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Le centre de presse de Bruxelles : l'autre guerre de l'Otan
Par MASBOUNGI Elie, le 19 avril 1999 à 00h00
Dans l’immense complexe qui abrite le siège de l’Otan à Bruxelles, il y a deux bâtiments où les lumières ne s’éteignent jamais. Ceux du commandement des opérations militaires et du centre de presse. En cette quatrième semaine du conflit entre l’Alliance atlantique et la Yougoslavie, on peut se demander si la guerre des quarante membres du service de presse est moins âpre que les bombardements des troupes sur le terrain. En apportant aux uns et aux autres leur lot de violence et d’horreur, les jours et les nuits se suivent et ne se ressemblent que par l’assiduité des quelque deux cent journalistes présents tous les jours à 15 heures à la conférence de Jamie Shea, porte-parole de l’Otan, toujours flanqué d’un officier du Q.G. Avant d’assister à un de ces «briefings» où le ton monte souvent du fait de l’insatiable mais légitime curiosité de nos confrères, nous avons pu nous entretenir avec le Dr Harald Bungarten, porte-parole délégué de l’Otan que l’on ne voit jamais sur le podium puisque c’est un travailleur de l’ombre et la cheville ouvrière du service de communication. Depuis le déclenchement des hostilités, les vingt-cinq agents du centre de presse sont engagés dans ce qui est en fait leur première guerre en Europe. Si l’on excepte toutefois les événements de Bosnie, précise M. Bungarten qui ajoute que les quinze employés du service des relations publiques ont été embrigadés au sein de son équipe. Et cela fonctionne, bien entendu, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours par semaine car les opérations militaires ne connaissent pas de répit et il s’agit de rester disponible pour répondre à toute question dans les délais les plus brefs. Le «briefing» n’étant que la partie visible de l’iceberg, la tâche essentielle consiste à rester en contact permanent avec la chaîne de commandement d’une part et la presse d’autre part. Décryptage et filtrage Tous les matins les informations en provenance du commandement sont décryptées et filtrées. «Oui, il y a un filtrage», reconnaît M. Bungarten arguant de l’état de guerre et de certaines considérations aussi bien tactiques que stratégiques. Depuis la nuit des temps, la communication de guerre a été vitale et souvent déterminante pour gagner et c’est ainsi que le flot d’informations est transmis au secrétaire général de l’Otan avant d’être traité, avec d’autres rapports d’intelligence, puis acheminé au service de presse. Une réunion quotidienne regroupe des représentants du secrétaire général et du porte-parole de l’Otan pour faire un point et traiter des sujets délicats. Exemples la capture des trois pilotes américains, la perte de l’avion furtif américain et tout récemment le tragique bombardement d’une colonne de réfugiés kosovars par un (ou plusieurs…) chasseur américain. C’est à l’issue de ces réunions que le contenu de la déclaration liminaire est décidé et que la ligne entre le publiable et le non-avouable est tracée. Une ligne qui n’est jamais la même du fait des rapides développements sur le théâtre des opérations. Selon le cas, on peut tenir compte des conditions de récupération des pilotes, des impératifs du secret militaire ou des réactions des diverses opinions publiques concernées par le déroulement des événements. Les réponses et clarifications aux questions des journalistes restent les problèmes les plus difficiles qui se posent à ces professionnels de la communication. Les délais ne sont et n’ont pas été les mêmes pour confirmer la capture des pilotes, la perte de l’avion furtif, expliquer les bavures de l’aviation US ou tout récemment encore clarifier les conditions dans lesquelles a été capturé et livré au commandement américain – et non à l’Otan – un officier serbe. Autres moments difficiles de ce face-à-face quotidien avec la presse : l’opacité qui enrobe certains épisodes et l’embarras qui gagne les militaires lorsque l’assistance exige des preuves ou reprend des questions auxquelles elle n’a pas obtenu des réponses la veille… M. Jamie Shea et ses collaborateurs ne cessent d’affirmer qu’ils disent toujours la vérité et qu’ils livrent à la presse tous les éléments d’informations dont ils disposent mais la réalité est toute autre puisque toute la vérité ne peut être dite tous les jours et à propos de tout. «Nous ne mentons jamais et nous voudrions bien donner plus d’informations», affirme le porte-parole délégué. Il faut comprendre que la conjoncture de guerre impose des contraintes et qu’après tout l’Otan est partie dans ce conflit. De plus, les membres du service de presse sont des personnes engagées et croient en la mission de l’Alliance atlantique. Ce sont d’ailleurs des ressortissants des membres du Pacte (Canadiens, Américains, Allemands, Italiens, Espagnols, Belges etc.). De véritables joutes Côté ambiance, le briefing de presse que d’aucuns se plaisent à appeler “Le Jamie Show” donne lieu à de véritables joutes où l’humour du responsable britannique se mêle à l’envolée lyrique de l’officier et au cynisme du journaliste. Des confrères initiés avouent qu’à l’heure des questions, la parole est donnée aux mêmes personnes et que comme par hasard certains journalistes lèvent la main lorsque, faute de temps, on ne peut plus “prendre” des questions. Le résultat de ces Daily Operations Update (ou mises à jour quotidiennes sur les opérations militaires) est fait de conclusions hâtives; sur le moral des troupes serbes par exemple. Ou des réactions de frustration de la part de journalistes qui en veulent toujours plus. Il y a aussi des confrères complaisants avec leurs gestes approbateurs et même des blasés qui notent ou enregistrent machinalement tout ce qui se passe dans cette salle. Sans état d’âme et sans réaction, sinon celle de regarder la montre pour savoir si leur “papier” passera dans les délais. Les armées de cette guerre-là s’appellent CNN, BBC ou ABC. Les stratèges, des généraux en veston-cigare et les munitions des tonnes de textes, de sons et d’images. L’enjeu est l’audimat et la victoire est toujours du même côté.
Dans l’immense complexe qui abrite le siège de l’Otan à Bruxelles, il y a deux bâtiments où les lumières ne s’éteignent jamais. Ceux du commandement des opérations militaires et du centre de presse. En cette quatrième semaine du conflit entre l’Alliance atlantique et la Yougoslavie, on peut se demander si la guerre des quarante membres du service de presse est moins âpre que les...
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