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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

La diplomatie à la rescousse de la Constitution

En raison de l’intérêt que présente l’intervention de M. Fouad Boutros au séminaire du Cedroma et de la brûlante actualité du sujet, nous reproduisons ci-dessous le texte de cet exposé : Perçue tour à tour, tantôt comme une fatalité, un cauchemar, un complot, une iniquité ou un scandale, la présence des réfugiés palestiniens au Liban, a connu des phases diverses, jalonnées par le comportement souvent anarchique de l’OLP et des autres organisations palestiniennes, à l’égard de la société et des pouvoirs libanais. Que la diaspora palestinienne soit victime d’une injustice flagrante portée à son comble, par le refus opposé par Israël à son droit au retour, est une évidence ; de même qu’il est évident que le Liban pâtit particulièrement de cette injustice. C’est pourquoi, échaudée par le rôle de l’OLP au Liban, l’opinion est particulièrement sensibilisée au problème de l’implantation. Dans le cadre de ce colloque, je me propose, après avoir rapidement esquissé un état des lieux, de définir l’approche la plus efficace à l’action diplomatique et ses moyens d’action, avant de tenter une incursion dans des sphères étrangères qui se penchent sur ce problème, pour déceler leur vision de la solution pratique. État des lieux : Ayant activé le processus de paix, la conférence de Madrid a mis le problème des réfugiés à l’ordre du jour. Par ailleurs, l’accord de Taëf ayant mis fin à la guerre libanaise, dans les conditions que l’on sait, a incorporé le refus de l’implantation, dans la Constitution comme étant au cœur du consensus interlibanais. Dans le cadre du processus de paix, le problème des réfugiés ainsi que d’autres problèmes connexes ont été renvoyés à une instance multilatérale, que le Liban et la Syrie boycottent, en réaction à la rupture par des États arabes de l’unité des rangs. La signature d’accords séparés par certains n’a pas contribué à détendre l’atmosphère pour tout ce qui touche à cette question. Dans le cadre des multilatérales, des commissions ad hoc ont été créées, telles que le GTR que président le Canada et le comité quadripartite qui comprend la Jordanie, Israël, l’Autorité palestinienne et l’Égypte, pour traiter de l’avenir des réfugiés. Leur activité semble être aujourd’hui, au point mort. Les participants sont censés s’appuyer dans leurs travaux sur les décisions, chartes et accords internationaux et sur les déclarations et résolutions de maints états et organisations régionales qui, depuis des lustres, se sont employés à reconnaître et consacrer le droit des réfugiés au retour. Les distingués conférenciers qui m’ont précédé à cette tribune, dans le cycle consacré aux «Moyens juridiques» n’auront pas manqué de s’étendre sur la nomenclature et la portée de ces instruments juridico- diplomatiques, qui s’échelonnent de la résolution 194, des Nations unies, jusqu’à la déclaration des membres permanents du Conseil de sécurité du 22/1/1989. À mon sens, cette esquisse appelle quelques commentaires : 1 - Le problème des réfugiés étant – par sa nature – un problème multilatéral et le Liban boycottant l’instance y afférente, il y a lieu de se demander si les autorités libanaises de l’époque, ou leurs successeurs ont envisagé le moyen de pallier cette absence, afin d’éviter le risque d’une cacophonie, du fait de la discordance possible des positions des uns et des autres, faute de coordination. Pour autant qu’on le sache, rien ne permet d’affirmer que le Liban – principal intéressé au problème – est tenu informé de la tournure des discussions dans les instances qui en traitent. 2 - Les relations entre le Liban et l’Autorité palestinienne, partie prenante aux multilatérales, ne se distinguent, ni par leur stabilité, ni par leur limpidité. Les récents débordements dans les camps palestiniens au Sud en sont la dernière illustration ; ce qui n’augure de rien de bon quant à l’avenir. 3 - Suite aux récentes prises de position musclées du chef de l’État et du gouvernement quant à l’implantation, l’opinion, en même temps qu’elle y applaudit, se demande si – aux yeux de la Syrie, pilote du tandem libano-syrien – cette position s’insère dans le cadre de l’unité du processus et bénéficie de l’appui et de la dynamique dont sont assortis les autres problèmes compris dans le processus de paix. Modalités d’approche : Certes, le règlement définitif du problème des réfugiés est fonction de la paix. Mais ce n’est pas là une raison suffisante pour attendre passivement cette éventualité. Il est recommandable d’explorer, entre-temps, les possibilités ici et là et d’entreprendre des contacts, pour préparer le terrain à une concertation internationale, sous une forme à définir. Quelle approche recommander donc au Liban, pour son action diplomatique ? Dans le contexte actuel intérieur, interarabe et international, il est