant, tandis que Rabin, lui, parlait de souffrances, d’exil, de diaspora, de sacrifices. Ce discours-là, c’est Arafat qui aurait dû le tenir. Q – «Pensez-vous que les Israéliens renonceront un jour au sionisme ? R – «Certains commencent à l’évoquer. Je pense que les plus intelligents sont en train de se rendre compte que, malgré leur puissance incroyable, leur situation est intenable. Combien de temps peuvent-ils rester dans cette isolation splendide ? Selon moi, il n’y a pas d’autre solution que la création d’un Etat unique, car il est impossible de refaire la partition de deux peuples aussi imbriqués et qui dans dix ans seront de taille égale. J’ai écrit cela dans le New York Times et, à ma grande surprise, c’est l’article qui a, jusque-là, suscité le plus de réponses positives».
De passage à Beyrouth pour une conférence à l’AUB, Edward Saïd explique à «L’Orient-Le Jour» les raisons de sa condamnation sans appel du processus d’Oslo. Ce critique et historien de la littérature, intellectuel palestinien engagé vivant aux États-Unis, évoque les voies alternatives «inventives», seules en mesure de conduire à une réconciliation véritable au Moyen-Orient. ...