évident que le Liban ne mettrait pas toutes les chances de son côté, s’il s’avisait d’entreprendre une action diplomatique, en acteur isolé. Aussi, des concertations exhaustives avec la Syrie sont-elles impératives, en vue de définir une position commune quant aux modalités de l’activité diplomatique : timing, objet, tonalité et d’obtenir son appui. D’autre part – et sans ignorer les difficultés d’une telle entreprise – il est souhaitable que le Liban explore les possibilités pratiques d’établir un canal de communication avec l’Autorité palestinienne, qui n’affecteraient pas ses positions par ailleurs, ne serait-ce que pour éviter les complications qui ne manqueraient pas de surgir, s’il était confronté à un arrangement même partiel intervenu hors sa présence et sa participation. C’est aux autorités en définitive qu’il appartient de choisir l’approche la plus appropriée à leur action. Il va de soi que c’est auprès des États-Unis d’Amérique, de l’Union européenne et de ses membres principaux ainsi qu’auprès de la Russie et de la Chine et des principaux pays d’Amérique et d’Asie, que doit être entreprise cette action, ainsi qu’auprès de l’Onu. Étant donné l’état des relations entre ses membres, il paraît inutile de compter sur la Ligue arabe, étant entendu qu’il convient d’entamer des contacts individuels avec plusieurs d’entre eux, en vue d’obtenir leur appui diplomatique. Moyens d’action : Dans le droit fil du thème général que le Centre d’études du monde arabe a assigné à ce colloque, j’ai appelé ma communication «La diplomatie à la rescousse de la Constitution». Il me semble que cela nécessite quelques précisions. S’il est courant pour le Liban, dans ses rapports avec les États étrangers, d’invoquer les accords de Taëf et des dispositions de sa Constitution, pour refuser l’implantation, il convient de relever que cette référence constitue un raccourci. En effet, elle vise en réalité, en deçà et au-delà de la Constitution, les instruments juridico-diplomatiques qui constituent, quant à l’implantation, le socle de l’accord de Taëf et des dispositions y relatives dans la Constitution. Il va de soi, d’ailleurs que, quelque contraignantes que soient ses dispositions dans l’ordre interne, elles n’obligent pas, à ce titre, les États étrangers. Néanmoins, dans le cas d’espèce il en est autrement, car les dites dispositions sont l’expression des décisions, résolutions et chartes internationales afférentes aux réfugiés palestiniens, ainsi que de l’appui donné par les organisations internationales et régionales et maints États étrangers, à l’ensemble des dispositions de Taëf. D’où la faculté pour le Liban, de s’en prévaloir sur le double terrain juridique et diplomatique, au même titre que des arguments tirés de la préservation de l’ordre, de la paix et de la sécurité dans le monde, lesquels seraient gravement menacés, si le problème des réfugiés ne recevait pas une solution équitable ; étant entendu par ailleurs, que les risques auxquels s’expose le Liban n’ont pas de commune mesure avec ceux auxquels s’expose n’importe quel pays d’accueil. Il faut espérer que les États-Unis d’Amérique qui patronnent le processus ne resteront pas insensibles à ces arguments et que les États amis, au premier rang desquels les États de l’Union européenne et notamment la France, apporteront à la diplomatie libanaise le soutien nécessaire, sous les formes les plus variées. Conclusion pratique : Au-delà des considérations énoncées, il convient de tenter une incursion dans les milieux politiques et les cercles de réflexion internationaux, dans le but de déceler la conception qui prévaut dans leur esprit, quant aux modalités pratiques de règlement du problème. Du rapide tour d’horizon que j’ai effectué à cet égard – et qui est loin d’être complet – je retiens ce que j’appellerai quelques échantillons représentatifs de cet état d’esprit en Occident. En voici trois spécimens : 1 - Traitant du problème des réfugiés, dans une conférence qu’il a donnée au Centre for Lebanese Studies à Oxford reproduite dans le Journal of Palestine Studies en 1997, Rex Brynen, professeur de sciences politiques à McGill University au Canada, passe en revue les possibilités très limitées de retour en Israël – sous le signe du regroupement familial – ainsi que du retour sur le territoire de l’État palestinien et d’installation dans d’autres pays arabes ou étrangers. Puis, après avoir relevé que le nombre de ceux qui resteraient au Liban est substantiel et au-delà de ce que ce pays peut supporter, il conclut dans les termes suivants : «Même si le processus d’Oslo reprend, les implications quant aux réfugiés au Liban demeurent incertaines. Il incombe donc aux universitaires autant qu’aux politiques de savoir comment minimiser cette incertitude, ainsi que de trouver la meilleure formule pour que l’avenir des Palestiniens au Liban puisse être envisagé d’une manière réaliste». 2 - En 1992, à Washington, à l’occasion d’une entrevue qu’il m’a accordée au State Department, le chef de la diplomatie américaine, après avoir reconnu l’obligation, pour les multilatérales, de trouver une solution équitable au problème des réfugiés au Liban, a glissé entre deux phrases comme s’il dialoguait avec lui-même : «Where do you want them to go ?». 3 - Interrogé récemment par la presse, lors de sa visite au Liban, le ministre français des Affaires étrangères, représentant d’un pays dont le soutien au Liban est sans faille, a répondu comme suit, à une question concernant l’implantation. «La France n’est pas favorable à des arrangements qui se feraient au détriment du Liban. Elle n’est pas non plus favorable à un arrangement israélo-libanais qui se ferait au détriment des Palestiniens. On ne peut pas faire d’impasse sur cette question. Il faudra réfléchir à une concertation internationale à ce sujet, lorsque les négociations de paix auront repris». Cela appelle à réfléchir en vue de concilier pratiquement des impératifs qui se heurtent : fait accompli créé par Israël et son obstination, droit des réfugiés au retour reconnu par la communauté internationale, complaisance des États-Unis à l’égard d’Israël, considérations humanitaires, potentiel des pays d’accueil, etc. En tout état de cause, le Liban ne peut s’accommoder de solutions boiteuses qui mettraient en péril sa cohésion, voire son existence même. S’il est rassurant de constater à cette occasion, qu’un très large consensus y existe quant à ce problème, il y a lieu de relever qu’il n’y a pas de raison valable pour que la position du Liban entre en conflit avec celle des réfugiés, sur la stratégie à adopter. Il est souhaitable que l’opinion soit, au fur et à mesure, tenue au courant des développements, grâce à la transparence que les nouveaux pouvoirs revendiquent. Aussi, des rencontres et colloques tels que celui-ci, contribuent-ils à éclairer l’opinion et à l’apaiser. Certes, le refus de l’implantation nécessite – comme le souligne le ministre français des Affaires étrangères – de trouver une solution au problème des réfugiés. Israël y est tenu en premier et si l’Autorité palestinienne, pour autant qu’est créé un État palestinien, peut arguer de l’exiguïté de son territoire et de la modicité de ses ressources, elle n’est pas dispensée pour autant de prendre les mesures adéquates pour conférer un statut juridique et un ensemble de droits à ses ressortissants. Dans le cadre du droit au retour et éventuellement à l’indemnisation, plusieurs formules sont envisageables, qui s’appuient sur la solidarité internationale, en vue de répartir les réfugiés entre Israël, la Palestine et d’autres pays qui y consentiraient. S’il n’entre pas dans le cadre de cette communication d’examiner ces formules, il me semble néanmoins utile de dissiper toute équivoque quant à l’interprétation du droit éventuel à l’indemnité, prévu dans la résolution 194. Il ne s’agit pas là, d’une faculté accordée à Israël qui pourrait s’en prévaloir à l’encontre des pays d’accueil ou des réfugiés, afin d’échapper au droit de retour, pas plus qu’il ne s’agit d’un droit opposable par les réfugiés aux pays d’accueil pour leur imposer l’implantation. Aussi, en refusant toute solution au problème des réfugiés axée exclusivement sur une base financière, le Liban adopte-t-il une attitude justifiée et qui sauvegarde sa liberté d’action. Quoi qu’il en soit, il incombe à l’ensemble de la communauté internationale et plus particulièrement aux États-Unis, parrains du processus, de ne pas perdre de vue qu’au-delà de l’entorse par Israël aux principes de la légalité et de la justice, toute solution boiteuse qui ne tiendrait pas compte de la configuration socio-politico confessionnelle du Liban et de sa limite de rupture, comporte en elle-même des risques majeurs pour l’ensemble de la région, donc à la fois pour l’ordre régional qu’on prétend instaurer et pour l’ordre international. Sensibilisés par la consécration de l’injustice qui leur est faite, les réfugiés deviendraient difficilement contrôlables et se transformeraient en bombe à retardement, d’autant plus facilement, que leur cause polariserait tous les mécontentements et les refus dans l’ensemble de la région. C’est à éviter de tels cauchemars, que doivent s’activer ceux qui cherchent à refaire la carte du monde, car si le problème des réfugiés n’était pas réglé d’une manière appropriée, la paix serait compromise et en tout état de cause ne serait qu’un simulacre de règlement, un mauvais compromis. Est-ce là l’objectif que l’on vise ? Je me refuse à le croire.
En raison de l’intérêt que présente l’intervention de M. Fouad Boutros au séminaire du Cedroma et de la brûlante actualité du sujet, nous reproduisons ci-dessous le texte de cet exposé : Perçue tour à tour, tantôt comme une fatalité, un cauchemar, un complot, une iniquité ou un scandale, la présence des réfugiés palestiniens au Liban, a connu des phases diverses, jalonnées...